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Je n’ai jamais su son nom. Je n’ai jamais su son histoire.

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Elle passait ses journées à regarder par la fenêtre, l’air hagard, le désespoir se lisait dans ses yeux.

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C’était durant la guerre en Bosnie, en décembre 1993. Les Casques bleus canadiens nous avaient emmenés visiter une ancienne école transformée en centre pour réfugiés où des femmes, des enfants et des vieillards étaient abrités. Ils étaient des dizaines de réfugiés entassés dans cette petite école.

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Dans une classe, ou plutôt dans une chambre que se partageaient une douzaine de femmes, elle était là. À la fenêtre. Du matin au soir.

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«C’est tout ce qu’elle fait depuis qu’elle est arrivée ici, m’avait raconté une interprète. Elle s’assoit à la fenêtre et elle attend son mari. Ils étaient jeunes mariés. Son époux a été enlevé par les forces serbes et emmené on ne sait trop où. Elle s’est réfugiée ici il y a quelques mois et, depuis, elle attend le retour de son amoureux. Elle ne nous parle pas. Elle mange très peu. Elle est sous le choc. Elle se couche en même temps que le soleil et, dès son réveil, elle reprend sa place à la fenêtre et elle regarde au loin, dans le vide. Elle attend. C’est tout ce qu’elle fait. Elle attend. Sait-elle que son mari ne reviendra probablement jamais? On ne sait pas. Parfois elle essuie une larme qui coule sur sa joue. Parfois, rarement, mais parfois elle sourit. Et elle l’attend.»

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J’en étais bouleversé. La scène était d’une tristesse inouïe. L’image de cette femme seule à sa fenêtre est gravée dans ma tête et dans mon cœur pour le reste de mes jours.

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Le désespoir dans ses yeux, je l’ai revu dans ceux des réfugiés ukrainiens captés en photos par mon collègue photographe Simon Séguin-Bertrand. Simon et la journaliste Karine Tremblay du quotidien La Tribune ont été dépêchés aux portes de la guerre en Ukraine, il y a quelques semaines. Aux portes de l’enfer.

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Les deux nous ont livré d’excellents et émouvants reportages. Ils ont su capter de la couleur dans un monde devenu gris. Il fallait le faire. Parce que c’est gris, la guerre. Gris sale. Un gris accablant et désespérant. Un gris de haine. Tout devient gris sous les bombes et la souffrance. Les couleurs fuient la guerre.

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Il en fallait du courage pour se rendre là-bas. Il en fallait de l’audace.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"La journaliste Karine Tremblay au poste frontalier de Siret, en Roumanie.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":9,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fe5b05456-1a0f-46cb-8bba-8deb82562a2e.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":10,"text":"

«Y retournerais-tu?, m’a demandé Manon l’autre jour en écoutant les reportages à la télé de l’invasion russe en Ukraine. Retournerais-tu couvrir la guerre?».

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J’ai hésité. J’y ai pensé pendant quelques secondes. «Non, lui ai-je enfin répondu. Je n’ai plus cette témérité.»

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Nous ne sommes plus en 1993. Le monde a changé. Les guerres ont changé.

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En Bosnie, j’étais avec les Casques bleus canadiens, j’étais protégé. Et c’était une opération de maintien de la paix. Oui, les Casques bleus étaient autorisés à recourir à la force pour se défendre. Et oui, il y a eu quelques incidents où j’ai réellement craint pour ma vie. Mais les militaires canadiens n’étaient pas là comme belligérants.

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Les journalistes qui se rendent en zone de guerre aujourd’hui y vont à leurs risques et périls. Ils mettent leur vie en danger. Ils sont des cibles.

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Je leur voue une admiration sans borne. Je regarde par exemple le travail en Ukraine de la correspondante Marie-Ève Bédard de Radio-Canada et je suis ébahi par son courage et sa volonté implacable de rapporter les faits, la vérité et la réalité sur le terrain.

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Craint-elle pour sa vie? Je devine que oui. Ça doit parfois lui traverser l’esprit. Je crois que tous les journalistes qui osent se rendre sur le terrain craignent pour leur vie. Ils sont humains.

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Le monde a changé. La guerre a changé. Mais cette peur d’y laisser sa peau ne disparaîtra jamais.

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Sauf que ces hommes et ces femmes vont bien au-delà de leur peur. Ils savent la surmonter. Ils savent que leur travail est essentiel. Ils savent qu’ils sont nos yeux, nos oreilles. Ils savent que l’Histoire dépend d’eux.

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Bien au-delà de leur peur et de leurs craintes, ces journalistes sont habités d’une soif innée de voir et de savoir. D’un besoin et d’un devoir de raconter. D’une fureur de vivre inextinguible.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Le photographe du Droit, Simon Séguin-Bertrand, discute avec un jeune réfugié ukrainien lors d’un reportage en Roumanie.","contentType":"image","credits":"Courtoisie, Oleg Koleboshyn ","position":20,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fa6121364-b04f-4e19-9d79-0e1f25273137.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":21,"text":"

On ne peut que les admirer. On ne peut que les remercier.

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