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Sa fille, 52 ans, est autiste.

Jocelyne la connaît, elle l’a tricotée. «Ma fille ne parle pas, c’est sa façon à elle de communiquer, c’est sa façon de dire qu’elle n’est pas bien. L’autre jour, à la résidence, on m’a dit “ça ne sert à rien, votre fille ne mange pas ses fruits”. Je me suis assise avec elle et elle les a mangés.»

À la résidence, elle refuse aussi de faire des bijoux. «C’est son activité préférée», insiste Jocelyne.

En fait, sa fille est heureuse quand elle n’est pas à la résidence et, comble de malheur depuis la pandémie, elle n’y a jamais été aussi recluse. Elle a pris du poids, son état de santé s’est dégradé. L’été dernier, on a avisé Jocelyne qu’«un incident malheureux» s’était produit, elle n’a jamais su comment sa fille s’était blessée à la tête et à l’œil. La préposée l’a référée à la propriétaire qui n’a jamais rappelé…

On a peu parlé pendant la pandémie de ces adultes qui vivent avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme, qu’on appelle amoureusement dans le jargon les DI-TSA, et qui ont été contraints à une intensité inouïe de confinement, qui ont été coupés de leurs repères, de leur routine.

Au cours des deux derniers étés, alors que les vagues nous laissaient un peu de répit, sa fille n’a pas pu mettre le nez dehors parce que la COVID, parce que le manque de personnel, parce que parce que. Déjà que la cour ne payait pas de mine avec sa balançoire toute rouillée.

Et pas un centimètre carré d’ombre.

Ce printemps, Jocelyne s’est prise d’avance pour que les choses changent cette année, pour que sa fille puisse, comme nous tous, retrouver sa vie à peu près comme elle était avant. On lui a dit qu’une nouvelle balançoire avait été achetée, elle a dû mettre un peu de pression pour qu’elle soit installée.

Et encore, pour l’ombre, on a patenté un toit avec une bâche de caoutchouc.

«Quand on a visité la résidence, lors du transfert, ils nous ont montré la cour de la propriétaire, qui est remplie d’arbres, où il y a des fauteuils. Mais les résidents n’ont pas le droit d’y aller, et la madame n’habite pas là. On nous avait aussi montré une baignoire, mais à l’arrivée, il n’y avait pas de bain, juste deux douches par semaine.»

Sa fille, depuis, fait de l’eczéma.

Il y a aussi le personnel qui roule à vitesse grand V. «Chaque fois, c’est une nouvelle préposée, ce n’est pas possible pour une autiste. Chaque jour, il y a un nouveau visage, elle ne comprend pas, ça va trop vite pour elle.»

Alors elle se braque, en silence.

En voyant toutes les règles sanitaires tomber, Jocelyne aurait espéré que sa fille retournerait aussi souvent qu’avant au centre de jour, où elle a ses habitudes, ses amis. Où elle est heureuse. Le pire, c’est qu’elle a le bonheur facile. «Tu lui mets quelque chose dans un sac et tu lui dis que c’est une surprise, et elle est contente!»

Jusqu’à maintenant, Jocelyne a réussi à récupérer les sorties en voiture avec sa fille, ses visites chez le coiffeur aux cinq semaines dont on l’a privée pendant presque deux années, et deux journées au centre de jour. «Je me bats pour qu’elle ait au moins une troisième journée, c’est central, mais on lui refuse.»

Et le problème avec la résidence va bien au-delà des fruits.

Quand elle va au centre de jour, c’est le bonheur. «Elle a une boîte à lunch impeccable, elle fait des activités. Il y a une éducatrice avec qui ça va super bien, elle prend une barre tendre, la découpe en quatre portions et s’en sert pour récompenser les bons gestes. Ça fonctionne super bien!»

Tout le contraire de la résidence. «Il y a eu des morts pendant la COVID, mais ils n’en parlent pas. Les résidents ne mangent pas à leur faim, il y a un grand gars costaud qui m’a regardée l’autre jour en criant “ai faim, ai faim!”. C’est dur de savoir ce qui se passe vraiment, je pose des questions, mais je n’ai pas de réponses.»

Encore la semaine dernière, elle a dû aller à l’urgence avec sa fille. Elle avait mal au cou, avait une entorse cervicale.

Même chose pour les éraflures, les ecchymoses, et aussi cette blessure à la tête et à l’œil qui lui a causé des problèmes de vision. «Ça fait trois mois que je cours les hôpitaux pour savoir ce qu’elle a. Je suis allée chez le médecin, il l’a référée en neuro-ophtalmologie, puis en neurologie. Il a dit que ça pouvait être une tumeur ou un coup reçu. Ils lui ont fait passer des examens, une imagerie, ils ont dit que c’était sûrement un coup. Est-ce que ma fille a déboulé les escaliers ? On ne sait pas, c’est dur de ne pas savoir.»

Évidemment, Jocelyne est morte d’inquiétude, en plus d’être dans un grave état d’épuisement. «Il faudrait qu’ils ferment cette ressource.»

Mais pour mettre les neuf résidents où ? «Le problème c’est qu’ils n’ont nulle part ailleurs où placer ces personnes-là. La seule façon d’obtenir des choses, c’est de faire une plainte, et encore, il y a des refus basés sur des informations fausses. Au CIUSSS, au bureau du commissaire aux plaintes, chez les intervenantes, ils connaissent la propriétaire tellement il y a de plaintes portées contre sa résidence. Mais elle s’en sort toujours. Une enquête est en cours, est-ce qu’elle s’en sortira aussi?»

Le CIUSSS s’en accommode, il éteint les feux, pare au plus urgent, fait installer une balançoire sous une bâche pour cocher la case «réglé».

Rien n’est réglé.

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