Trois mois à être privés de travail, à s’en remettre à des bénévoles pour pouvoir manger et se soigner, à s’occuper comme ils le peuvent pour passer le temps en attendant un appel de leur avocat ou une intervention favorable du ministre fédéral de l’Immigration Sean Fraser.
Trois mois à être privés de liberté.
« Les journées sont longues. On pense juste à quand on va pouvoir sortir. Le temps ne passe pas vite », exprime Manuel Rodriguez.
« C’est très difficile, renchérit Georgina Flores. Nous vivons dans l’incertitude, dans le doute de savoir combien de temps encore on va devoir rester ici. Tous les jours je demande à Dieu de pouvoir retrouver notre liberté. »
Ils croyaient qu’en six à huit semaines, leur dossier serait entendu, mais trois mois plus tard, ils sont toujours sans nouvelles, tant du ministère de l’Immigration que de l’Agence des services frontaliers, qui a le pouvoir de les forcer à se conformer à la mesure de renvoi qui pèse contre eux, mais qui viole très rarement, dans les faits, le sanctuaire que constitue une église.
« Nous demandons pardon au gouvernement du Canada parce que nous ne sommes pas partis comme il nous le demandait, dit Georgina. Mais si nous étions retournés au Mexique, c’est la mort qui nous attendait. Nous sommes restés pour protéger nos vies. »
« Je supplie le gouvernement du Canada de nous accorder une seconde chance de rester ici », ajoute-t-elle.
Depuis le 8 novembre, leur avocat Stewart Istvanffy a d’abord déposé une demande de permis de séjour temporaire qui leur aurait permis de sortir de l’église et de reprendre leur vie habituelle et leur emploi, en attendant que leur situation soit régularisée.
Il s'apprête aussi à déposer une demande de résidence permanente pour des raisons humanitaires, une procédure plus longue à faire aboutir, disait-il, mais qu’il s’est néanmoins résolu à entreprendre.
Parce que trois mois plus tard, la famille et tout le réseau d’entraide qui la soutient s’expliquent mal le silence des autorités. Et ils tentent de garder espoir.
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Garder espoir
Dans le petit temple de la rue Dufferin, avec l’aide et la générosité de la communauté de l’Église unie et d’autres bénévoles, les Rodriguez-Flores se sont aménagé une petite vie à l’ombre.
« On essaie qu’ils soient le plus à l’aise possible, relate le pasteur Samuel Dansokho, mais c’est quand même une prison. »
Georgina ne cache pas que le mois de janvier a été très lourd à traverser. Avec les restrictions sanitaires, même sa fille Claudia et ses deux petits-enfants de 18 mois et cinq ans, qui vivent à Sherbrooke et qui ne sont pas visés par la mesure d’extradition, ont dû cesser leur visite.
« Je suis aussi inquiète pour Manuel et Manolo, dit-elle. Ils sont tristes et déprimés. »
Manolo tente de terminer son secondaire 5. Ses professeurs de l'école du Goéland lui préparent des travaux qu’il fait seul dans son coin.
« Je me sens triste, dit-il, parce je ne peux pas aller à l’école, ni voir mes amis, ni aller travailler. »
Manuel pour sa part passe beaucoup de temps à dessiner et à faire des casse-tête.
« Je suis mal parce que nous ne sommes pas en liberté, reconnaît-il. Je suis déprimé parce que chaque jour que nous vivons ici est un jour de perdu dans ma vie. »
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Des anges sur leur route
Avant de se réfugier dans l’église, Manuel et Georgina étaient des travailleurs appréciés à l’usine PPD à Sherbrooke. La pénurie de main-d’œuvre leur laissait d’ailleurs croire que leur requête pour rester ici serait plus vite entendue.
Depuis trois semaines, grâce à une enseignante à la retraite un peu tombée du ciel, Sylvie Huard, ils ont recommencé à suivre des cours de français. Pour être prêts quand ils reprendront leur vie normale.
C’est d’ailleurs en français qu’ils ont répondu aux questions de La Tribune, mercredi, alors qu’ils devaient s’en remettre à un interprète pour traduire leurs propos en novembre dernier.
Autour d’eux, le réseau d’entraide tient bon. Outre les quelques amies proches qui les soutiennent depuis le début, de même que le pasteur Dansokho et la coordonnatrice de la logistique du projet pour l’Église Shanna Bernier, une vingtaine d’autres bénévoles leur viennent en aide d’une façon ou d’une autre.
Une campagne sur GoFundMe leur a aussi permis de récolter plus de 4500 $ jusqu’ici pour les aider à remplir leurs obligations financières, puisqu’ils sont privés de leurs revenus d’emploi.
Depuis peu, trois psychologues ont aussi accepté de les prendre en charge gracieusement pour briser les épisodes dépressifs qui se sont manifestés trop souvent ces derniers temps.
« Ils ont mis des anges sur notre chemin », aime à dire Georgina.
« Nous sommes très reconnaissants envers le pasteur Samuel et toute la communauté de l’Église de nous permettre d’être ici et de croire en nous, ajoute-t-elle plus sérieusement. On les remercie pour la sécurité, la générosité, la solidarité et l’amour qu’ils nous donnent. »
« Nous sommes bien ici, c’est vrai, mais nous ne sommes pas libres, termine Manuel. Et ce que nous voulons c’est notre liberté. Bientôt. »
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Église vendue?
L’Église unie a rapidement rassuré les troupes en annonçant que quoi qu’il arrive, la communauté de foi allait continuer de soutenir la famille Rodriguez-Flores tant qu’elle aura besoin d’elle. « L’Église n’a pas encore reçu d’offre d’achat et il reste beaucoup d’étapes à franchir dans les mois qui viennent », explique Shanna Bernier. « Et même quand ce sera vendu, il se peut que ça reste une église encore un certain temps avant que des travaux d’aménagement soient entrepris. » L’Église unie n’a pas encore décidé, non plus, de la suite des choses pour elle-même. Est-ce qu’elle louera un nouveau lieu de culte? Est-ce qu’elle partagera un temple avec une autre communauté religieuse? « De toute façon, on espère que tout sera réglé avec la famille avant qu’on doive déménager. »
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Vigiles et pétition
Les vigiles qui avaient commencé avant les Fêtes pour soutenir la famille Rodriguez-Flores vont probablement reprendre d’ici quelques semaines. Elles ont été interrompues devant le reconfinement du 30 décembre et les grands froids de janvier. En attendant, les Sherbrookois qui souhaitent manifester leur appui à la famille peuvent signer une pétition mise en ligne sur le site change.org.
L’équipe de soutien de la famille prépare aussi d’autres actions de visibilité pour accentuer la pression sur le monde politique et a entrepris de ramasser des appuis officiels dans le réseau communautaire de la région. « On veut démontrer au gouvernement que la demande de la famille n’est pas une demande isolée, c’est une demande collective, explique Adriana Herrera Duarte. C’est toute la communauté sherbrookoise qui demande au gouvernement de donner une deuxième chance à la famille.
[ Rodriguez-Flores : les ministres de l’Immigration interpellés ]
[ Une première vigile guidée par l’espoir pour la famille Rodriguez-Flores ]