Chronique|

Les deux solitudes de la Loi 21

Edith Gendron et Antoine Pich

CHRONIQUE / Vous souvenez-vous d’Edith Gendron? Cette fonctionnaire fédérale avait perdu son emploi à Patrimoine Canada en 2004 parce qu’elle militait – en dehors des heures de bureau – pour la souveraineté du Québec. Le gouvernement canadien s’était battu devant les tribunaux pour défendre son droit de congédier une employée ne respectant pas la neutralité politique de l’État.


Ce même gouvernement conteste aujourd’hui le droit du Québec de congédier des fonctionnaires ne respectant pas la neutralité religieuse de l’État. Contradictoire, dites-vous?

La Charte canadienne des droits et libertés protège la liberté de pensée et d’opinion. Néanmoins, Ottawa-l’employeur estime qu’il y a une limite à l’expression de cette liberté et ne se gêne pas pour l’imposer à ses fonctionnaires. Si Mme Gendron a été réintégrée deux ans plus tard suite à un jugement favorable, ce ne fut pas au même poste et ce fut avec l’obligation de limiter dorénavant ses prises de parole publiques.

Antoine Pich n’a pas été aussi chanceux. Ce jeune notaire de 26 ans avait été congédié en 2007 du ministère de la Justice quand ses patrons ont découvert qu’il s’était porté candidat pour Québec Solidaire sans avoir demandé l’autorisation préalable. Qu’importe s’il n’était qu’un candidat-poteau n’ayant aucune chance d’être élu en Outaouais. Qu’importe si ce jeune homme qui terminait à peine son stage n’occupait pas un poste névralgique. On a jugé que ses convictions séparatistes le plaçaient en conflit de loyauté. Moins combatif que Mme Gendron, M. Pich a déménagé et est passé à autre chose.

Ajoutons qu’en vertu des règles de la Commission de la fonction publique, à peu près aucun fonctionnaire fédéral, même de niveau très intermédiaire, n’obtient la permission de faire quoi que ce soit pendant une campagne électorale.

Il semble donc bien établi que l’État fédéral peut limiter les activités partisanes de ses employés, même sur leur temps libre, et se débarrasser des contrevenants. Pourtant, on monte aux barricades à cause de la réassignation de Fatemeh Anvari, cette enseignante de Chelsea qui a ouvertement enfreint l’impartialité religieuse exigée de Québec en portant le hijab. Comment expliquer ce «deux poids, deux mesures»?

Les francophones ont tendance à considérer la religion comme une idée alors que les anglophones l’envisagent plutôt comme une identité. Une idéologie, qu’elle soit religieuse ou politique, peut être critiquée et peut aussi être limitée dans son expression. C’est cela qu’a voulu exprimer François Legault en comparant le voile musulman à un chandail du Parti libéral. Les anglophones ont raillé ce parallèle car pour eux, la foi est une identité si profonde qu’elle s’apparente à une condition objective, donc inaltérable. Pas plus qu’il ne viendrait à l’esprit de quiconque d’exiger d’une personne noire qu’elle cache la couleur de sa peau pour aller travailler, on ne saurait, selon cette logique, demander à une musulmane de renier sa foi en retirant son foulard. Pour les uns, on ne naît pas croyant, on le devient. Pour les autres, on est croyant. Pour les uns, il s’agit d’un choix. Pour les autres, d’un état.

Il s’agit, bien évidemment, de généralisations. Il se trouve des francophones opposés à la Loi 21 tout comme il se trouve des anglophones qui l’appuient. Un sondage Angus de 2019 chiffrait à 37 % l’appui à la Loi 21 dans le ROC. La Boussole électorale de Radio-Canada avait établi que les électeurs conservateurs et ceux de Maxime Bernier y étaient les plus favorables (à respectivement 54% et 75%).

La sympathie conservatrice pour ce genre de considérations remonte d’ailleurs à loin. À la fin des années 1980, le Parti réformiste s’était farouchement opposé au port du turban sikh dans la GRC. En 2007, le gouvernement Harper avait déposé un projet de loi pour interdire le vote à visage voilé. Ce même gouvernement s’était opposé à la prestation du serment de citoyenneté à visage couvert.

Erin O’Toole se retrouve donc coincé. D’un côté, il veut plaire aux militants ayant un appétit pour restreindre l’expression religieuse. Raison pour laquelle il dit que Québec est libre de ses choix, au grand dam de ses députés Kyle Seeback, Jamie Schmale, Chris Wakertin, Lianne Rood, Jasray Singh Hallan, Mark Strahl et de sa sénatrice Salma Ataullahjan. De l’autre, il a besoin d’élargir sa base électorale par le centre -lire: par l’Ontario. Il ne doit pas se mettre à dos des gens comme l’ex-député conservateur modéré et actuel maire de Brampton, Patrick Brown, qui vient d’allouer 100 000$ à la contestation judiciaire québécoise. Raison pour laquelle M. O’Toole dit qu’il n’aime pas la Loi 21. On en revient toujours au même écartèlement…

Seul le NPD évolue dans ce dossier. Fidèle à son habitude de rester flou sur les enjeux jusqu’à ce qu’il sache de quel côté souffle le vent, Jagmeet Singh avait jusqu’ici refusé de dire s’il pensait qu’Ottawa devrait participer à la contestation judiciaire. Il le réclame désormais. On en comprend que M. Singh a réalisé, après la réédition de son score électoral décevant, qu’il n’a plus rien à espérer au Québec.

Les libéraux ne ferment pas la porte à une intervention, mais ils ne voient pas l’utilité de gaspiller du capital politique à plaider des arguments qui sont déjà portés par d’autres. Cela permet au Bloc québécois de brandir cette éventualité comme un épouvantail. Après avoir prédit à l’élection de 2019 puis à celle de 2021 que Justin Trudeau attendrait après le scrutin pour annoncer une intervention fédérale, Yves-François Blanchet spécule maintenant que le premier ministre attendra après l’élection québécoise de 2022 afin de ne pas donner de munitions à François Legault.

M. Trudeau n’a qu’en partie raison quand il dit que le Bloc n’attend qu’un geste de sa part pour crier à l’ingérence fédérale. Le Bloc veut surtout en faire un autre exemple de «Quebec bashing». Cela est réducteur. Ce n’est pas parce que le ROC n’aime pas le Québec qu’il n’aime pas la Loi 21. C’est parce qu’il n’aime pas la Loi 21 -dont il ne saisit pas les fondements conceptuels- qu’il en vient à croire le Québec raciste. Encore une fois, l’incompréhension mutuelle est totale.