{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F32d78de9-715d-4e38-ac9e-829d9f25590f.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Journaliste et chroniqueuse "},"email":"ktremblay@latribune.qc.ca","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Feb0b7a9e-c0d8-4b3e-a772-a81f5f461178.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Sherbrooke","name":"Karine Tremblay","source":"La Tribune","twitter":"tremblayk"},{"description":{"fr":"Photographe"},"email":"sbertrand@ledroit.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fa2c19d4b-4609-48eb-ab28-dc7a4c63ce93.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Simon Séguin-Bertrand - Photographe","source":"Le Droit","twitter":"SimonSB"}],"channel":"Guerre en Ukraine ","chapters":[{"position":0,"text":"

C’est leur première journée en tant que bénévoles. Elles se sont rencontrées aujourd’hui et ont choisi de faire équipe. La première parle ukrainien, la seconde, polonais. Elles communiquent ensemble en anglais.

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«On essaie de trouver une mère et son enfant qui voudraient aller en France. Quelqu’un aurait un studio pour eux et de la place dans la voiture pour partir dès maintenant», me résume Anastasia Naumenko.

Avec délicatesse, Justyne Zych et elle s’approchent des réfugiées qui marchent avec valise et enfant. Certaines ont déjà une place où aller. D’autres déclinent parce qu’il n’y a de la place que pour deux et elles sont avec une grand-maman, d’autres enfants.

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Le duo ne se décourage pas et continue de parcourir les lieux. Nous les suivons dans leur quête de la journée. Leur dernière avant la fin de leur premier après-midi de bénévolat.

Anastasia est arrivée la semaine dernière en Pologne. Elle a 18 ans, des cheveux de blé, un regard d’eau. Avec sa mère et son petit frère de 13 ans, elle a fui l’Ukraine et vit chez sa marraine depuis.

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«On a mis deux jours et demi pour venir jusqu’ici. La route était dangereuse, les Russes étaient tout près. Certains Ukrainiens ont même fait demi-tour parce que c’était trop risqué», explique la jeune fille.

Elle a décidé la veille de venir s’inscrire comme bénévole à la gare, là où transitent des milliers d’Ukrainiens chaque semaine.

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«Je parle la langue, je me suis dit que je pouvais être utile. Et j’avais besoin de le faire.»

Pour elle, c’est une façon de contrer la peine et le sentiment d’impuissance.

«Plusieurs Ukrainiens se sentent coupables d’être partis du pays. Moi aussi. Être là-bas, d’une certaine façon, c’est mieux pour le moral. Parce qu’on a alors le sentiment de faire partie de quelque chose, de participer, même en ne faisant rien. Je ne voulais pas partir. Mes parents ont pris cette décision, je l’ai respectée. Mais c’est très difficile.»

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Le père d’Anastasia est demeuré à Kharkiv. Chaque conversation avec lui réveille la souffrance de le savoir sur la ligne de front.

«Ma mère pleure tous les jours. C’est douloureux pour moi de la voir si triste. Elle avait un travail à l’université. Elle ne pourra pas retrouver un emploi ici. Lorsqu’elle parle à mon père, elle veut qu’on retourne là-bas. Mais il insiste : il souhaite que nous restions en sécurité...»

Anastasia interrompt le récit de son histoire et jette un coup d’œil autour d’elle.

«Tous ces gens qui fixent le vide, toutes ces vies brisées… ça me blesse le cœur. Et c’est très fâchant de voir des tas de blogueurs et de stars russes écrire des choses comme ‘’Poutine est le président du monde’’.»

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La veille, dans la ville d’Anastasia, les soldats russes ont bombardé une usine de produits chimiques.

«Après, ils ont dit que c’était nous, les Ukrainiens, qui avions fait ça, s’indigne-t-elle. Et les Russes croient ça? Je ne sais pas s’ils sont stupides, mais moi, ça me met en colère. Depuis huit ans, cette propagande dure. Ils nous ont enlevé la Crimée. Mais ils n’arriveront pas à saboter notre fierté. Nous sommes un peuple fort, et très uni. On ne baissera pas les bras.»

Elle ne baisse pas les bras devant sa mission non plus. Mais 18 heures arrivera sans que les deux jeunes femmes aient trouvé une Ukrainienne prête à partir en France.

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«Ce n’est pas grave. Ça valait le coup d’essayer.»

Anastasia et Justyne se disent au revoir en se promettant de se recroiser ici. Au kiosque d’inscription, d’autres personnes font la file pour être bénévoles. C’est le quart de soirée qui commence.

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Agnieszka Anikin est coordonnatrice des bénévoles. Si elle dirige l’essaim de volontaires, c’est un peu par hasard, nous raconte-t-elle.

«Au début, on n’était pas organisé, on n’était pas préparé pour ça. J’ai vu sur Instagram qu’il y avait des besoins et des demandes. J’ai lancé un appel sur mon propre compte. Je n’ai pas tant de followers, mais plusieurs influenceurs ont relayé mon post, ce qui fait qu’on a vite récolté énormément de choses.»

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C’était le 28 février dernier. Elle a atterri à la gare où elle a pris les choses en charge. Elle revient chaque jour depuis. Elle va continuer de le faire nous explique-t-elle avec une voix qui casse, par moments, en raison de la fatigue.

«Les journées sont longues, mais la première de toutes a été la plus difficile. C’était désorganisé, on a dû bâtir une structure très rapidement.»

Les Ukrainiens qui arrivent par train de Przemyśl transitent par ici. L’afflux de réfugiés varie d’un jour à l’autre. Il change de visage, aussi.

«Au départ, on voyait des gens de partout, des Ukrainiens qui étaient originaires d’Afghanistan, par exemple, souligne Agnieszka. Les gens avaient davantage de bagages, plus d’argent, aussi. Ceux qui arrivent maintenant ont davantage subi la guerre. Plusieurs sont dans un état plus critique.»

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Des scouts, des pompiers, des policiers prêtent main-forte sur place. Différents organismes, dont World Central Kitchen, sont aussi à pied d’œuvre. Des tentes de premiers soins ont été temporairement installées à l’entrée.

Au deuxième étage, les gens dorment ou se reposent sur des lits patentés ou sur les sièges de l’endroit. Une bénévole passe avec une large boîte de petits gâteaux. C’est fête dans les yeux des enfants, qui accourent et pigent avec appétit dans le coffret de douceurs sucrées.

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Pour une autre longue journée, Paulina Witkowska a enfilé son dossard orange de bénévole. La Polonaise a temporairement fermé sa compagnie de construction pour mettre l’épaule à la roue.

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«Regardez autour. Vous allez comprendre pourquoi on est là», note-t-elle.

Les premiers jours ont été terribles.

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«On n’avait pas de système électrique, nos installations étaient à bâtir. J’ai fait 300 soupes, à la maison, avec des amis. On a tout apporté ici. Même chose pour le thé. Et on aide pour tout. Le transport, le logement, la nourriture, les informations.»

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Paulina soupire, plante son regard dans le mien.

«Je travaille avec des hommes. Je suis faite forte. Je pensais être prête pour ça. Mais personne n’est prêt pour ça. Après une semaine, j’ai changé mon implication pour être temporairement moins en contact avec les réfugiés, je n’aurais pas tenu le coup sinon. C’était trop bouleversant. C’était juste trop.»

Trop, ça pourrait aussi le devenir pour le pays.

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«La Pologne peut gérer pour un petit moment, mais elle ne pourra pas tenir à long terme, insiste Agnieszka Anikin. Plus de deux millions de personnes ont déjà franchi notre frontière. C’est énorme. On ne pourra pas tenir ça seuls. Il va falloir qu’il y ait un relais.»

Assurer ce relais, c’est la mission qu’elle confierait aux dirigeants, aux autres pays. À tous ceux qui peuvent.

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Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.

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