Une journaliste anglophone s’est surprise, il y a quelques jours, de voir dans un tweet du chef du NPD, Jagmeet Singh, le nom du président russe écrit « Poutine ». Elle s’est demandé pourquoi les francophones « déformaient » le nom russe de Putin.
Elle n’est pas la seule, je vois plusieurs commentaires qui insistent pour qu’on utilise l’orthographe Putin plutôt que Poutine. Surement parce que ça fait écho à notre propre identité culturelle.
Sauf que Putin, ce n’est pas plus russe, c’est tout autant une adaptation anglaise que l’est Poutine en français.
C’est comme la ville London renommée Londres en français, ou Mexico qui devient Mexique. Ou mon prénom qui, dans sa forme Mickaël, est plus près de la forme latine. En français, ça serait plutôt Michel, Michael en anglais, Miguel en espagnol ou Mikhaïl en russe. Tous ces noms découlent de l’origine hébreu « mi-kha-El ».
Ce sont à la fois des adaptations phonétiques, mais aussi des adaptations culturelles et des glissements linguistiques.
Par respect, on a moins tendance à changer le nom des villes maintenant, sauf lorsque la coutume remonte à vraiment loin, comme Londres justement. D’ailleurs, London en Ontario demeure London en français.
C’est plutôt facile à respecter quand on partage le même alphabet et des langues similaires, mais on fait quoi avec le coréen? C’est plus facile d’écrire « Séoul » que « 서울 ». Parfois, il faut adapter.
Toutes les langues n’utilisent pas les mêmes sons – sans parler des accents régionaux. Plus les langues ont des racines éloignées, plus on risque d’y observer des différences. Ici, on a un nom russe (une langue slave), adapté en anglais (une langue germanique) et en français (une langue romane).
On se retrouve donc devant des consonnes et des voyelles qui existent en russe, mais qui n’existent pas en français et vice versa.
Donc, comment fait-on pour adapter un nom comme Пу́тин, qui non seulement s’écrit avec un autre alphabet, mais n’utilise pas nécessairement les mêmes sons? On essaie de le retranscrire comme on peut.
En français, on a convenu que Poutine était la forme la plus près. En anglais, c’est plutôt Putin qui s’en rapproche le plus.
Ça saute aux yeux – ou aux oreilles – quand on les prononce, les deux sonnent presque pareil (dans leur langue). Et bien franchement, quand on écoute la version russe, les deux adaptations sont probablement les meilleures transcriptions dans leurs langues respectives.
Si on l’avait écrit comme les anglophones, les francophones penseraient qu’il se nomme Putain et non Poutine.
L’orthographe Putin est bien répandue, d'autres langues l'écrivent aussi comme ça, sans parler que l’anglais est la langue internationale, mais ce n'est pas parce que c’est la seule « bonne façon » d’écrire son nom.
Malheureusement pour notre plat national, la meilleure façon de transcrire le nom du président russe en français semble Poutine.
D'ailleurs, le nom « Kiev » est la transcription russophone du nom de la capitale ukrainienne, « Київ ». Pour respecter la langue ukrainienne, on devrait plutôt utiliser Kyiv ou Kyïv en français.
Frites-sauce-fromage
Plusieurs personnes associent la décision du restaurant Roy Jucep de remplacer poutine par frites-sauce-fromage aux « wokes » qui « censurent » tout. Mais ce genre de réactions vient habituellement plus de la droite que de la gauche.
C’est très similaire au mouvement lancé par la droite américaine qui cherchait à retirer le mot « french » partout après le refus de la France de participer à l’invasion de l’Irak. Les « french fries » devenaient des « freedom fries », par exemple.
On va se le dire, c’était un brin n’importe quoi. Ce genre de noms ne sont pas tant des hommages que des marqueurs d’origines – même si ces marqueurs sont plus ou moins exacts, la frite est d’origine belge, la pizza hawaïenne est canadienne, etc.
Je ne crois pas qu’on ait besoin d’expliquer à quel point le plat québécois n’a rien à voir avec la Russie. Premièrement parce que c’est une création bien de chez nous, la chicane sur la création pointe toujours une région québécoise, et que le nom de notre plat national est apparu bien avant l’ascension au pouvoir de Vladimir Poutine.
La poutine était déjà un plat légendaire depuis plusieurs décennies avant que Пу́тин fasse parler de lui à l’international autour de l’an 2000. Il y a zéro lien entre les deux, sauf un hasard langagier.
Si un jour apparaît un dictateur nommé Tacos, je doute que les restaurants mexicains enlèvent les tacos de leurs menus.
Bien que je sois convaincu des bonnes intentions du Roy Jucep qui se veut solidaire envers l’Ukraine, on devrait au contraire revendiquer notre poutine au point d’en éclipser le président russe. Ne lui laissons pas toute la place, il en prend déjà trop. Ce serait comme lui céder le territoire.
Vous savez ces tartes à la crème lancées au visage de personnalités publiques considérées indignes? Vladimir Poutine pourrait bien être entarté par une grosse poutine extra sauce.
C’est lui qui n’est pas digne de notre plat national, pas l’inverse.
Solidarité
Plus sérieusement, on peut mieux soutenir l’Ukraine qu’en s’inquiétant pour notre identité québécoise devant une possible confusion entre notre plat national et le président russe. Ces discussions sur notre poutine ou sur la façon d’écrire Poutine nous détournent des vrais enjeux. Ça fait bien son affaire qu’on parle de ça plutôt que de ses politiques.
Comment soutenir l’Ukraine? En s’informant le mieux possible. Avec notre envoyé spécial en Ukraine, Frédérick Lavoie, mais aussi avec d’autres sources fiables comme les correspondantes de Radio-Canada sur place, les journalistes du Kyiv Independant qu’on peut soutenir avec Patreon. En faisant attention à ce qu’on partage sur les réseaux sociaux, idéalement en vérifiant que l’information est validée par une autre source.
On peut soutenir les Ukrainiens et Ukrainiennes, si on a les moyens de le faire, en faisant des dons à organismes internationaux comme la Croix-Rouge ou UNICEF, ou à des organismes ukrainiens comme Nova Ukraine pour l’aide humanitaire, Voices of Children qui offre des soins aux enfants touchés par la guerre, Insight qui se concentre sur les communautés LGBTQ+ particulièrement mises à mal par le régime russe.