{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F99cf5e4d-a53e-4408-8dd7-0a70c75fbeb8.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Chroniqueur"},"email":"ilegare@lenouvelliste.qc.ca","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fd902ca05-064e-4daa-a5d5-cdd72df05f30.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Trois-Rivières","name":"Isabelle Légaré","source":"Le Nouvelliste","twitter":"isalegare"}],"channel":"Isabelle Légaré","chapters":[{"position":0,"text":"

Ça s’est produit encore récemment. La femme de 67 ans roulait sur l’autoroute lorsque deux véhicules de la Sûreté du Québec l’ont dépassée, les gyrophares allumés. L’automobiliste a réussi à les rattraper, a emprunté la même sortie pour découvrir la cause de l’urgence.

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Des chevreuils s’approchaient dangereusement du trafic...

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«Ah, c’est rien!», s’est-elle dit en reprenant l’autoroute. Ni vue ni connue.

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Nicole Juteau éclate de rire en me racontant la scène puis m’invite à regarder par la fenêtre du salon.

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Le quartier général de la SQ, à Mascouche, est situé à proximité de son appartement. Le poste n’est pas visible, mais se trouve à distance de marche de chez elle.

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Lorsque celle-ci voit partir en trombe une auto-patrouille suivie d’une deuxième et d’une troisième, Nicole devine qu’il y a de l’action dans l’air et se branche sur Internet, au cas où elle en apprendrait davantage sur la raison de cette agitation.

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Comment on dit ça donc? Tu peux sortir la fille de la police, mais pas la police de la fille?

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Exactement. C’est tout à fait elle.

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Le 17 juin 1975, Nicole Juteau est devenue la première femme policière au Québec. Embauchée par la Sûreté du Québec, la jeune femme de 5 pieds 4 pouces «et demi» avait 20 ans. Forte de ses 110 livres, elle s’est imposée dans un milieu strictement masculin où, d’un côté, on la félicitait et où, de l’autre, on lui en a fait «baver», ajoute-t-elle sans retenue.

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«J’ai du café et des brioches. Veux-tu mettre des pantoufles?»

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Nicole Juteau tient à me préciser que c’est la première fois qu’elle accueille une journaliste dans son chez-soi. D’ordinaire, elle privilégie le terrain neutre pour préserver sa bulle. Je comprends ça et j’apprécie son accueil.

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Cette femme refuse rarement une entrevue. Toujours partante pour raconter son histoire qui a eu et continue d’avoir de l’influence.

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J’enfile ses pantoufles roses qu’elle a eu la délicatesse de faire réchauffer à la sécheuse et je la laisse se présenter. Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de rencontrer une personne dont l’embauche a été désignée «événement historique» en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.

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«En occupant la fonction de policière pendant plus de 24 ans, Nicole Juteau a ouvert la voie de ce métier aux Québécoises et a ainsi inscrit un chapitre dans l’histoire de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes»... déclarait le 11 décembre 2020 la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy.

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Il est vrai qu’on part de loin.

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Pour que Nicole Juteau puisse être assermentée le 11 septembre 1975, la Commission permanente des institutions de l’Assemblée nationale du Québec avait dû modifier le règlement numéro 7 qui réservait jusque-là le métier de policier aux hommes.

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Avant son embauche, les femmes qui travaillaient dans les corps policiers faisaient du travail de bureau. Il leur était interdit de porter une arme à feu. Elles n’avaient pas le droit non plus de procéder à des arrestations.

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Originaire de Montréal-Nord, Nicole Juteau est la cinquième de huit enfants. Quatre gars et quatre filles. Leur père René était pompier et chef de district, un homme dont la fierté de porter l’uniforme a rejailli sur Nicole.

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Ses parents ne l’ont jamais découragée à devenir policière, contrairement au Collège Ahuntsic où elle s’était inscrite en techniques policières.

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«Au bout de trois ans, tu n’auras même pas de job!»

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L’étudiante a fait fi de l’avertissement de la direction.

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«Je voulais faire le cours. J’étais une passionnée et je le suis encore», affirme Nicole Juteau qui n’a jamais baissé les bras malgré l’adversité à laquelle elle a été confrontée.

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Lors de son stage à l’Institut de police de Nicolet, des compagnons de classe ont également remis sa présence et ses compétences en question. Ils auraient dû se garder une petite gêne.

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Parmi les 49 futurs policiers de sa promotion, la jeune femme s’est classée troisième aux tests physiques, les mêmes pour tout le monde, peu importe le sexe. Bien joué!

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Nicole Juteau a commencé sa carrière à Shawinigan avant de la poursuivre à Trois-Rivières où elle a été agente double et aux renseignements criminels jusqu’à sa retraite, à l’âge de 46 ans.

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Son arrivée au Centre-de-la-Mauricie, au milieu des années 70, n’est pas passée inaperçue. Plus souvent qu’à son tour, Nicole Juteau devait patrouiller seule.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Embauchée par la Sûreté du Québec, Nicole Juteau a commencé sa carrière à Shawinigan, en 1975.","contentType":"image","credits":"COLLECTION PATRIMONIALE DE LA SURETÉ DU QUÉBEC","position":26,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fe022b431-7306-4e35-9f9a-d853aaa40a7f.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":27,"text":"

«Personne ne voulait travailler avec moi, sauf un.»

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Des confrères doutaient de ses capacités à exercer le métier. Certains lui reprochaient d’être «une voleuse de job». Et c’est sans parler des épouses de policiers qui digéraient mal la présence au poste de cette policière ET célibataire.

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L’accueil de la population?

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«Elle capotait!», raconte Nicole Juteau, le sourire aux lèvres.

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Son embauche avait été grandement médiatisée. La patrouilleuse en a eu la preuve le jour où elle a été appelée à diriger la circulation lors du Festival western de Saint-Tite.

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«Le monde s’arrêtait et venait me donner la main.»

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Des hommes se permettaient même de lui lancer: «J’aimerais ça avoir un ticket de toi!»

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Confortablement installée dans son fauteuil de type La-Z-Boy, Nicole Juteau ne peut s’empêcher de rire en me racontant son début de carrière où elle a dû patienter avant d’avoir un uniforme conçu expressément pour une policière.

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Lors de son premier hiver, la jeune femme a porté son propre manteau de ski bleu en attendant qu’on lui en fournisse un de couleur vert olive, comme la SQ.

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Une histoire n’attend pas l’autre de la part de celle dont le parcours professionnel hors du commun fera l’objet d’une biographie. La parution est prévue pour l’automne 2022.

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Cette femme dynamique et chaleureuse maîtrise l’art de raconter. Si j’étais Luc Dionne, j’irais rencontrer celle qui pourrait sans aucun doute lui inspirer un ou deux épisodes de District 31.

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Après six ans à Shawinigan, à maintenir la paix, l’ordre public et la sécurité des citoyens vivant en zone urbaine et en milieu rural, Nicole Juteau a changé de ville et de mission.

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Elle est devenue agente double, un rôle fait sur mesure pour celle qui s’est découvert un talent certain de comédienne.

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Pour mettre la main au collet de criminels, Nicole Juteau faisait semblant d’être une danseuse nue ou une serveuse dans un bar. Tout le monde n’y voyait que du feu.

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«J’ai fait plusieurs transactions de drogue et j’ai trafiqué des milliers de dollars», soutient celle qui adorait ce boulot qui consiste à prendre des criminels la main dans le sac.

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Même si sa propre sécurité pouvait être compromise...

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«On avait des trente sous pour appeler si on avait besoin d’aide!»

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Le cellulaire n’était pas une option à l’époque. Une pagette, tout au mieux.

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Évidemment qu’il lui est arrivé d’avoir peur, comme cette fois où un type lui a donné rendez-vous dans sa maison de campagne pour une transaction de cocaïne. Il l’attendait dans une cave en terre battue, un sous-sol accessible par une trappe et illuminé par une ampoule pendouillant au plafond. S’y trouvait un deuxième gars que Nicole, la pseudo-danseuse, ne reconnaissait pas derrière son foulard et sous sa tuque enfoncée sur sa tête.

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«J’étais certaine d’y passer...»

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Il lui était impossible de communiquer avec ses collègues policiers cachés plus loin dans le rang.

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«Si je me faisais tuer, ils ne le savaient pas...»

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Nicole Juteau est devenue agente de renseignements criminels. Durant la guerre des motards, les Hells Angels l’appelaient «la matante», un surnom qui n’a rien de péjoratif, au contraire.

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«Ils me respectaient.»

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Elle les avait à l’œil, ne se laissait jamais intimider, pas même par le gars aux gros bras qui n’appréciait pas de se faire remettre à sa place par celle qui, au besoin, l’avisait d’un ton autoritaire, en le pointant du doigt.

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«Ne dépasse pas la ligne parce que tu t’en vas en prison.»

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La conversation se poursuit. Nicole Juteau enchaîne les anecdotes sans que j’aie besoin de poser des questions. Hâte de mettre la main sur son livre. Cette femme est un personnage de film.

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La voilà qui me tend un cahier. On lui en a fait cadeau pour ses vingt ans de carrière, quelque part au milieu des années 90. Ses compagnes de la SQ de l’époque lui avaient écrit ce qu’elle représentait pour elles.

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«Toi qui nous as tracé le chemin, qui a su être un modèle pour toutes, un grand merci...»

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«Merci d’avoir ouvert la porte. Elle était lourde...»

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Nicole Juteau tourne les pages et lit les messages à voix haute, toujours aussi touchée par ces mots lui confirmant qu’elle avait eu raison d’aller au bout de son rêve de devenir policière.

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«C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’avais été importante pour les filles.»

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Et qu’elle le restera.

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