Loi sur le statut de l’artiste : « Un tournant », selon des écrivains estriens

Le projet de loi 35 adopté vendredi par l’Assemblée nationale permettra aux écrivains de voir leur lien de travail avec des éditeurs et des diffuseurs reconnu.

« Historique », « avancée majeure », « inespérée » : certains écrivains de l’Estrie ne manquaient pas de qualificatifs pour exprimer leur joie quant à l’adoption par Québec du projet de loi 35 vendredi. Celui-ci vient affirmer que les écrivains sont des artistes à part entière, un pas de géant, selon les plumes estriennes sondées par La Tribune.


Rappelons que cette réforme du statut des artistes était demandée depuis belle lurette par le milieu culturel québécois, notamment les écrivains qui ne bénéficiaient pas d’une reconnaissance du lien de travail en eux et les diffuseurs et éditeurs. 

Cette avancée considérable permettra à l’Union des écrivains du Québec (UNEQ) de négocier des ententes collectives fixant les conditions de travail minimales des artistes de la littérature, par exemple. Concrètement donc, les auteurs pourront se syndiquer.

«Je suis dans le milieu depuis 25 ans et honnêtement j’étais sûr que ça n’allait jamais se faire. [...] C’est certain que ça va changer plein de choses, mais ce sera pour le mieux. Je crois qu’il n’y a qu’un côté à cette médaille et c’est le bon côté», estime l’auteur Étienne Beaulieu.

«On craignait de devoir recommencer le processus si le projet de loi n’était pas adopté avant la dissolution de l’Assemblée nationale. L’adoption in extremis de la loi, c’est une excellente nouvelle. C’est un tournant, certainement», croit quant à lui l’écrivain Nicholas Giguère.

Selon Étienne Beaulieu, cette nouvelle loi permettra d’attirer plus de gens vers le métier d’écrivain.

Précarité financière

Les deux hommes de lettres ont nommé les conditions de précarité qui forcent en ce moment bon nombre d’écrivains à accumuler deux, voire trois emplois ne serait-ce que pour payer le loyer.

En tant que directeur général et artistique des Correspondances d’Eastman, M. Beaulieu est à même de constater que cette nouvelle loi aidera les auteurs à obtenir une meilleure rémunération des diffuseurs, chose qui « n’est pas le Klondike, quand même », mais qui pourrait les aider à vivre décemment.

« Quand on fait venir un musicien ou un comédien, c’est le tarif UDA. Un écrivain, c’est le tarif UNEQ et là ce ne sera plus le cas. On va traiter tous les artistes sur le même pied d’égalité, car en ce moment, les artistes UDA allaient chercher beaucoup plus que ceux de l’UNEQ », explique-t-il, soulignant avoir toujours trouvé cette situation étrange.

« Si lors de la négociation d’un contrat, on a plus de leviers, il me semble que c’est un grand pas de franchi. On a souvent l’image d’un poète froid avec un foulard et un béret, qui est si pauvre qu’il vit dans une chambre de bonne ou au contraire du riche écrivain dans sa tour d’ivoire. Ce ne sera ni un, ni l’autre : la loi va juste faire en sorte qu’il sera possible pour un écrivain de vivre décemment de sa plume », indique M. Giguère.

« On craignait de devoir recommencer le processus si le projet de loi n’était pas adopté avant la dissolution de l’Assemblée nationale. L’adoption in extremis de la loi, c’est une excellente nouvelle. C’est un tournant, certainement », note l’auteur Nicholas Giguère.

Plus attrayant

Sans vouloir tomber dans la caricature, Nicholas Giguère souligne que le métier d’écrivain est une vocation, peut-être même un acte de foi. Or, la nouvelle législation pourrait bien démocratiser cet art et permettre à des gens de talents, qui ne se sont jamais lancés pour plusieurs raisons, de faire le saut dans l’écriture professionnelle.

« Ça peut permettre oui de stabiliser des carrières, mais surtout d’attirer des jeunes. Quand on leur parle, on a souvent un discours défaitiste, dans lequel on leur dit qu’il est plus ou moins possible de vivre de leur plume. Ce sera plus facile maintenant de les attirer vers l’écriture, leur montrer que c’est possible », note-t-il.

Même son de cloche pour Étienne Beaulieu, pour qui la première pensée après l’adoption de la loi a été « ça va attirer du nouveau monde ».

« Au final, la littérature québécoise sera gagnante. [...] Ça pourra amener encore plus de voix différentes dans cet art, que je considère déjà comme étant dans un âge d’or. Il y aura un foisonnement d’œuvres qui va en sortir et l’effet devrait se faire sentir presque immédiatement », soulève-t-il.

Aller plus loin ?

Rares, bien rares ont été les critiques après l’adoption de la loi hier. Le seul véritable bémol exprimé provient de la députée de Québec solidaire Catherine Dorion qui salue et se réjouit de l’initiative, mais juge qu’elle « aurait pu aller beaucoup plus en profondeur » et espère une « vraie réforme » dans les prochaines années.

« Elle a raison, je pense. Elle voit clair, car elle voit trois coups d’avance. C’est certain que ce sera à perfectionner. Ce sera une question de degré, mais pas de nature. On vient de passer dans une catégorie supérieure et, selon l’inflation, l’évolution du marché, l’ouverture de la littérature québécoise à l’étranger, il y aura probablement des ajustements à faire », analyse M. Beaulieu, précisant tout de même que le « plus grand pas a été fait » dans ce dossier.