Les intervenants du milieu ont eu amplement le temps de se projeter, de refaire les plans de relance deux, trois, quatre fois. Des voix s’élèvent dans tous les domaines pour que la relance économique soit verte, qu’on profite des investissements qui ramèneront l’eau au moulin pour abattre deux oiseaux avec la même pierre, en combattant en même temps les changements climatiques. Le tourisme, responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre selon Nature Climate Change, n’échappe pas à la réflexion.
Est donc né, au printemps 2021, Tourisme durable Québec, un regroupement comptant déjà près de 170 membres ayant l’objectif de transformer au moins un peu, mais probablement beaucoup, les façons de voyager dans la Belle Province.
« Nous avons un des secteurs les plus dommageables pour l’environnement et nous en sommes conscients. Nous ne voulons pas être montrés du doigt ni accusés, si bien que nous voulons adopter des pratiques durables pour l’écologie, mais aussi pour l’économie. Nous avons profité de la COVID pour réfléchir et nous dire : si on veut changer les choses, c’est maintenant que ça se passe », raconte Sandra Gauthier, présidente de Tourisme durable Québec.
Les premiers chantiers viseront à réduire les émissions de GES et le gaspillage de l’eau.
On doit peser plus fort sur l’accélérateur pour amener de vrais changements.
Les voitures et les avions se trouvent évidemment rapidement au banc des accusés. On travaillera donc à développer des circuits électriques ou à mettre en place des navettes, comme la Nana, la Navette nature, qui permet de déplacer les amateurs de plein air des grands centres vers les parcs nationaux.
« Nous n’avons pas toutes les solutions dès maintenant, mais nous savons qu’il faudra gérer de la décroissance. Il faudra probablement voyager moins souvent, mais plus longtemps chaque fois. Donc on reçoit moins de visiteurs, mais s’ils restent plus longtemps, il n’y a pas d’impact sur les revenus des entrepreneurs. »
Tourisme Mauricie s’est lancé dans l’aventure de Tourisme durable Québec tête baissée. Son directeur général, Stéphane Boileau, estime que le développement durable fait partie de l’ADN de la région. « Nous avons eu un des premiers événements, le FestiVoix, à prendre le virage. Nous comptons aussi sur Taïga, un fabricant de motoneiges électriques. »
Avec Lanaudière, Tourisme Mauricie a fondé Québec Authentique, pour faire la promotion des traditions québécoises... dont la motoneige. L’idée d’électrifier ce mode de transport polluant sert donc très bien les visées de la région en matière de développement durable.
M. Boileau en est convaincu, les visiteurs sont déjà plus sélectifs dans le choix de leur destination, et ils exigent des pratiques plus écologiques. « Les entreprises sont très conscientes que si ce n’est que du bla-bla, elles vont se le faire dire. »
Le tourisme durable, c’est aussi gérer en fonction des habitants, pour éviter de dénaturer leur milieu et leur assurer des retombées économiques. Mais il faudra, selon M. Boileau, une forme d’aide de l’État. « Les entrepreneurs ne peuvent pas prendre sur leurs épaules tous les investissements nécessaires. »
Il faudra aussi accepter de changer nos modes de vie. Partir plus longtemps et se fixer au même endroit pendant plusieurs jours, voire des semaines, pourrait bien être impossible pour ceux qui ne disposent pas de très longs congés. Les voyageurs en solo adhéreront probablement davantage au covoiturage, aux navettes, au slowtourisme. Les familles, elles, auront un plus gros défi.
Lors d’un symposium tenu au début du mois de novembre, plusieurs acteurs de l’univers touristique ont échangé à propos de leurs initiatives durables et du nécessaire besoin de changer. Johanne Caron, directrice ventes et marketing au Château Laurier, a entre autres nommé l’intention de permettre l’achat de crédits carbone lors de réservations en ligne. Entre-temps, l’établissement hôtelier se positionne dans une démarche de protection du patrimoine culturel et vise le zéro déchet.
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Pour Michel Bonato, directeur de Tourisme Îles de la Madeleine, le rapport entre les visiteurs et la population locale est la pierre angulaire du tourisme sur les îles. Il reconnaît aussi que le territoire est sculpté par le climat et qu’il faut développer le tourisme quatre saisons, avec des produits de niche, pour répartir le flux de voyageurs ou, pour utiliser une expression à la mode, pour « aplatir la courbe ». Les Îles de la Madeleine ont reçu 10 % moins de visiteurs cette année qu’en 2019, mais la plupart ont allongé leur séjour, si bien qu’il n’y a eu aucun impact économique.
Isabelle Pécheux, directrice de l’agence de tourisme durable Passion Terre, a indiqué que ses itinéraires sont loin d’être « un tourisme de niche ». « Nous avons diversifié notre offre pour ne pas proposer un tourisme à part. » Elle suggère des circuits sans voiture, notamment un itinéraire en train vers l’Abitibi pour des expériences nature.
Hugues Sansregret, responsable du développement durable pour la Sépaq, a mentionné que la clientèle demande de plus en plus des bornes de recharge pour les véhicules électriques. « Ça nous pousse à réfléchir. Nous ne sommes pas une entreprise qui vend de l’énergie, mais comment pouvons-nous bien servir le client? »
Tourisme durable Québec s’inspirera donc de l’organisation Acteurs du tourisme durable, en France, qui propose la mise en place d’indicateurs de réussite intégrant la préservation de l’environnement et du climat, et de Tourisme Helsinki, en Finlande, qui vise la carboneutralité pour 2035 avec un plan d’action de 140 mesures. Le plan d’action de Tourisme durable Québec devrait pour sa part être présenté au printemps.
La bonne nouvelle, c’est que plus de la moitié des voyageurs, selon un sondage de Booking, sont prêts à voyager de façon plus responsable.