Un tournant «inquiétant» selon Rémi Landry

L’invasion russe en Ukraine pourrait marquer le début d’une nouvelle dynamique favorisant les « puissances autocrates » sur l’échiquier mondial prévient un professeur et ancien militaire.

L’intervention de l’armée russe lancée jeudi en Ukraine constitue une ligne rouge dangereuse franchie par le président Vladimir Poutine, juge le professeur Rémi Landry, un ancien militaire déployé notamment en Bosnie et qui enseigne aujourd’hui à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.


« C’est le geste agressif que l’on attendait de Poutine », a-t-il tristement constaté lorsque rejoint par La Tribune, jeudi. Devant l’évidence de la situation, « les Ukrainiens réalisent maintenant que ce n’était pas un bluff » de sa part, a-t-il ajouté.

Résultat, Kiev se retrouve aujourd’hui avec entre 150 et 200 000 troupes russes qui se massent graduellement autour de sa frontière, détaille Rémi Landry, même s’il ajoute qu’il demeure « difficile de savoir ce qui se passe exactement sur le terrain » dans un contexte aussi tendu.

L’Ukraine et ses 140 000 militaires s’activent de leur côté à « mobiliser les forces de réserves » supplémentaires afin de défendre le territoire. Pour Rémi Landry, il est clair que la Russie a les capacités suffisantes pour concentrer ses attaques et réussir à atteindre ses objectifs à court terme, soit de s’établir au Donbass, la région la plus à l’est de l’Ukraine, théâtre de conflit depuis quelques années déjà.

Rémi Landry, professeur et ancien militaire

Malheureusement, M. Landry ne peut s’empêcher de songer aux inévitables victimes des combats. Les frappes stratégiques réalisées sur des quartiers généraux et d’autres installations militaires ukrainiennes à Kiev, par exemple, se font nécessairement « en plein centre de la population », dans une Ville de 3 millions d’habitants, déplore-t-il, prévoyant aussi un afflux de réfugiés en raison des combats, une situation qui lui rappelle de tristes souvenirs de Bosnie.

Jusqu’où ira-t-il?

À plus long terme, l’ancien militaire se demande aussi ce que vise vraiment le président russe, qui affiche une « certaine incohérence », selon Rémi Landry. Le professeur juge ainsi que les accusations lancées contre le gouvernement ukrainien, accusé de s’être établi de manière antidémocratique et même associé au nazisme par Poutine lui-même, ne sont fondées sur « absolument rien », si ce n’est qu’une campagne de désinformation visant à construire le récit que « les pauvres russophones sont martyrisés et massacrés en Ukraine », rapporte le professeur. 

Les cyberattaques feront également partie intégrante de ce conflit, prévient Rémi Landry.

Au-delà du Donbass, l’objectif russe pourrait être de carrément marcher sur Kiev dans le but de « faire tomber le gouvernement », croit-il, ce qui s’avérerait une opération au bilan humain encore plus lourd. Il est même permis de se demander si Vladimir Poutine ne voit pas au-delà de l’Ukraine, maintenant qu’il constate que l’Occident et ses sanctions n’ont pas permis de l’empêcher d’envahir son voisin. 

« Une fois qu’il est là [en Ukraine], ce sera beaucoup plus facile pour lui de poursuivre », a-t-il affirmé, rappelant la présence de minorités russophones dans les pays baltes. C’est en effet l’un des éléments centraux dans l’annexion de la Crimée en 2014 et maintenant l’invasion du Donbass.

Avouant carrément ne pas comprendre la logique de Poutine à l’heure actuelle, Rémi Landry craint qu’il n’entretienne carrément le « rêve de récréer un empire russe ». « Sauf que les empires n’existent plus au 21e siècle », lance-t-il, voyant maintenant l’ordre international établi après la guerre froide complètement remis en cause par les « puissances autocrates » comme la Russie, mais aussi la Chine, qui observe les actions russes en apportant un appui tacite, notamment au conseil de sécurité de l’ONU. Les événements actuels pourraient ainsi inspirer la Chine dans sa manière de gérer ses propres conflits, comme ses visées en mer de Chine qui entrent en contradiction avec celles des autres pays de la région, anticipe le professeur.

Si les sanctions occidentales n’ont pas semblé avoir les effets escomptés jusqu’à maintenant, c’est surtout parce que le régime russe est maintenant « habitué » à cette pression avec laquelle il doit composer depuis plusieurs années déjà. En visant les « oligarques russes qui permettent à Poutine de rester en place », la pression pourrait toutefois s’avérer plus efficace, observe Rémi Landy.