Chronique|

(Re)découvrir le monde avec Gary Lawrence

Le récit de Gary Lawrence sur la route de la Mort, en Bolivie, suffit à décourager les poules mouillées comme moi de s’y aventurer.

CHRONIQUE / La pandémie aura cloué même les grands aventuriers comme Gary Lawrence en sol canadien. Le rédacteur en chef du magazine Espaces et journaliste pour Le Devoir n’en a pas moins été prolifique en matière de carnets de voyage. Après ses Fragments d’ailleurs, qui soulignaient en 50 récits 25 années de bourlingue, et ses Fragments d’ici, un livre imprévu qui s’est imposé par l’inachevable COVID, il revient avec Fragments d’ailleurs 2. De la Norvège à Oman, en passant par le Mexique et l’Australie, il entraîne une nouvelle fois le lecteur autour du monde par la magie des mots.


« J’avais déjà pensé à ce deuxième tome, mais je ne voulais pas étirer la sauce. » C’est que le recueil recense les meilleurs reportages de voyage qu’il a publiés en plus de deux décennies.

Forcé au repos deux fois plutôt qu’une dans la dernière année, Gary Lawrence a retrouvé des textes oubliés qui l’ont refait voyager. « Ils m’ont permis de repartir à travers mes propres expériences. C’était un soulagement en même temps, à défaut de voyager pour vrai. »

Quand prendre la poudre d’escampette met du beurre sur la table et qu’on a la boulimie des découvertes, pas facile de tenir en place. « Quand je pars, je veux maximiser chaque minute. Je m’écrase rarement sur une plage. Même que mon fils trouve que j’avance à un rythme un peu trop accéléré. »

Même sédentarisé, Gary Lawrence s’alimente aux projets à l’étranger qui le font rêver... et qui tournent forcément au vinaigre, annulation par-dessus annulation. « Je n’arrête pas de faire des plans. Mais je les reporte sans arrêt. »

Entre-temps, il donnera sans doute quelques bribes d’inspiration à ceux qui s’éloignent des circuits plus traditionnels. À Prora, en Allemagne, il lève le voile sur une colonie de vacances commandée par Hitler qui échappe habituellement aux yeux des touristes. C’est que les huit immeubles de 500 m, construits dans une station balnéaire entre 1936 et 1939, n’ont rien de bien photogénique. On n’y a pas installé de Club Med non plus. Mais les férus d’histoire y verront une anecdote qui justifie sans doute un long détour vers le nord de l’Allemagne.

« Dans ce voyage-là, comme toujours, j’avais un itinéraire de base. Mais quand j’arrive sur place, je lis le plus possible et je module le trajet. Quand j’ai entendu parler de ça, il fallait que je m’y rende. C’était une histoire toute crue dans le bec. »

Pour la rédaction de son livre, Gary Lawrence a dû mettre à jour ses chroniques, dont celle sur le Botswana, où la protection de la faune est moins rigoureuse depuis quelques années.

Déjà, tout ce qui touche à l’histoire avec un grand H attirera forcément son attention. Sa visite au Rwanda, racontée à travers une expédition pour voir les gorilles, l’a bouleversé. Les récits du génocide, plus vrais que vrais, lui font affirmer que le voyage peut être un sérieux vaccin anti-haine. Parce qu’on verra bien qu’on est tous pareils. Parce qu’on ne peut pas rester insensible à la bêtise humaine. « Si on peut convertir un seul imbécile, ça vaut la peine d’y aller. »

Fragments d’ailleurs 2 vogue de surprise en surprise. Les détails, parfois pointus, donnent selon Gary Lawrence les meilleures histoires. « Si on part trop large, qu’on s’éparpille, on tombe dans la brochure de voyage. »

Ainsi nous entraîne-t-il dans le Musée de l’horlogerie Beyer, à Zürich, en Suisse, à la rencontre des suricates au Botswana ou dans les aléas atmosphériques qui lui ont fait manquer les coulées de lave à Hawaii. « J’y ai pris des risques débiles pour rien du tout. Au moins, ç’a donné une bonne chronique. »

Autrement, le journaliste et auteur ne dira que très rarement non à un défi ou une mission. « Quand je suis allé en Scanie, en Suède, je ne connaissais pas Henning Mankell. La rédactrice en chef du Elle m’avait parlé de la possibilité de me lancer sur les traces des intrigues du romancier. »

Gary Lawrence confond sans aucun doute le lecteur en décrivant l’univers de Mankell comme s’il connaissait tous ses romans par cœur. « J’ai visité la région où se trouve le poste de police de ses histoires. Je me suis donné le défi de voir le plus de sites nommés dans ses romans. J’adore faire ces trips qui me permettront de vivre des choses inattendues. »

Gary Lawrence

Dans Fragments d’ailleurs 2, publié aux Éditions Somme Toute, le lecteur le suit également sur les traces de Frida Khalo et Diego Rivera, à Mexico, alors qu’il répertorie quantité d’œuvres publiques réalisées par l’un ou l’autre de ces peintres de renom. Une autre mission guidée cette fois par un intérêt plus personnel.

Dans les 50 récits, on ne repassera pas souvent par la même patrie. La France, la Bolivie, le Botswana, la Chine et l’Inde s’y trouvent deux fois. C’est tout! Dans certains cas, une mise à jour de l’article original aura été nécessaire, comme pour le Botswana, où la protection de la faune est en déclin depuis le premier jet de l’article en 2014. Pour les Maldives, il aura fallu fondre trois récits en un pour arriver à un résultat qui plairait à l’auteur.

Il y a donc dans ce bouquin, entre les anecdotes, l’humour des mots d’esprit et les métaphores imagées par une plume acérée, de quoi satisfaire toutes les curiosités. Tantôt, les poules mouillées comme moi auront la trouille devant le parcours à vélo de la route de la Mort, en Bolivie. Tantôt, les nostalgiques reverront la Roumanie qu’ils ont visitée, souriront à l’évocation d’une charrette traversant un village ou d’une vieille église traditionnelle en bois. « Ça m’émeut de savoir que je peux toucher des gens. On n’a pas toujours conscience de l’impact qu’on peut avoir », confie le scribe au mode de vie nomade.

Enfin, l’ouvrage sera sans doute le dernier de la série « Fragments », même si Gary Lawrence se promet de revoir l’étranger plus tôt que tard. Il rêve d’un deuxième rendez-vous à Hawaii, de ski dans les Alpes ou d’Ouzbékistan. « Je voudrais aller dans des pays où la situation sanitaire est sous contrôle. » L’Italie et l’Autriche pourraient aussi le convaincre de prendre le large l’été prochain.