La chargée de cours et chercheuse associée à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Québec à Montréal (UQAM), Denise Proulx, croit qu’il y a beaucoup de conflits d’intérêts dans le domaine des porcheries. La spécialiste estime qu’il est important que les intégrateurs de porcs et le gouvernement du Québec changent d’approche en matière de production porcine. « Le gouvernement doit démontrer que son rôle est d’abord le bien public. »
Elle explique qu’un des problèmes reliés à la production porcine est la capacité des sols à absorber le lisier. « On se trouve à avoir des problèmes de surplus de phosphore ou de lessivage dans les cours d’eau lors de grandes pluies ou de la fonte de la neige au printemps », évoque-t-elle.
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Une industrie confrontée à plusieurs enjeux
La professeure émérite estime que l’industrie porcine est confrontée à de nombreuses problématiques, soit légales, économiques, sociétales et culturelles.
Les deux spécialistes sont notamment en désaccord avec la procédure qui permet aux producteurs de présenter des projets ayant un nombre de porcs tout près de la limite autorisée afin d’éviter un Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE).
« On sait qu’en toute complicité avec le gouvernement du Québec, les compagnies contournent la Loi sur la qualité de l’environnement pour échapper à des audiences publiques [du BAPE]. Ils le font en toute complaisance avec le gouvernement en place et en toute légalité. La loi permet cette délinquance. Cette problématique légale est liée à un enjeu éthique puisque la loi est contournée et que le bien commun est accaparé. On en arrive à une problématique économique puisqu’au nom de la productivité, on va promouvoir une certaine agriculture et un accaparement du marché par les grandes compagnies. Ce système d’intégration, je pense que Olymel est un exemple, inféode les producteurs affiliés qui deviennent comme les employés. Ils sont prisonniers d’un système qui contrôle leur mode de production. [...] Ils [les intégrateurs] vont les aliéner à une certaine forme d’agriculture dans une dynamique de mondialisation. On est très loin de la souveraineté alimentaire », explique Lucie Sauvé.
L’agriculture doit être gérée dans une perspective de bien commun. Présentement, ce n’est pas le cas.
Lucie Sauvé évoque aussi qu’il y a une problématique de gouvernance. « Le système de lobbying est une grave atteinte à la démocratie. Ça instaure une forme de gouvernance politico-économique. [...] La parole des industries et des compagnies devrait être entendue, dans un processus démocratique, dans le cadre des consultations comme celle des citoyens. »
Des techniques plus vertes, mais plus chères
D’autres techniques de production moins incommodantes pour l’environnement pourraient être utilisées selon Denise Proulx. Cependant, ces dernières sont plus dispendieuses.
« Il existe des techniques de production d’élevage qui sont moins porteuses d’odeurs, mais c’est plus cher. C’est beaucoup plus facile et moins dispendieux d’élever des porcs sur des caillebotis, mais si on faisait des élevages sur paillis, l’ammoniac qui se dégage sera moins fort. L’idée est de fonctionner avec le plus bas coûts de production. L’avantage est que maintenant les citoyens sont sensibilisés à l’environnement. Ils sont conscients des problématiques qu’il y a. »
« L’agriculture doit être gérée dans une perspective de bien commun. Présentement, ce n’est pas le cas. C’est dans une perspective de profits pour certains qui tiennent les manettes de la marionnette de décision », ajoute Mme Sauvé.
Les citoyens doivent aussi prendre leur responsabilité
Denise Proulx explique que les citoyens doivent aussi accepter de voir le prix de la nourriture augmenter s’ils souhaitent avoir une production plus respectueuse de l’environnement.
« Les citoyens veulent manger ce qu’ils veulent et quand ils le veulent au plus bas prix possible. Cette mentalité doit aussi changer. […] Ça ne peut pas être toute la responsabilité du producteur. »
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Celle qui est également chargée de cours à l’UQAM estime qu’un BAPE devrait être réalisé pour chaque production porcine. « On le sait que les sols sont saturés. [...] Le minimum de responsabilité politique est de faire une analyse complète des conséquences économiques, sociales et environnementales. Les citoyens ne seraient pas nécessairement contre. Ce n’est pas tous les projets qui seraient arrêtés. Les citoyens auraient la confirmation que la production respecte le vivre-ensemble », croit-elle.
« Je pense que dans une société démocratique, le BAPE est une des plus belles avancées au Québec et même une avancée phare à l’échelle internationale », renchérit Lucie Sauvé.
Denise Proulx estime que le ministre Benoît Charrette aurait dû se servir de son pouvoir discrétionnaire afin de demander un BAPE pour les projets porcins s’approchant de la limite fixée à 4000 bêtes.
Elle estime que le processus de consultations publiques devrait être revu afin de consulter la population concernée par les différents projets de porcherie avant l’émission des certificats d’autorisation. Selon elle, la législation favorise l’industrie porcine et non les citoyens. « Ce n’est pas organisé pour prendre en compte le bien commun. »
Mme Proulx croit que l’enjeu alimentaire doit être mis de l’avant lors de la prochaine campagne électorale. « Il faut que l’agriculture et la qualité de la production soient au cœur des débats dans les régions. […] Il faut maintenant faire en sorte que l’agriculture soit responsable. [...] Il faut que les gens à tous les niveaux prennent conscience que la nourriture est l’un des éléments les plus importants de notre vie », ajoute-t-elle.
L’agriculture, un milieu difficile
Denise Proulx se dit toutefois très consciente que l’agriculture est un milieu « excessivement difficile ». « Il y a beaucoup d’endettement et de détresse », note-t-elle.
« Ce n’est pas aux productions que je m’en prends. C’est aux intégrateurs. Les intégrateurs, c’est comme des machines. Le producteur de porcs indépendant travaille à échelle humaine. Actuellement, la façon dont le développement est en train de se faire, c’est à son détriment. Ce n’est pas normal que les producteurs qui veulent continuer à échelle humaine n’aient plus leur place dans l’agriculture au Québec », relate Mme Proulx.
Le président de l’UPA-Estrie Michel Brien trouve inquiétant de voir que les grands intégrateurs porcins prennent de plus en plus de terrain en laissant moins de place aux petits producteurs indépendants. « Actuellement, Olymel va diminuer ses activités d’abattage d’environ 500 000 porcs par année. Mon questionnement. Ils vont couper ce nombre chez quel producteur vous pensez? Chez les producteurs qui sont en intégration pour eux ou chez les producteurs indépendants? S’ils coupent chez des indépendants qui peinent déjà à arriver, c’est comme la fin des petits producteurs indépendants. »
« Ce n’est pas nécessairement ce qu’on souhaite, mais présentement l’industrie se dirige vers des grosses fermes porcines », ajoute-t-il.
Dans les prochaines années, Denise Proulx souhaite voir un plus grand nombre d’abattoirs régionaux afin d’améliorer l’indépendance des producteurs. Elle espère aussi que des débats régionaux seront organisés afin d’aborder les différentes stratégies de développement de l’agriculture en région.
« Il est largement temps qu’on remette la question de l’agriculture sur la table au Québec », conclut Mme Sauvé.
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Acceptabilité sociale ou acceptation sociale ?
La professeure émérite et chercheuse au Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté Lucie Sauvé croit qu’il y a un certain flou entre le phénomène d’acceptabilité sociale et d’acceptation sociale. Elle explique qu’en raison de certains facteurs comme les débats contrôlés et l’écoblanchiment, des populations se résignent à accepter des projets contre leur gré.
« C’est de l’acceptation sociale, de l’acceptation par résignation ou par épuisement. »
Elle explique que l’acceptabilité sociale est fondée sur des valeurs et sur une éthique socialement construite. « L’acceptabilité sociale ne peut se construire que dans un débat sain qui interpelle une diversité d’acteurs. »
Sylvie Béland est membre du regroupement citoyen Vers un Val vert. Elle dénonce l’installation de porcheries ayant des productions industrielles sur le territoire estrien, mais aussi partout dans la province. « Quand est-ce que ça va arrêter ces projets de mégaporcheries ? », lance-t-elle d’entrée de jeu.
« Nous ne sommes pas contre l’agriculture. Nous ne sommes pas contre les porcheries. Nous sommes contre l’agriculture industrielle qui a des impacts environnementaux, socio-économiques et sur la santé. Nous sommes en faveur d’une agriculture à l’échelle humaine », assure-t-elle.
Le président de l’UPA-Estrie, Michel Brien explique que les projets porcins causent peu de risques environnementaux si l’ensemble des règles sont respectées et que les différentes pratiques sont réalisées adéquatement.
« Plus les producteurs vont faire attention à l’utilisation des fumiers ou des autres fertilisants [mieux ce sera pour l’environnement]. On va dire les vraies choses, dans le passé, les gens ne faisaient pas attention. Mais aujourd’hui, en faisant attention à l’application des fumiers, il n’y a pas de raison que ça se rende au cours d’eau. Des accidents peuvent arriver si on épand et qu’il tombe 50 millimètres de pluie, mais en temps normal, quand les choses sont bien faites, il n’y a pas de raisons que ça se rende aux cours d’eau », mentionne-t-il.
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Mme Béland dénonce le fait qu’au Québec, sept millions de porcs sont élevés et abattus annuellement.
« 70 % de la production porcine est destiné à l’exportation principalement en Chine. On ne parle pas de production locale et de l’autonomie alimentaire pour répondre à nos besoins locaux et nationaux. [...] L’exportation, c’est important sur le plan économique, mais pas au détriment de la détérioration de notre environnement. Nous envoyons 70 % des porcs à l’étranger, mais on reste avec le lisier qui contamine les eaux riveraines par exemple. »
Consultations défaillantes ?
Tout projet de porcherie de 4000 porcs et plus doit être soumis obligatoirement à un Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) afin d’évaluer les risques environnementaux.
Mme Béland évoque que cet enjeu crée des tensions entre les citoyens et les éleveurs porcins. « Le gros problème est qu’il y a un stratagème systématique qui permet de contourner l’esprit de la loi. Les producteurs présentent des projets entre 3996 et 3999 porcs », mentionne-t-elle. Elle ajoute que maintenant des producteurs ayant des projets de porcheries contenant des dizaines de milliers de porcs divisent leur nombre total de bêtes en plusieurs bâtiments distincts qui sont situés à proximité les uns des autres. Ils ne sont donc pas soumis à la procédure d’évaluation du BAPE.
D’ailleurs, Michel Brien croit que les consultations publiques, dans leur format actuel, devraient être plutôt appelées « présentation du projet ».
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Sylvie Béland croit que le processus de consultations publiques est inadéquat comme elles sont réalisées après l’octroi des autorisations gouvernementales.
« Les citoyens sont mis devant le fait accompli. C’est une frustration. La seule chose que l’on peut faire est de demander à la Municipalité des mesures d’atténuation qui sont principalement pour diminuer les odeurs. Les odeurs ne sont pratiquement pas un problème. Ce n’est pas l’idéal, mais quand on habite dans un milieu agricole, on s’attend à ça. Le problème est plutôt la contamination des eaux riveraines et la contamination de la nappe phréatique. »
« Tout le côté épandage, il faut changer la donne, note M. Brien. Il faut être très vigilants et continuer d’améliorer nos pratiques. C’est aux utilisateurs de purin d’être le plus vigilants possible pour améliorer la situation. »
La MRC du Val-Saint-François a également demandé au gouvernement Legault de revoir son processus de consultations publiques porcines. Le Val-Saint-François aurait dans ses plans de tenir des consultations publiques concernant la révision de son schéma d’aménagement du territoire à l’automne pour encadrer l’arrivée de nouvelles porcheries.
Dans leur rapport annuel 2020-2021, les Éleveurs de porcs du Québec indiquaient que l’Estrie comptait 200 éleveurs.
Surveiller les quantités d’eau requises
La quantité d’eau nécessaire afin de nourrir les porcs et de rendre le lisier liquide est également un enjeu qui inquiète la dame. « On sait qu’il y a de moins en moins de précipitations l’été et il fait de plus en plus chaud. Peut-être que ce n’est pas un problème les quantités d’eau, mais pour ça il faut le savoir avec une évaluation environnementale. »
Michel Brien estime aussi qu’il est essentiel de surveiller les nombres de litres d’eau requis pour faire la production de plusieurs milliers de porcs. « Qu’on soit un simple citoyen ou un autre producteur et qu’on est à côté d’un futur gros site, ça peut arriver que la consommation des grosses porcheries influence le niveau des puits artésiens [...] Assécher les puits des voisins pour faire des projets porcins, ce côté-là est aussi inquiétant », souligne-t-il en ajoutant qu’il est important de porter une attention particulière à la capacité des nappes phréatiques notamment.
Sylvie Béland estime que les lois devraient être modifiées afin d’assurer que les projets de porcheries soient soumis à des évaluations. « On pense de plus en plus à un moratoire pour les élevages porcins. C’est sur que ça nous prend un soutien important du gouvernement, mais c’est peut-être la voie à suivre. »
M. Brien mentionne qu’il est important pour l’UPA de sensibiliser les producteurs afin de diminuer les impacts environnementaux des pratiques agricoles.
« Nous, en production laitière, on doit analyser l’eau deux fois par année. Je n’ai jamais vu de puits contaminés par le fumier. Ce n’est pas impossible de contaminer des sources d’eau potable par le purin en Estrie, mais si on respecte les distances séparatrices des puits, il n’y a pas de raisons qu’on contamine des sources d’eau potable en épandant. » Il ajoute qu’avec les fosses construites en béton et possédant des drains, il est possible de déceler s’il y a des fuites.
Pour le président de l’UPA-Estrie, la communication entre les producteurs et le voisinage est essentielle. « Il y a toujours une certaine incertitude. L’approvisionnement en eau potable reste toujours un défi. C’est pour ça que ça prend vraiment des études indépendantes avant la construction pour s’assurer qu’il n’y aura pas d’impacts sur le niveau des puits des voisins. »
Michel Brien indique d’ailleurs que les marges de profits ne sont pas très grandes pour les producteurs en intégration s’ils n’ont pas plusieurs milliers de porcs à leur charge. « Ça prend pratiquement le maximum pour aller chercher un profit décent pour le producteur. Le système est fait comme ça. J’ai un ami qui gardait 2000 porcs à l’engrais et il avait un travail à l’extérieur pour arriver. C’est un modèle dans lequel il faut en garder beaucoup pour en vivre. »