Chronique|

Faut-il légiférer sur l’avortement?

Des manifestants ont déposé des banderoles ornées de slogans devant la Cour suprême américaine, samedi.

CHRONIQUE / Alors que la Cour suprême des États-Unis s’apprête à renverser l’arrêt Roe c. Wade garantissant le droit à l’avortement, les classes politiques québécoise et canadienne s’interrogent. Si certains États américains en venaient à interdire ou à restreindre l’accès à l’avortement, la même chose pourrait-elle se produire ici? Pour sa part, Justin Trudeau n’a pas tardé à réagir en affirmant qu’il souhaitait légiférer, afin de protéger le droit à l’avortement au Canada. L’intention est noble, mais comment s’y prendre? Et est-ce réellement une bonne idée?


Bien qu’il soit décriminalisé depuis 1988, l’avortement n’a jamais été formellement légalisé au Canada, c’est-à-dire qu’aucune loi ne prévoit la protection et l’encadrement de ce droit. Et si c’était mieux ainsi? La proposition peut sembler contre-intuitive, mais à bien y penser, peut-être vaut-il mieux ne pas avoir de loi plutôt qu’une mauvaise loi. D’ailleurs, on constate que le problème n’est pas l’absence de législation, mais plutôt l’accessibilité. Si le gouvernement Trudeau souhaite intervenir, il vaudrait certainement mieux réviser la Loi canadienne sur la santé, et ce, afin d’obliger les provinces à rendre l’avortement gratuit et accessible pour toutes les Canadiennes, plutôt que créer une nouvelle loi de toutes pièces.

Au Nouveau-Brunswick, par exemple, l’avortement est difficilement accessible. Seules quelques cliniques privées offrent ce service à un coût élevé. C’est là tout le problème. On aura beau dire que l’avortement est « légal » au Canada, si dans les faits il demeure peu ou pas accessible pour les femmes qui souhaitent y avoir recours, alors ce n’est qu’une sorte de vœu pieux. C’est à ce niveau que le gouvernement Trudeau doit agir, afin d’imposer une nouvelle norme pancanadienne en santé qui inclurait l’avortement dans la liste des soins de santé essentiels.



Au contraire, en légiférant sur l’avortement afin d’encadrer sa pratique, le gouvernement de Justin Trudeau risquerait de fragiliser ce droit, notamment en ouvrant la porte à l’imposition de certaines limites ou conditions. Légiférer serait donc une fausse bonne idée, une mauvaise solution à un vrai problème qui est celui de l’accessibilité. Protéger le droit à l’avortement contre d’éventuelles menaces passe davantage par l’éducation et par le soin que nous portons à certains principes démocratiques, notamment la primauté du droit.

Ce débat est d’ailleurs une formidable occasion de rappeler que la protection des droits fondamentaux est l’une des principales tâches qui incombent à nos démocraties modernes. À ce sujet, il semble que la Cour suprême des États-Unis soit en décalage avec la majorité des Américains sur la question de l’avortement. C’est une bonne nouvelle, mais c’est censé changer quoi au juste? Est-ce à dire que si la majorité des Américains étaient favorables à l’idée de restreindre l’accès à l’avortement, ce serait acceptable de le faire? Pas du tout!

Dans un État de droit, la majorité n’a pas toujours raison et certains droits fondamentaux doivent être mis à l’abri de l’arbitraire du législateur et du plus grand nombre. Certains droits deviennent ainsi non-négociables. À mon avis, l’avortement fait partie de cette catégorie. Pour cela, je me base sur le harm principle (principe de non-nuisance), élaboré par le philosophe anglais John Stuart Mill dans son ouvrage De la liberté en 1859. Selon Mill, la société ne peut contraindre un individu contre sa volonté que pour une seule raison : l’empêcher de causer du tort à autrui.

C’est sur la base de ce principe que je considère que nous devrions tous avoir accès à l’aide médicale à mourir et que les femmes devraient avoir accès à l’avortement sans restriction. Ces questions morales, aussi délicates soient-elles, doivent être renvoyées à la conscience individuelle de chacun. Il ne revient ni à l’État ni à personne d’en disposer pour nous.



Je vais peut-être vous surprendre, mais sur le plan très personnel, je suis plutôt contre l’avortement. Pour des raisons philosophiques qui m’appartiennent, je considère cette pratique comme « moralement douteuse ». Mais vous savez quoi? Ça n’a aucune espèce d’importance. Ça n’a aucune importance, car cette question concerne d’abord et avant tout les femmes.

Je considère qu’il revient à chacun et chacune de nous de disposer de cette question selon sa conscience. Comme l’a si bien dit Pierre Elliott Trudeau, « l’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation ».