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***

Les offres de nuitées romantiques ont défilé sur ton écran, tandis que tu revenais d’aller reconduire les petits chez leur père. Demain, tu pourras dormir jusqu’à midi, chose qui ne t’arrive plus depuis la naissance de ton premier. Tu repenses à ce jour, justement, celui de sa naissance, à combien tu étais attachée, alors, à ce qui t’apparait aujourd’hui comme une fraude : la famille.

Ce jour-là, où tu avais cru mourir juste avant que la vie ne te soit déposée sur le ventre, tu avais ramené ton paquet de chair neuve dans un siège d’auto. Il avait tout préparé. Il était nerveux, mais faisait de son mieux. Il a fait de son mieux dix ans après encore, jusqu’à ce que son mieux ne te soit plus assez. La bouteille de blanc est restée ouverte sur le comptoir, tandis que tu tentais de noyer à chaque lampée, un peu de ce qui se faisait acide en toi, dans l’estomac comme dans le cœur.

Samedi, tu étais réveillée à 7 heures, par réflexe. Tu as découvert ce texto que tu avais échappé la veille une fois la bouteille terminée : « tu me manques ». Tu as eu honte. Ne t’en fais pas. Toi aussi tu fais de ton mieux.

***

Dans la rue tu ne voulais pas la voir, mais elle t’a regardée en plein dans les yeux. Tu l’as reçue par le plexus, plutôt. C’est toujours par là que tu l’as reçue, de toute façon. Tu as fait mine de la détester, alors que tu avais envie de l’avaler, encore, parce que rien ne remplace pour toi le sel de sa peau, la lente dissolution de ton être que son étreinte te permet. Sans elle, tu dois te porter entière, brisée sur les trottoirs de ta ville.

C’est le 14 février. C’est lundi. « L’hiver est même pas sûr de lui ». Il fait tôt pour fumer, tu te dis. Tôt dans la rupture. Tu t’étais promis de ne pas rechuter. Il y a des chutes qui doivent se vivre au ralenti. Tu décides donc de fumer, mais lentement. Tu arrêteras quand tu seras à nouveau capable de respirer par toi-même.

***

Tu ouvres la porte de l’appartement et tombes sur un vide. Il y a dans un coin, le haut-parleur que tu as acheté, une chaise, une note. Tu le savais que ce n’était pas une bonne idée qu’elle meuble entièrement l’appartement. Tu l’as écoutée quand même, parce que tu as fait ce que tu fais toujours : te prendre, te mettre dans un petit tiroir en attendant qu’on approuve ce que tu es. Tu trouves toujours qu’elle a raison, elle, qui a toujours de meilleures idées, qui sait comment décorer, comment faire à manger, comment plier les serviettes de la salle de bain, comment créer le vide autour de toi, pour que tu lui appartiennes entièrement, elle, qui a fini par partir avec ses meubles, te reprochant d’être trop « beige » finalement.

Tu entres dans le vide de toi.

Tu prends le téléphone, le relie au haut-parleur et écoute cette chanson.

Tu t’assois sur la chaise, lis la note et laisses la douleur te dépecer.

Tu ne le sais pas encore, mais la chanson que tu écoutes depuis des mois en pensant qu’elle parle d’elle, « I found you », c’est de toi qu’elle parle.

Il se pourrait bien que ce soit la dernière fois que tu te laisses plié, rangé, bien placé dans un tiroir.

***

Il a insisté encore. Tu l’as écouté encore. Tu ne sais pas comment lui dire non. Tu existes dès qu’il te voit. Il en voit d’autres, tu le sais. Il appelle même ça « du féminisme », par un détournement de la pensée qui t’échappe.

Il t’explique, t’expose les lois, ses lois, du polyamour. « Tu peux voir qui tu veux, toi aussi ». Ton problème, c’est que tu n’en as pas envie. Tu n’as que lui dans la peau, dans les veines, dans tous les organes visibles et invisibles que tu portes. Il est brillant. Il te demande de « gérer ta jalousie », alors que tu as précisément l’impression que c’est ce que tu fais du matin au soir. Tu te retiens d’ouvrir son cellulaire. Tu te retiens de lui demander avec-qui-quand-comment-combien-de-fois. Tu te retiens de tout, même de toi. Tu te retiens tellement que tu ne manges plus.

Tu ne le sais pas encore, mais ça te prendra encore quelques mois avant de contacter quelque chose comme une grande colère. Tu ne connais pas beaucoup ça, la colère, tu l’as toujours ravalée en toi, retournée comme les bouchées que tu faisais rouler dans ta bouche avant de les avaler. Ta colère va te sauver la vie.

Ce sera le plus beau legs qu’il te laissera.

***

Au restaurant elle est absente. Au lit elle est absente. Dans ses yeux elle est absente. Tu multiplies les arabesques, les cabrioles, les étincelles, tu es à la veille de t’immoler toi-même pour la ramener du côté du vivant. Il se peut que tu la berces ainsi jusqu’à la fin, que tu acceptes que ta vie d’amoureux, à toi, aura été celle d’un gentleman qui tient la porte à une femme qui ne sait rien du vocabulaire de l’amour.

Tes enfants le diront à tes funérailles. Un homme d’honneur et de cœur.

***

Tu déconstruis une à une les pièces d’une prison dans laquelle tu t’es enfermé depuis des années, en cohérence avec les dogmes de ton époque. Tu ne te sens plus appartenir à aucune case, tu exultes soudainement par des portes de ton corps que tu ne connaissais pas. Tu oses marcher ton chemin et le découvrir du même coup. Tu es jugé, rejeté, par des gens dont tu te fous maintenant éperdument. Tu es toi. Et tu découvres que la liberté à un nom, ton nouveau nom.

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