C’est le gamin en moi qui, peu importe le prix, souhaitait ajouter la capitale des dinosaures dans un itinéraire qui ne devait pas le permettre. Sur les presque trois heures de route, il y a eu ces dix minutes d’émerveillement devant le constat que la terre peut effectivement être plate à certains endroits. Les terres agricoles à perte de vue, au point de toucher le ciel à l’horizon, m’ont renversé. Je ne voyais pas où la route, toujours droite, finirait par broncher et bifurquer à gauche ou à droite. Je roulais vers l’infini.
C’est là que c’est devenu plate. Comme dans ennuyant. Comme dans : y’a personne devant ni derrière, aussi loin que mes yeux puissent voir.
Dieu merci, le canyon Horseshoe, à une vingtaine de kilomètres de Drumheller, vient briser la monotonie. Certains l’appellent le Grand Canyon de l’Alberta. Il n’y a pourtant aucun besoin d’enfiler les bottes de randonnée et de faire le plein de victuailles avant de s’y aventurer, même si on peut décider de s’y éterniser. Les formations de roches volcaniques peuvent être observées d’un belvédère, ou d’en bas, où trottinent des dizaines de chiens de prairie curieux. Les géologues en herbe y verront tout de suite les différentes couches de roche, dont celles de charbon, permettant d’illustrer le passage du temps et de comprendre pourquoi le sol albertain est riche en fossiles de dinosaures.
Pour les jambes ankylosées de trop de route, le site est parfait. Des montagnes Rocheuses, on passe tout à coup au paysage lunaire.
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Je suis finalement arrivé à Drumheller en toute fin d’après-midi. Dans une ville qui me semblait endormie, j’avais choisi un motel comme il ne s’en fait plus : moquette brun-gris, cuisinière d’un autre siècle et bruit de grand-route. Son restaurant annonçait les spécialités locales : les flapjacks. Ces crêpes très épaisses, style pancake, sont servies dans une salle vintage où un train électrique parcourt sans cesse les hauteurs du plafond. La serveuse sans âge ricane continuellement en conversant avec les clients comme s’ils étaient de la famille.
Drumheller était remplie de promesses. Outre son célèbre Royal Tyrrell Museum, où sont exposés des squelettes et des fossiles de dinosaures, la ville compte sur le plus gros dinosaure du monde.
Annexé au centre d’information touristique, il domine des bâtiments modestes et un petit parc doté d’une fontaine et de dinosaures de plus petite envergure. Les curieux pourront gravir ses escaliers intérieurs pour obtenir une vue sur la ville. J’avoue ne pas avoir ressenti le « oumf » que je retenais depuis la matinée. « Oumf » comme l’onomatopée pour décrire un feu qui s’allume subitement. Au pied du géant vert, toutes dents dehors... pas de « oumf ». Mais, je l’avoue, j’ai eu une pensée pour mon film culte de jeunesse, The Wizard, où des enfants se rendaient à Los Angeles pour participer à un championnat de jeux vidéo. Je n’en ai retenu que la scène où le petit Jimmy se réfugie à l’intérieur d’un dinosaure aperçu le long de la route.
À quelques minutes de là, loin du crétacé, se dresse une curieuse attraction comme je les aime. Désertée ce jour-là, la petite église de Drumheller, blanche et brune, tranchait dans un paysage grisâtre de rochers préhistoriques. Pouvant réellement abriter des cérémonies religieuses, la petite église peut accueillir jusqu’à six personnes à la fois. Pas certain, même, qu’en temps de COVID, elle permet d’aussi grands rassemblements. Les couples souhaitant un mariage intime y seront comblés.
Entre le dinosaure et la petite église, le long de la route 838, aussi appelée Dinosaur Trail, j’avais noté la présence d’un authentique saloon, le Longbranch Saloon, où je me promettais de finir la soirée. Pareil comme dans les films westerns, le bar est construit de bois et de pierre. Une roue de charrette est accrochée à l’avant. Je nageais en plein folklore. Mais voilà, les dimanches soirs, même le folklore prend congé à Drumheller.
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Je me suis donc promis d’explorer le petit centre-ville pour observer les statues de dinosaures disséminées le long de rues qui portent, bien entendu, le nom de ces créatures d’un autre temps. Le thème est surexploité, mais les œuvres de la collection DinoArts offrent des occasions photo cocasses avec Gus le brontosaure ou sa copine Effy, le tricératops, avec le dino à motocyclette ou le dino de la Fierté.
Sinon, un dimanche soir à Drumheller, c’est comme une nuit (ou un hiver) à Winnipeg. C’est long et il ne se passe pas grand-chose. Désert comme de Chez Désert. On pourrait sans danger y faire la sieste au milieu de la rue, une fois la nuit tombée, tellement l’activité est réduite à néant. Seul, entouré de faux dinosaures éclairés par une lumière blafarde, j’avais tout à coup l’impression d’avoir outrepassé le couvre-feu.
Il m’était passé par l’esprit de m’attarder à Drumheller. L’horaire serré en aura décidé autrement. Ce soir-là, le sommeil précoce de la petite ville minière m’a convaincu que j’avais pris la bonne décision.