C’est le médecin aux urgences, Nicolas Elazhary, qui explique le mieux cette collaboration née pendant la pandémie. Avant, il ne discutait jamais avec les techniciennes en laboratoire pour parler des résultats – sauf dans les activités sociales en dehors du boulot comme un souper de Noël. Il n’échangeait pas plus avec l’équipe en prévention et contrôle des infections (PCI).
Les tâches entre les équipes à l’urgence se sont davantage croisées, aussi. Par la force des choses, un peu. Habituellement, en urgence, un médecin passe continuellement d’un cas à un autre. Il mène plusieurs fronts en même temps, si on peut dire.
Mais là, avec les mesures pandémiques, une fois qu’il était avec un patient soupçonné d’avoir la COVID, il ne pouvait plus passer d’un à l’autre. Les mesures de prévention ont chamboulé les habitudes. «Ce n’est pas vrai que j’allais me tourner les pouces», dit-il. L’urgentiste s’est donc mis à faire des tâches des infirmières pour continuer à être utile. Et de son côté, il a reçu du soutien du personnel technique qu’il n’aurait jamais osé demander avant.
Les représentantes des autres départements abondent dans le même sens, ces échanges n’existaient pas, ou peu, avant la pandémie. Les laboratoires avaient enfin des discussions avec le reste du centre hospitalier. La PCI se rapprochait du terrain et travaillait en étroite collaboration avec les équipes techniques pour élaborer les lieux d’intervention. Les équipes techniques échangeaient directement avec les autres directions pour répondre rapidement aux besoins du personnel infirmier ou à la vaccination. Et cetera.
Ça ne signifie pas que tout s’est fait dans l’harmonie. Les nombreux témoignages reçus de préposés, d’infirmières ou de médecins pendant la pandémie montrent qu’il y a eu beaucoup d’incertitudes, de pressions, de stress, de sacrifices, d’épuisement, d’improvisation.
Néanmoins, on sent que dans cette ouverture à créer des liens directs entre certains départements, au lieu de passer par les structures habituelles avec des intermédiaires ou des hiérarchies, il y a une piste pour améliorer le fonctionnement interne, mais aussi le service à la population.
C’est aussi un miroir sur le travail en silo qui s’est de plus en plus imposé avec les réformes des 20 dernières années. En centralisant les décisions, on a aussi divisé les tâches et éloigné les connexions entre les départements.
Plus on verticalise les décisions, plus on isole les expertises.
Sur les problèmes survenus pendant la pandémie, la Commissaire à la santé écrivait dans son rapport que «la gouvernance est centralisée et orientée sur les volumes de production, l’accès, le contrôle des coûts».
De son côté, la Protectrice du citoyen soulignait que la centralisation des pouvoirs «a généré une certaine paralysie des milieux de vie constamment bombardés d’orientations revues et modifiées», avec peu de consultation du terrain, puisque ces orientations sont très verticales (top down).
On s’est retrouvé à plusieurs reprises devant des décalages énormes entre les orientations du ministère de la Santé et la réalité dans les CHSLD ou dans les centres hospitaliers.
Curieusement, si les décisions sont très centralisées, l’imputabilité, elle, devenait rapidement décentralisée. Comme si l’incapacité d’un centre de répondre à l’exigence ministérielle n’était que de sa faute.
Mais quand le ministère exige une façon de faire sans donner les moyens d’y parvenir ou que cette façon ne colle pas à la réalité d’une région, est-ce la faute de la région, du centre de services ou du ministère?
On ne sait pas encore ce que le gouvernement souhaite réellement faire dans sa «refondation» du système de santé. On peut miser sur une accélération de l’informatisation et une meilleure transmission des informations et des données, le ministre Dubé ayant souvent fait référence à cette lacune et au retard du Québec sur cet aspect. Mais après? Difficile à dire.
L’enjeu de la communication ne se joue toutefois pas seulement sur les dossiers numériques des patients et des patientes ou sur la transmission de données en direct du système de santé. La communication, c’est aussi dans cette connexion entre les équipes sur le terrain qu’ont évoqué les équipes du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
Ça passe inévitablement par une décentralisation. Pour briser ces silos. C’est quand même fou qu’il faille une pandémie pour que des directions dans un centre hospitalier collaborent directement ensemble.
L’attractivité des métiers en santé passe par de meilleures conditions de travail, mais aussi par cette possibilité de s’épanouir, de s’accomplir et de donner une certaine autonomie. Le travail en équipe contribue à tout ça.
C’est aussi une démonstration de l’importance de soutenir les équipes multidisciplinaires, de leur impact dans la mobilisation du personnel et dans la qualité des services à la population. On pourrait aussi élargir en améliorant les collaborations avec les organismes communautaires.
Travailler ensemble a rendu les équipes du CIUSSS de l’Estrie-CHUS plus fortes. Ça serait bête de ne pas s’en inspirer.