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Une aide d’urgence... en attendant une place en garderie

Carolane Dupont devra faire toute une gymnastique pour son retour au travail en mai, alors que son fils Théo n’aura pas de place en garderie avant plusieurs mois. Elle fait tout de même partie des familles chanceuses puisque des milliers de parents au Québec n’ont tout simplement pas de place.

CHRONIQUE / Ils sont encore et toujours des milliers de parents au Québec qui, quotidiennement, cherchent une place en garderie pour leur enfant afin de pouvoir retourner au travail. Devant l’ampleur du problème, le mouvement «Ma place au travail», réclame actuellement une aide financière d’urgence pour venir combler les besoins de familles qui doivent se priver d’un salaire lorsque l’un des deux parents ne peut retourner au travail. Et l’initiative reçoit un énorme appui.


Un seul petit appel à tous sur Facebook, lancé lundi matin, et ma boîte courriel s’est remplie de témoignages de parents qui ont un point en commun: la pénurie de places en garderie affecte leur retour au travail, leur santé financière et même, souvent, leur santé mentale.

Sandy Wodarka a dû demander un congé sans solde de son travail d’organisatrice communautaire qui se spécialise dans l’accès au logement. Son fils, Albert, a dix mois et pour le moment, aucune place en garderie ne lui est proposée. Comme elle devait tenir son employeur au courant de ses intentions trois mois à l’avance, elle a annoncé qu’elle prenait un congé sans solde, ce qui a d’importantes répercussions sur sa vie.

En effet, elle et son conjoint venaient de faire une offre d’achat sur une maison. Or, bien qu’ils étaient pré-approuvés à la banque pour l’hypothèque, sa nouvelle réalité a fait tomber l’acceptation de l’institution financière. Ils ne savent pas s’ils pourront acheter cette maison, ou continuer de chercher un logement pour juillet, qui sont eux aussi rarissimes.

De son côté, Carolane Dupont se souvient de s’être inscrite sur la liste d’attente de la Place 0-5 ans à la minute même où elle a su qu’elle était enceinte. Déjà à l’époque, la pénurie de places en garderie se faisait sentir, elle le savait. Or, elle doit reprendre son travail en mai prochain comme graphiste à la Ville de Trois-Rivières. Son fils Théo, lui, n’a pas de place en garderie à temps pour le retour au travail de maman. Il pourra avoir une place, mais seulement dans plusieurs mois.

«J’ai songé sérieusement à prendre un congé sans solde. Finalement, on a pu mettre en place une gymnastique qui va me permettre de recommencer à travailler, mais ce n’est pas simple», résume la maman. Cette gymnastique, elle implique des membres de la famille qui prendront soin du petit pendant l’été, une voisine qui a offert de dépanner au besoin, des vacances que papa et maman utiliseront pour être à la maison avec le petit sans pénaliser la carrière de l’autre. Et encore, Carolane sait qu’elle compte parmi les plus chanceuses.

Signe que cette réalité est encore mal comprise, «Ma place au travail» a publié des témoignages sur sa page Facebook pour le démontrer. Comme celui de cette avocate qui travaille pour un ministère et qui, devant l’impossibilité de se trouver une place en garderie, a rencontré de la réticence face à une demande de travail à temps partiel. On lui aurait plutôt répondu: «les grands-parents ça sert à cela». Comme si tous les grands-parents étaient physiquement ou encore géographiquement en mesure de s’occuper de leurs petits-enfants à temps plein...

«J’ai l’impression que les gens ne mesurent pas l’ampleur de la situation. Ça me fâche. Mon enfant aura bientôt 14 mois. Nous n’avons toujours pas de place pour lui. Je ne suis pas faite pour être une mère au foyer, pas du tout, mais je vais le rester tant et aussi longtemps que je n’ai pas un endroit bienveillant, sécuritaire, aimant et où mon fils pourra se développer à son plein potentiel. Je n’ai pas envie de sacrifier la petite enfance de mon enfant. Ça fait que j’ai décidé de sacrifier ma vie à moi. Ma santé mentale. Ma carrière. Mon indépendance financière», m’a confié une autre maman de Trois-Rivières qui a préféré conserver l’anonymat.

L’initiative du mouvement «Ma place au travail» vise à demander au gouvernement une aide financière d’urgence qui permettrait aux parents n'arrivant pas à trouver de place en garderie de demeurer à la maison jusqu’à ce que leur enfant ait 18 mois et ce, sans souffrir de trop grandes pertes financières.

Pourquoi 18 mois? Parce que c’est l’âge où les enfants ne sont plus considérés comme des poupons en garderie, et les ratios sont plus grands. Bien que dans la situation actuelle les places à partir de 18 mois ne sont pas toujours faciles à trouver, elles sont moins rarissimes que les places pour les poupons, explique Evelyn Plante, co-porte-parole du mouvement Ma place au travail.

On reçoit des témoignages chaque jour de parents qui sont désespérés. C’est difficile sur le plan financier, émotif, les parents vivent beaucoup d’anxiété en ce moment.

Cette dernière, sans croire que cette aide financière réglera tous les problèmes, croit au moins que ça aidera plusieurs parents à atténuer la pression financière qui pèse très lourd sur leur famille. Sur la page Facebook de «Ma place au travail», on encourage les gens à se servir d’un modèle de lettre à envoyer au ministre des Finances Éric Girard de même qu’au ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet. Impossible pour le moment de savoir combien de personnes ont pu faire parvenir cette lettre, mais Mme Plante rappelle que le mouvement «Ma place au travail» compte désormais plus de 10 000 membres.

Au cabinet du ministre Jean Boulet, on dit comprendre les parents et on rappelle que le Régime québécois d’assurance parentale permet déjà d’étendre et de moduler les prestations sur 18 mois. Mais pour ce qui est de bonifier cette aide, elle soulève plusieurs enjeux.

«Je m’inquiète de ce que l’effet d’offrir des semaines de prestations additionnelles pourrait avoir. D’abord, on pourrait faire face à une iniquité envers les parents qui n’ont pas à composer avec cet enjeu, mais plus sérieusement, cela pourrait causer la perte des avancées quant à la présence des femmes sur le marché du travail qui pourrait se traduire par un recul de leur santé financière. Ajouter des semaines additionnelles aux options actuelles du RQAP pourrait engendrer une pression financière importante sur le régime pouvant compromettre son financement stable et prévisible. Une solution pour éviter cette pression financière serait d’augmenter les cotisations pour tous les travailleurs. Les cotisations actuelles sont stables et notre objectif est qu’elles demeurent ainsi», indique le ministre Boulet.

On sait que le ministère de la Famille a annoncé un plan visant la création de 37 000 places en garderie au Québec d’ici le printemps 2025. Selon l’attaché de presse du ministre Mathieu Lacombe, tous les efforts sont actuellement mis à la création de nouvelles places et à l’atteinte de cet objectif le plus rapidement possible.

Un objectif louable, mais qui n’apporte pas encore de solution immédiate à ceux et celles qui cherchent une place pour retourner travailler immédiatement.

«On le remarque avec le mouvement que ce sont bien souvent les femmes qui restent à la maison, car ce sont elles qui font le plus petit salaire. Pendant que je ne suis pas au travail, non seulement je n’ai pas de salaire, mais je ne peux pas accéder à des promotions, je ne cotise pas à ma retraite. Ça hypothèque tout. Cette aide financière, ce serait une bouffée d’air frais, mais ça permettrait aussi d’éviter encore une fois de précariser les femmes», martèle Sandy Wodarka.