Comme d’habitude, à trop multiplier les épithètes, on risque surtout la déception. Et de l’anticipation, il y en a dans les 45 minutes de voiture entre Jasper et le lac. En chemin, on croise des occasions de randonnée, notamment au canyon Maligne, où on peut observer des cascades et voir des fossiles. Un peu plus loin, le lac Medicine, qui s’assèche presque complètement à l’automne, est généralement rempli en été en raison de la fonte des glaciers. Il s’impose dans le trajet puisque la route le longe en entier.
Un arrêt photo est presque nécessaire. Cet été, une importante quantité de conifères qui l’entouraient avait été calcinée. Les troncs noircis, élancés et chétifs, se tenaient encore en forêt dévastée, presque poétique. Il y a ce je-ne-sais-quoi du deuil et un petit quelque chose de la fascination qui se mélangent devant cette nature forte et vulnérable à la fois.
Pendant quelques minutes, sur les berges, la route m’a rappelé la Californie, même si le paysage n’avait rien à voir. J’ai eu cette vision d’une route montagneuse entre San Francisco et le parc national de Yosemite qui surplombait des ravins. Un vertige soudain, quoi, de constater l’absence de garde-fous pour nous protéger de nous-mêmes...
Tout au bout de la route, le lac Maligne s’enroulait à son tour dans le brouillard. Les sports nautiques et la croisière me faisaient moins envie devant les perspectives de pluie. La randonnée des Bald Hills, chaudement recommandée, paraissait moins enivrante avec la possibilité d’en revenir trempée. Mais pour les traîne-savates comme moi, il restait encore la piste le long du lac jusqu’à la boucle du lac Moose. Facile, elle n’est longue que de 3,4 km.
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C’était, je l’avoue, mon prix de consolation. Je ne m’étais pas rendu jusque-là pour rebrousser chemin sans avoir exploré un peu. On raconte qu’il est commun, le long du sentier, de croiser des orignaux. Pas cette fois-là. Mais il y a bien eu le petit lac Moose lui-même, un peu plus grand qu’un lancer de pierre, qui jouit d’une popularité timide. Et la timidité, moi, j’aime.
J’y suis arrivé dans le craquement d’une brindille sèche sous mes bottillons. Sinon, j’avais largué le bruit en marchant plus vite que lui. Il finirait bien par me rejoindre, mais malgré la présence de deux autres randonneurs, le silence prenait encore toute la place. Le vrai. Pas un sifflement d’oiseau. Pas le son de l’eau qui s’écoule. Pas un bruit de semelle écrasant la pierraille.
Instinctivement, tous se sont posés dans la plus grande délicatesse. Assis là, je me suis planté les yeux dans le silence. Je le voyais s’étendre jusqu’aux cimes du proche horizon. J’osais à peine respirer de peur de le troubler. Même les mouvements de mon cou, de mes bras, paraissaient tonitruants. J’avais trouvé le bout du monde. Pendant que d’autres gravissaient une autre montagne, moi, je restais immobile pendant trente longues minutes avant de reprendre la route, juste quand le bruit me rattrapait, bien accroché aux sabots d’un groupe qui l’avait cueilli de bon chemin.
Malgré les conditions météorologiques défavorables, d’autres arrêts ont valu le détour entre Banff et Jasper. Notons les chutes Athabasca, hautes de 23 mètres, qui sont entourées de chemins bétonnés permettant aussi d’apercevoir un canyon. Si on s’y pointe après une journée complète en voiture, il est possible qu’on se refuse de parcourir tous les sentiers pour apercevoir de nouveaux points de vue. Les chutes Sunwapta, elles, sont impressionnantes pour leur puissance. Un sentier mène jusqu’au pied des chutes et il vaut semble-t-il la peine. Je ne m’y suis pas rendu, me rendant compte au bout de 30 minutes de marche que je me trouvais seul en forêt. Dans la saison où les ours se montrent plus souvent aux yeux des visiteurs, je préférais ne pas me risquer. Après coup, on m’a indiqué qu’il s’agit d’un des importants habitats d’ours dans le parc national Jasper. Il faut donc prévoir s’y rendre à plusieurs.
Plus près du lac Louise, le lac Émeraude, situé tout juste en Colombie-Britannique, dans le parc national Yoho, constitue un havre de paix où je n’ai fait que passer. Si le café et le chocolat chaud, qu’on aurait aimé siroter en fixant les eaux turquoise du lac, étaient infects, les cabanes du Emerald Lake Lodge m’ont un peu fait rougir d’envie. Je me suis noté qu’il me faudrait y retourner pour une ou deux nuits, question de me réveiller sur les rives de ce lac où, autrement, il n’y a que des infrastructures limitées pour les visiteurs. Pour les amateurs de sites exceptionnels, on s’y trouve aussi à proximité des schistes de Burgess, un site argileux inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980 comme l’un des plus importants dépôts fossilifères au monde. On y a découvert 150 espèces issues de 120 genres différents. Si on n’accède pas aux schistes eux-mêmes, le simple fait de les savoir là, tout près, a suffi à m’éblouir.
Enfin, parce que l’insolite me captive toujours un peu, j’ai aperçu à la dernière minute la halte des tunnels en spirale. On y trouve un belvédère surplombant, bien caché dans les arbres, une boucle ferroviaire qui était destinée à négocier une pente trop raide. À l’origine, celle-ci avait une inclinaison de 4,5 pour cent, soit la plus importante pour une voie ferroviaire sur le continent. Pour ralentir les trains, il a été décidé de leur faire traverser des lacets dans deux longs tunnels en spirale creusés dans les monts Cathedral et Ogden. Voir le train s’enfoncer dans le tunnel et sa locomotive en ressortir en croisant les wagons de queue a rallumé l’étincelle du gamin en moi. Il faut un peu de persévérance pour bien l’apercevoir à travers les branches, et surtout la chance d’être au bon endroit au bon moment pour voir passer un train, mais il n’en fallait pas plus pour m’impressionner.