Le village albertain se trouve à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Drumheller. Le hasard seul ne suffira pas à aboutir dans cette ancienne communauté minière. Sur la route 56, un panneau indique encore la direction vers Wayne. La route secondaire traversera dix ponts, tous au-dessus de la même rivière Rosebud, avant d’arriver à destination. Tout au bout, un saloon et un hôtel sont tout ce qu’il reste de l’ancien hameau de mineurs.
Dans les belles années du charbon, entre 1912 et les années 1930, ils étaient plus de 2000 à vivre là, à animer deux écoles, un hôpital, et quelques commerces. Mais le déclin du charbon a entraîné la démographie avec lui, si bien que le saloon, curiosité au milieu de nulle part, agit principalement comme une attraction touristique.
Aujourd’hui, son petit stationnement se remplit rapidement avec la poignée de touristes qui s’y arrêtent pour manger.
De l’intérieur, l’ancien bar est encombré comme on s’y attend. Des plaques d’immatriculation, des vieilles photos, un piano et le crâne d’une bête cornue rappellent l’ambiance des westerns. Dans les années 1920, le bar s’était vu affublé du nom de Bucket of Blood en raison des nombreuses batailles qui y survenaient entre les mineurs. Selon l’ancienne propriétaire, les fêtards buvaient, sortaient se bagarrer, et rentraient pour une autre tournée de bière.
La légende du saloon raconte aussi qu’un beau jour des années 1970, trois étrangers sont entrés à l’hôtel adjacent pour commander des pintes de houblon. Une fois leur rafraîchissement servi, ils auraient refusé de payer la facture. Le barman serait alors retourné calmement derrière son bar, aurait dégainé un pistolet et aurait tiré un coup au-dessus de la tête de chacun des visiteurs. Aujourd’hui, trois trous de balle bien encadrés sont toujours visibles au-dessus du vieux piano.
Si l’envie vous prend de passer la nuit au Rosedeer Hotel de Wayne, sachez que la rumeur souffle que son troisième étage est hanté.
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Étrangement, j’adore ces villages où il n’y a (presque) plus rien à voir. On n’y reste jamais une éternité, même si l’éternité, elle, y passe tout son temps. J’ai eu le même sentiment à Val-Jalbert, au Québec, où les murs des bâtiments encore debout sont les gardiens de tellement de secrets. J’aime imaginer comment on y vivait autrefois.
À une trentaine de kilomètres de Wayne, le long de la route 570, se trouve la charmante Dorothy, un autre village qu’on risque de rater si on cligne trop longtemps des yeux. Avec une population de plus ou moins dix personnes, le hameau n’a semble-t-il jamais vraiment dépassé la centaine de citoyens. Son silo de grains, qui a pour le moment échappé au temps, se découpe magnifiquement sur un fond rocheux et de terres agricoles. On le trouve toutefois dans un état d’abandon qui lui laisse présager un avenir très incertain. Un seul arbre se déploie sinon à l’entrée de « l’agglomération », où le silence arpente les rues entre quelques furtifs chiens de prairie. Un homme prenant appui sur une camionnette a choisi l’endroit pour y faire voler son drone. Là, aucun danger d’interférence.
On raconte que Dorothy a vu le jour au début des années 1900. Il s’agissait d’un lieu de rencontre important, si bien qu’on y a déjà répertorié une épicerie, un étal de boucher, un restaurant, une école et deux églises. Les bâtiments de bois ont un temps été laissés sans entretien, mais les touristes peuvent maintenant contribuer à leur restauration en proposant un don un argent.
Sous un ciel bleu moutonné de nuages joufflus, le silence à nos côtés, on croit apercevoir à Dorothy toute l’immensité du monde. Il y a ce vide jusqu’à très loin. Et parfois le bourdonnement d’une voiture qui passe sa route comme un battement de cils.
Mon coup cœur demeure le village de Patricia, plus au sud, où vivent encore 88 citoyens, selon le recensement de 2020. Surtout, c’est le Patricia Hotel-Bar-B-Q Pit qui avait retenu mon attention en aboutissant par hasard dans mes recherches sur Google. Voilà un autre saloon aux murs bien chargés, où la population locale s’arrête pour boire et manger.
Là, le bœuf albertain est bien entendu à l’honneur, mais on peut aussi se laisser tenter par un steak de bison. Peu importe la coupe de la viande choisie, on la grille soi-même dans un coin du restaurant. C’est la version carnivore du bar à pain de Pacini. Pendant qu’on patiente, on s’amuse à décoder les blagues tantôt anodines, tantôt grivoises, qui couvrent les murs de l’endroit. Soupe, salade, patate... on nous offre suffisamment à manger pour qu’on ressorte de là bien rond.
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Ce soir-là, c’était le calme plat à Patrica, qui a, semble-t-il, déjà fait les manchettes dans les années 1970 quand un propriétaire local a fait don d’un bout de terre d’une valeur de 3 $ au premier ministre Pierre Elliott Trudeau. Celui-ci aurait refusé la propriété du terrain.
Malgré la petite taille du village, le grand saloon est semble-t-il bondé dès qu’un rodéo se tient en région.
Enfin, si au Québec des symboles religieux trônent au coin des rangs dans plusieurs villages, à plusieurs intersections entre Drumheller et Patricia, en Alberta, ce sont plutôt des dinosaures qui voient passer les rares véhicules arpentant les routes de campagne.