Chronique|

Le redoutable retour à la normale

Si la tendance se maintient, comme dirait l’autre, ce sera le retour à la normale au printemps.

CHRONIQUE / Si la tendance se maintient, comme dirait l’autre, ce sera le retour à la normale au printemps.


Les masques tomberont. Les passeports vaccinaux ne seront plus qu’un souvenir. La distanciation sociale ne sera plus qu’un terme appris en mars 2020. Et nous pourrons rentrer au boulot pour y travailler en présentiel. (Mon ordi trace toujours une ligne rouge sous «présentiel». Même lui n’a pu s’habituer à ce drôle de mot).

Donc le retour à la normale d’ici Pâques, dit-on. J’ai hâte. J’ai hâte, mais… j’avoue que je suis légèrement appréhensif. Craintif même.

J’ai hâte, par exemple, d’aller voir les Olympiques de Gatineau jouer dans leur nouveau Centre Slush Puppie. Je lis quotidiennement les textes de l’ami Jean-François Plante qui suit les Olympiques comme son ombre et, de ce que je lis, les Gatinois ont toute une équipe de hockey. Ça sent la Coupe du Président. J’ai donc hâte de les voir à l’oeuvre. Mais est-ce que je veux vraiment me joindre à une foule de 4000 ou de 5000 personnes entassées dans un aréna pour encourager à tue-tête nos p’tits gars?

Pas sûr. Pas sûr pantoute. Ça ne me semblerait pas normal sans distanciation sociale.

J’ai hâte de retourner au restaurant. Comme la majorité d’entre vous, je n’ai pas pris place dans un resto depuis le début de la pandémie, depuis deux ans.

J’ai hâte d’aller bruncher avec ma blonde. J’ai hâte de commander mes deux œufs, mes saucisses, mes patates rissolées, mes bines et mon café. J’ai hâte d’ignorer la pointe de cantaloup qui décorera mon assiette. J’ai hâte de fabriquer une pyramide avec les petits sachets de beurre d’arachide et de confiture aux fraises. J’ai hâte d’entendre ma blonde me dire «mais quel âge as-tu!?» lorsque cette pyramide de petits sachets s’écroulera sur la table.

J’ai hâte mais… la serveuse portera-t-elle un masque? Sera-t-elle obligée d’en porter un? Je l’espère. Je ne voudrais pas qu’elle postillonne dans mon assiette en nous demandant si elle peut remplir nos tasses de café. Et le gars à la table voisine un peu trop collée sur la nôtre, est-il vacciné? Parce qu’il n’arrête pas de tousser.

J’ai hâte de retourner au resto. Mais je serai craintif. Et il n’y a rien de normal là-dedans.

J’ai hâte de rentrer au bureau. J’ai hâte de revoir la gang. Mais eux, ont-ils hâte de me revoir ? J’ai tellement vieilli au cours des deux dernières années. Et j’ai perdu beaucoup de poids, me reconnaîtront-ils? Me taquineront-ils? Je l’espère. C’est fou comme ces taquineries me manquent. Quand Mathieu arrivait dans la salle des nouvelles le matin et qu’il me lançait en souriant un «Gratton, ferme donc ta gueule» avant même que je dise un mot, j’aimais ça. Étrangement, j’aimais ça. Je l’attendais. C’était comme un «bonjour» de sa part, un «content de te revoir».

J’ai hâte de revoir le monde. Mais je serai appréhensif, je l’avoue. Et je me promets de garder mon masque en tout temps, au cas où. Est-ce normal d’avoir peur de rentrer au boulot? Est-ce normal d’avoir peur de reprendre une place qu’on occupe depuis plus de 30 ans? Non. Ce n’est pas normal du tout.

J’ai hâte de me faire couper les cheveux. Sauf que j’ai encore plus peur d’entrer dans un salon de coiffure que dans un resto. Mais si je dois retourner au bureau, je dois me faire couper les cheveux. Pas le choix. Parce que présentement, j’ai l’air comme si Justin Bieber tenait le rôle-titre dans le film L’étrange histoire de Benjamin Button.

Est-ce normal de craindre la coiffeuse et le barbier? Poser la question est y répondre.

Vous aurez compris que ce «retour à la normale» me fait peur. Il n’y a plus de rien normal, comment peut-on y retourner?

Le virus est toujours là. On compte plus de 1000 nouveaux cas chaque jour au Québec comme en Ontario. La pandémie n’est pas finie, loin de là. Va-t-on trop vite dans la levée des restrictions?

J’ai vu sur Facebook que les Chevaliers de Colomb d’un village de l’Est ontarien reprendront leur souper spaghetti traditionnel en présentiel. Les bons vieux Chevaliers pourront enfin se réunir entre boys dans leur sous-sol d’église après deux ans de spaghetti en confinement, chacun dans son coin, chez lui.

Au-bas de cette annonce, en grosses lettres, on indiquait que le passeport vaccinal ne serait plus obligatoire, qu’on n’aurait plus à le présenter pour entrer.

En d’autres mots, bienvenue à tous ceux qui ont refusé de se faire vacciner au cours des deux dernières années. On vous détestait il y a à peine un mois, on vous ridiculisait, insultait, abaissait. Mais là, vu que Doug Ford a dit que le passeport vaccinal n’est plus nécessaire, on vous aime. Notre spaghetti vous attend. Venez en grand nombre, vacciné ou pas. Des boulettes avec ça?

Il n’y aura pas de retour à la normale. Pas pour moi. Je ne suis plus jeune et le virus affectionne particulièrement les vieux. Il me fait aussi peur aujourd’hui qu’il y a deux ans, même si je suis triplement vacciné. Donc, tant et aussi longtemps que je craindrai les restos, les arénas, les salons de coiffure, le bureau et le reste, il n’y aura rien de normal.

Comme tout le monde, je devrai apprendre à vivre avec la COVID-19. Je devrai apprendre à vivre avec mes appréhensions. Je devrai apprendre à vivre avec mes peurs.

On me dit que ce sera bon pour ma santé mentale…