La dissonance entre les discours russe, ukrainien ou occidental est « inquiétante » pour Katharina Niemeyer. « En même temps, ce sont aussi des enjeux stratégiques que l’on peut voir lorsqu’il y a des idéologies qui s’affrontent. La Russie demeure dans une continuation de la Guerre froide, mais cette fois pour montrer que l’Occident n’a pas raison », ajoute-t-elle.
« Le téléphone devient carrément une ressource, mais aussi une arme qui permet de témoigner de ce qui se passe sur place », affirme Mme Niemeyer. L’accélération et l’intensification de la masse d’information qui circule sont pour la professeure deux différences importantes de ce qui a pu être observé dans de précédents conflits.
Pour ces raisons, il est difficile de distinguer le vrai du faux de façon instantanée. « Il y a aussi du recyclage d’images d’anciens conflits qui sont réappropriés faussement tout comme l’usage de la décontextualisation, poursuit Katharina Niemeyer. C’est quelque chose qui s’intensifie par rapport à ce que l’on voyait avant. »
Près des approches conspirationnistes
Après les sanctions économiques et le retrait de SWIFT, l’Union européenne s’attaque à la désinformation russe entre autres en suspendant d’urgence les activités de diffusion de Sputnik et de Russia Today (RT), indique Katharina Niemeyer qui est aussi directrice du Centre de recherche Cultures-Arts-Société (CELAT) de l’UQAM.
« Sputnik et Russia Today sont sous le contrôle permanent, direct ou indirect, des autorités de la Fédération de Russie et sont essentiels et indispensables pour faire progresser et soutenir l’agression militaire contre l’Ukraine et pour la déstabilisation des pays voisins », a justifié le Conseil européen par voie de communiqué de presse le 2 mars.
L’histoire nous l’a montré, il y a un endoctrinement surtout des jeunes soldats. Ils partent avec l’idée qu’ils vont défendre leur patrie et puis en fin de compte ils se rendent compte une fois sur place qu’il faut tuer des humains et ça devient extrêmement traumatique.
« RT est un média qui fonctionne principalement par satellite et qui diffuse majoritairement de l’information soi-disant alternative internationalement », explique Me Niemeyer. À titre d’exemple, elle affirme que RT America rejoint beaucoup les approches conspirationnistes et les théories du complot qui existe déjà aux États-Unis. « C’est une façon de soutenir la désinformation ou de la propagande contre l’occident dans le but de le délégitimiser », analyse la professeure à l’UQAM.
« Les théories du complot sont évidemment très attirantes parce qu’elles sont simples à comprendre et très convaincantes. Alors que la véracité ou une information sur la guerre est beaucoup plus complexe et très peu de personnes sont prêtes à les recevoir », poursuit-elle, ajoutant qu’il ne faut toutefois pas perdre confiance envers les médias traditionnels pour autant.
« Le seul moyen »
La désinformation russe auprès de ses soldats est « le seul moyen » de les mobiliser. « L’histoire nous l’a montré, il y a un endoctrinement surtout des jeunes soldats. Ils partent avec l’idée qu’ils vont défendre leur patrie et puis en fin de compte ils se rendent compte une fois sur place qu’il faut tuer des humains et ça devient extrêmement traumatique », analyse la directrice du CELAT de l’UQAM.
« Ils se sont retrouvés sur place et ils ont été forcés de constater que la réalité ne correspond peut-être pas exactement à ce qu’ils ont appris d’une part par la formation militaire, mais aussi d’un point de vue de leurs sources médiatiques », observe Mme Niemeyer face au désengagement moral des soldats russes.
Toujours selon les observations de Katharina Niemeyer, le Kremlin n’a pu le choix de poursuivre cette décontextualisation de l’information et des images de la guerre en Ukraine pour garder leurs troupes relativement motivées.