Chronique|

N’oublions pas Guy Lafleur

Des milliers de Québécois ont rendu un dernier hommage à Guy Lafleur, dimanche.

CHRONIQUE / «Pendant de longues heures, des milliers et des milliers de personnes avaient défilé devant la dépouille mortelle du grand joueur de hockey.»


La phrase aurait pu servir à résumer la première journée de chapelle ardente de Guy Lafleur, ce dimanche, au Centre Bell à Montréal.

Le Canadien avait tenu une cérémonie grandiose pour honorer la mémoire d’Howie Morenz en 1937.

Revenons à 1937, année du décès tragique de Morenz, membre d'un trio marquant dans les années 20 avec Aurèle Joliat et Bill Boucher. À ce moment, le Canadien ne compte que quatre Coupes Stanley à son actif, et n’a pas encore vécu ses années d’or, les folles décennies 50, 60 et 70.

Ça n’empêche pas le CH de tenir une cérémonie grandiose pour honorer la mémoire de son regretté attaquant. Témoignages de coéquipiers, arrangements floraux, des milliers de personnes qui défilent devant un cercueil… les choses n’ont pas beaucoup changé entre les époques de ces deux gloires du Canadien. 

Parmi les nombreuses similitudes qui lient Morenz et Lafleur, c’est la grandeur d’âme de ces deux grands de l’histoire du club. «Il était l’idole de milliers et de milliers de partisans de hockey, écrira La Patrie à propos de Morenz. Il fut admiré et aimé pour sa brillante tenue comme joueur, pour son grand cœur et pour son amour du jeu.»

Les deux ont aussi en commun— comme bien d’autres grandes légendes de l’histoire de l'équipe —, d’avoir dû quitter le Canadien, en fin de carrière, quand on disait d’eux qu’ils étaient des joueurs finis. Lafleur en prenant une retraite précipitée et Morenz en étant transigé contre son gré.

Le premier a pu boucler la boucle à New York et Québec, et le second est rentré au bercail, en 1936, après deux ans passés à Chicago et une demi-saison à New York.

Les autres parallèles entre ces deux purs-sangs du hockey sont nombreux : Lafleur et Morenz ont tous les deux mis du temps avant de s’imposer à Montréal, mais ils ont fini par être tellement bons qu’ils ont été pris à partie par les équipes adverses dans leur désir de les ralentir.

Frappés et intimidés, Lafleur et Morenz n'auront jamais fléchi. Les deux joueurs étoiles auront aussi marqué l’imaginaire de leurs fans par leur jeu spectaculaire et une authenticité assumée. Remplacez Morenz par Lafleur, dans ces deux extraits de La Patrie en 1937, et vous n'y verrez que du feu, comme lorsque les gardiens tentaient de défier les tirs du Démon blond dans les années 70.

«Son dynamisme le poussait à des échappées mirobolantes, qui faisaient de lui l’attraction la plus sensationnelle que le hockey ait connu. […] Morenz était l’idole des foules, ici comme à l’étranger, parce qu’il donnait à ces foules le meilleur de lui-même et qu’il était un scéniste d’une spectaculaire envergure.»

Aurèle Joliat, résumera ainsi le style de son ex-compagnon de trio, une déclaration qui pourrait très bien venir de la bouche de Jacques Lemaire ou de Steve Shutt:

«Le plan d’attaque d’Howie était bien simple, expliquera-t-il. Il déclenchait un élan à toute vitesse et lançait. Il était donc de notre devoir, nous, les ailiers, de faire l’impossible pour le suivre et intercepter les rebonds de lancers ou l’assister autour du filet ennemi.» 

Le temps qui passe

L’un des passages marquants de la série d’articles écrits sur Morenz vient du même défunt quotidien, dans son édition du 11 mars 1937. Il nous rappelle que le temps passe et que collectivement, on finit souvent par oublier ce qui nous a précédé. Et ce même si cela nous apparaît impossible dans l'immédiat.

«Le plus grand honneur pour un athlète est d’être digne de la mémoire de la génération future, écrit La Patrie. À l’instar de quelques grands hommes de la politique qui ont fait la patrie, Morenz laissera un souvenir, une gloire impérissable dans l’histoire de la N.H.L., dans celle du Canadien tout particulièrement.»

Près de 100 ans plus tard, que reste-t-il de la grande carrière d’Howie Morenz? 

Il faut tout faire pour que les prochaines générations n’oublient jamais la formidable contribution de Guy Lafleur.



Le Centre Bell s’est transformé en chapelle ardente pour deux jours, afin de permettre à ceux qui le souhaitaient de faire leurs adieux à l’une des grandes légendes du hockey et offrir leurs condoléances à la famille.

Deux grandes bannières entouraient celle habituellement installée dans les hauteurs de l’aréna avec le numéro 10 de Lafleur. La coupe Stanley, que Lafleur a remportée cinq fois avec le Canadien de Montréal, rayonnait en arrière-plan du cercueil du défunt. Les trophées Hart, Art-Ross, Conn-Smythe et Ted-Lindsay étaient installés sur un côté, tandis que la famille était assise de l’autre.

Le premier ministre du Québec, François Legault, et la mairesse de Montréal, Valérie Plante, ont été parmi les premières personnes à pouvoir offrir leurs condoléances aux représentants de la famille de Guy Lafleur, dont sa veuve Lise et l’un de leurs fils, Martin.

Tout le monde était fier que ce soit un petit gars de la place qui était le meilleur de la Ligue nationale. C’est important. Nous partons de loin. Nous avons été conquis. Nous avons de la misère des fois à être des gagnants. Avec Guy Lafleur, nous étions des gagnants, nous étions fiers et tous réunis

Mme Plante a également souligné la fierté des Québécois quand ils parlent de Guy Lafleur.

«Son départ est triste, mais il aura marqué beaucoup de monde par sa générosité, son authenticité, sa passion et, bien sûr, son talent», a-t-elle ajouté.

Le coeur vide

Plusieurs personnes attendaient en file en matinée devant le Centre Bell pour rendre hommage à Guy Lafleur.

On aurait pu entendre une mouche voler dans l’enceinte du Centre Bell pendant que les gens défilaient.

La famille Lafleur s’est permis de prendre une photo quand trois hommes portant des chandails jaunes de l’équipe pee-wee de Thurso, ville natale de Lafleur, sont passés.

Des gens des quatre coins du Québec, et de plus loin encore, avaient fait le trajet pour se recueillir devant le cercueil de leur idole.

«Je ne pouvais pas rater ça, a dit Greggory Laberge, un Ontarien âgé de 55 ans qui était venu de Denver, au Colorado. Nous avons grandi avec l’espoir qu’il nous donnait de conquérir le monde. C’est la fin d’une époque.

«Je reviens ici à Montréal après 30 ans aux États-Unis et nous sommes tous des frères ici», a-t-il ajouté, les larmes aux yeux, en parlant des gens autour de lui dans la file pour entrer au Centre Bell.

Toutes les générations étaient aussi représentées.

«C’est beau de voir ça, a souligné Yvon Lambert, qui a évolué avec Lafleur. Ce n’est pas que du monde des années 60 et 70. Il y a du monde des années 90 et 2000. C’est là qu’on réalise l’impact que Guy Lafleur a eu sur le public. Le monde, la générosité, les signatures d’autographe. Ça n’a pas de bon sens.»

Le premier ministre du Québec, François Legault, a été parmi les premières personnes à pouvoir offrir leurs condoléances aux représentants de la famille Lafleur.

Des représentants de l’armée canadienne ont offert leurs condoléances à la famille et ont parlé des nombreuses visites de Lafleur auprès des forces en Afghanistan.

Le président des Maple Leafs de Toronto, Brendan Shanahan, ainsi que les anciens joueurs Rick Vaive, Doug Gilmour et Wendel Clark sont aussi venus rendre hommage à leur ancien rival.

Lafleur est décédé le 22 avril d’un cancer du poumon, à l’âge de 70 ans. Plus d’une semaine plus tard, son départ faisait toujours mal aux anciens du Canadien.

«Nous avons le coeur vide, le coeur qui saigne, a dit Réjean Houle. Nous savons que nous avons perdu un membre incroyable de l’organisation, qui a fait de nous une bonne organisation.»

Lafleur a suivi les traces de Jean Béliveau, lui-même héritier de Maurice Richard dans la grande histoire du Canadien.

Les anciens joueurs du Canadien aiment bien rigoler en parlant du nombre de bagues de la coupe Stanley qu’ils ont remportées. Ils espèrent toutefois que l’héritage de Lafleur perdurera au-delà de la génération qui a vu jouer ce grand homme du hockey.

«Mes petits-enfants sont venus tantôt. Ils sont impressionnés par ce qui se passe présentement, a raconté Houle. Même nous, nous nous demandons ce que nous avons fait durant les années 1970 pour plaire aux gens. Ceux qui pleurent présentement se rappellent des souvenirs. Ils ont le coeur brisé parce que notre ami «Flower» est parti.»

Les joueurs actuels du Canadien devaient défiler dans la chapelle ardente en fin d’après-midi. Ils n’ont toutefois pas été rendus disponibles aux membres des médias pour partager leurs émotions durant leur visite.

Des funérailles nationales auront lieu mardi à la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde-et-Saint-Jacques-le-Majeur.  (Avec Virginie Ann, La Presse Canadienne)