De faux complots qui brisent de vraies familles [VIDÉO]

Bien que ceux qui adhèrent aux théories du complot croient en des maux imaginaires, leurs effets sur les familles sont bien réels.

La COVID-19 est une arme biologique créée dans un laboratoire chinois; les vaccins rendent stérile dans le but de réduire la population mondiale; la pandémie est un prétexte pour imposer le fascisme aux populations: les théories du complot pullulent en cette époque pandémique. Bien que ceux qui y adhèrent croient en des maux imaginaires, leurs effets sur les familles sont bien réels.


Depuis le début de la pandémie, la relation entre Josée Maltais (nom fictif) et son frère s’est détériorée. Il s’est vivement opposé aux mesures sanitaires pour freiner la propagation de la COVID-19, les associant à du totalitarisme. Des prises de position qui ont créé des tensions familiales importantes.

« Ça fait beaucoup de chicane dans la famille. C’était un sujet tabou pendant plusieurs mois », explique Josée qui, comme la plupart de nos intervenants, a demandé à conserver l’anonymat afin de ne pas envenimer davantage ses relations.

Libertarien, le frère de Josée considère que la pandémie est exagérée, qu’elle est un prétexte à l’instauration de mesures toujours plus coercitives qui mèneront au fascisme.

Josée n’est pas la seule à vivre ce genre de situation. Catherine Tremblay (nom fictif) doit conjuguer avec son ancien conjoint qui a commencé à adhérer aux théories du complot durant la pandémie.

« Il y a environ un an, il a commencé à m’envoyer des messages. Le premier, c’était au sujet d’un réseau pédophile international avec Michelle Obama qui est en réalité un homme », lance-t-elle.

Cela inquiète grandement Catherine, puisque leur fille de 7 ans passe une fin de semaine sur deux chez lui.

Catherine a même dû menacer son ex-conjoint d’appeler la police, afin qu’il aille faire dépister leur fille lorsqu’elle avait des symptômes de la COVID-19. Elle n’a toutefois pas le choix de garder contact avec lui en raison de leur fille. Il se retrouve aujourd’hui très isolé.

« Je sais que son frère a coupé les ponts avec lui. Ses parents ne répondent plus à ses messages non plus », dit-elle.

Amitiés effritées

Il n’y a pas que les relations familiales qui peuvent souffrir du fait qu’une personne adhère à des théories du complot. Des amitiés qu’on croyait solides peuvent aussi être compromises.

Pierre, Martin et Éric (noms fictifs) sont amis depuis une trentaine d’années. Mais la décision d’Éric de ne pas se faire vacciner et sa tendance à tenir des propos découlant des théories du complot et du conspirationnisme effritent les liens qui unissent le trio.

« Ça ébranle la relation. Est-ce que je suis en train de découvrir quelqu’un que j’aurais dû connaître avant ou bien il a changé? C’est un peu ‘space’ tout ça», confie Pierre.

Pourtant, Éric n’a pas le profil type du complotiste, selon son vieil ami. Diplômé universitaire, il occupe des fonctions de gestionnaire au sein d’un service d’incendies d’une ville de la couronne de Montréal. Il n’est pas non plus du genre à prendre part à des manifestations. Mais pourquoi adhère-t-il à ces théories maintenant?

Andréanne Veillette s'intéresse aux personnes qui croient aux théories du complot.

Étudiante au doctorat à l’Université Carleton à Ottawa, Andréanne Veillette se penche spécifiquement sur cette question dans le cadre de ses recherches.

«Je veux mieux comprendre pourquoi les personnes qui croient aux théories du complot en arrivent à ça, afin d’offrir des solutions adéquates aux problèmes causés à la société. […] Je veux savoir s’il y a des différences sur les raisons qui poussent des gens à gauche politiquement ou à droite à croire à ces théories. Je veux également explorer le lien entre l’adhésion aux théories du complot et les inégalités socioéconomiques », explique la jeune chercheuse.

La doctorante bénéficie d’une bourse de 50 000 $ par année pour trois ans, en vertu du prestigieux Programme de bourses d’études supérieures du Canada Vanier.

Un noyau dur de 6 à 7 % de la population

Professeur à l’Université de Sherbrooke et cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, David Morin est bien au fait de ce genre de problématique. Il a rencontré bon nombre de familles aux prises avec un membre qui adhère aux idées complotistes.

Il explique que des individus peuvent croire en ces théories, mais à différents degrés. « Il y a un noyau dur de 6 à 7 % de la population qui adhère très fortement à la plupart des théories du complot et qui ont intégré la pensée conspirationniste comme logiciel », explique-t-il.

David Morin est professeur à l’Université de Sherbrooke et cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent.

Un autre 15 à 20% des gens peut croire à certaines théories du complot, mais de manière plus modérée. À ses yeux, il est nécessaire de faire la distinction entre les complotistes et ceux qui sont simplement critiques des mesures sanitaires.

« Le complotiste, c’est quelqu’un qui explique les phénomènes sociaux qu’on est en train de vivre à travers l’idée qu’il y a un petit groupe de gens qui gouverne en secret pour nous imposer un agenda qui va dans le sens de leurs intérêts, qu’ils soient politiques, économiques ou culturels », dit le professeur.

Garder le lien

Bien que cela puisse être difficile, garder un lien avec les gens qui adhèrent aux théories du complot est important, soutient David Morin. On peut par exemple tenter de leur parler, mais sans aborder le sujet de la pandémie.

Josée Maltais veut rester en contact avec son frère malgré la distance. En effet, les mesures sanitaires lui ont récemment fait quitter le Canada pour les États-Unis.

Elle sait toutefois que leur relation ne sera plus la même . « Peu à peu, je fais mon deuil de ma relation avec lui, dit-elle, visiblement émotive. Pas complètement, mais je pense que l’on ne va plus être vraiment proches. [...] Je vais toujours aimer mon frère. »