C’est qu’il faut de la patience, un peu de chance, ou une bonne planification pour voir ce lac glaciaire sous son meilleur jour. Certains, dont je suis, doivent s’y prendre deux ou trois fois avant d’y accéder. D’autres finissent par passer leur tour.
« Je suis arrivé à 8 h du matin et le stationnement était plein », m’a prévenu un touriste québécois encore un peu déçu de ne pas avoir été assez matinal. L’été, il faut plutôt viser 6 h ou, avec un peu de chance, 6 h 30 pour voir le soleil se lever dans ce paysage de carte postale. Sinon, il faudra opter pour une navette.
Le lac, dont les dernières glaces peuvent fondre aussi tard qu’en juin, se trouve à 14 km du cœur du village de Lake Louise. L’unique route qui s’y rend, une séquence de courbes, d’épingles et de lacets, est bloquée dès que le stationnement est rempli. Impossible de patienter au point d’entrée qu’un visiteur s’en aille pour prendre sa place. On nous demande alors de revenir plus tard et de risquer une fois de plus de nous buter à une barrière close.
Il ne faut pas penser pouvoir se stationner au lac voisin, le lac Louise, et monter à bord d’une navette de Parcs Canada non plus. La seule façon de voir un des deux lacs avec une navette consiste à se stationner d’abord au Park and Ride, un stationnement incitatif le long de l’autoroute 93. Il importe d’avoir réservé son siège, sans quoi plusieurs heures d’attente pourraient être nécessaires. Le Park and Ride, c’est un peu là que la spontanéité s’arrête. Mais avec un passage aux 30 minutes, entre 8 h du matin et 20 h, il y a de quoi faire, pour les prévoyants.
En parlant avec des préposés du stationnement, j’ai toutefois débusqué un secret bien gardé. Après 19 h, les excursionnistes d’un jour vont leur chemin, qui vers Banff, qui vers la région du lac Émeraude en Colombie-Britannique. Conséquence : les futés qui passent la nuit à Lake Louise ont tout à coup accès aux plans d’eau sans les foules du milieu de la journée.
J’ai même attendu 20 h, question de ne pas subir l’affront de rebrousser chemin deux fois la même journée. Son de trompettes! La voie était libre. Plus de dix kilomètres à exulter dans la voiture, sachant que je pourrais enfin poser les yeux sur le lac Moraine.
Déjà, la pile de roches, à une extrémité du cours d’eau, est prise d’assaut par les touristes attendant le coucher du soleil. Les plus téméraires l’attaquent de front, malgré les pancartes les avertissant du danger. C’est entre autres que des troncs d’arbres, entraînés au bas des montagnes par des avalanches, flottent au pied du monticule. Les risques de chutes sont importants. Mieux vaut emprunter le court sentier balisé jusqu’au sommet et, ensuite, jouer les détectives pour trouver un siège où la vue ne sera pas obstruée par d’autres visiteurs. On trouve là la vue « à vingt dollars », soit le paysage qui a orné les billets verts canadiens de 1969 à 1979.
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On aimerait quelques secondes de silence pour s’imprégner de l’immensité. On ne les obtiendra probablement pas. Mais on arrive quand même à oublier, la plupart du temps, la centaine d’autres âmes qui tournoient tout autour. C’est que la surface du lac ne frémit pas le moins du monde. Même pas le début d’une vague. Comme si le lac s’était assoupi avant que le jour s’en aille. À l’horizon, les dix sommets (dix!) se sont nimbés d’orange. Un peu à cause des feux de forêt qui avaient encore cours en Colombie-Britannique. Un peu aussi, je l’espérais, à cause du ciel dégagé qui nous amènerait peut-être du beau temps le lendemain.
C’est fou comme il suffit de si peu, d’une grosse pierre où s’asseoir par exemple, et d’une grande flaque bordée de conifères et de hautes montagnes, pour perdre la notion du temps. Il pourrait n’y avoir rien d’autre à faire ou à voir, au lac Moraine, que j’aurais été rassasié.
Je suis reparti, juste avant que la noirceur s’installe, en me promettant de revenir aux aurores.
Le lendemain matin, j’arrivais au même endroit vers 5 h 50. Il ne restait qu’une dizaine de cases de stationnement, preuve qu’il faut être vraiment matinal pour s’y tailler une place.
C’est aussi en arrivant tôt qu’on peut voir tous les canots colorés encore attachés au quai. Ils sont photogéniques au point d’être devenus une des images de marque de l’endroit.
Question d’explorer un brin, le sentier du bord de lac, qu’on parcourt en 45 minutes, aller-retour, est plat et facile. Ce matin-là, même sans prendre de l’altitude, on sentait la fumée qui masquait la cime des montagnes. C’est cette fumée-là qui m’a fait croire qu’une visite en soirée était, finalement, plus facile à organiser et beaucoup plus belle pour des photos.
Malgré l’envie de me lancer dans une des nombreuses randonnées au départ du lac Moraine, entre autres celle vers le lac Annette ou la vallée de Larch, les avertissements de la présence d’ours et la recommandation de circuler à quatre randonneurs, au minimum, auront eu raison de mes ambitions.
À noter que certains visiteurs partent tout de suite après le lever du soleil, ce qui peut permettre à quelques chanceux avec un karma pas trop mauvais de profiter d’une brèche pour accéder au site en matinée. Enfin, contrairement au lac Louise, où le bloc sanitaire permet de remplir une bouteille d’eau et de jouir de toilettes propres, au lac Moraine, on se bute à des toilettes rustiques dont la propreté laisse à désirer...