Chronique|

Au lac Louise pour le thé

La Ruche (The Beehive) est sans doute la montagne rapidement accessible offrant la meilleure vue aérienne sur le lac Louise.

CHRONIQUE / Je grelotais encore de l’orage qui m’avait surpris la veille quand l’alarme m’a tiré du lit, vers 5 h du matin. Le brouillard, épais dans l’obscurité encore totale de l’aube endormie, était si dense qu’on pouvait presque le découper en grands blocs blancs. Banff aussi grelotait malgré l’été bien installé.


Il fallait partir tôt, ce matin-là, pour avoir une chance de voir le soleil se lever au lac Moraine, un des plans d’eau turquoise du parc national de Banff. Mais la route d’une dizaine de kilomètres qui y mène est fermée aussitôt que le petit stationnement tout au bout atteint sa pleine capacité. Règle générale, à 6 h, il est déjà trop tard.

Ce matin-là, il aurait fallu partir à point. Moraine ne m’attendait plus quand je me suis pointé. Ne restait plus qu’à devancer d’une journée la visite au lac Louise, à quelques minutes de là. Un gros panneau lumineux indiquait « stationnement plein ». Pourtant, il restait l’équivalent de tout un terrain de football pour abandonner notre véhicule. Le message trompeur s’ajoutait à la confusion d’un horodateur qui, pour une première année, forçait les visiteurs à payer 11,70 $ pour pouvoir se garer. 

Surplombant la cime des arbres, le Fairmont Château Lake Louise s’impose d’emblée. C’est le château qui cache le joyau, qui gonfle encore un peu les attentes envers le célèbre plan d’eau qui avait suffi à lui seul à justifier une escapade vers l’Ouest. 

Comme la Tour Eiffel, le Colisée de Rome, l’Opéra de Sydney, le lac Louise laisse pantois, quasi stoïque. Parce que c’est trop. Sa surface presque lisse, fendue par quelques kayakistes trop matinaux, ses montagnes qui le tiennent au creux de leurs mains, son calme tranquille un tantinet troublé par des débuts de foules : c’est beaucoup pour deux petits yeux encore sous le coup de la somnolence. 

Il suffit de s’éloigner des influenceurs en herbe, sur le sentier de la berge, pour trouver des parcelles de silence où on se perd facilement en pensées. Prendre le petit-déjeuner en s’imaginant un lac Louise parfaitement sauvage, avouons-le, rend un peu blêmes tous les autres matins de la dernière année. Ça part fort. 

Il faut mettre le temps pour finir un premier de bol d’air franchement frais, pour ne pas dire froid, avant de se lancer dans les randonnées. Le sentier du lac Agnès, qu’on m’avait vanté comme un incontournable, monte sans pente raide pour environ 3,7 km à travers la forêt. Il mène à une première surprise, le lac Mirror, une grande flaque dans laquelle un monticule rocheux, la Ruche (The Beehive), contemple son reflet toute la journée durant. En m’y posant pour reprendre mon souffle, j’ai cru que le sommet de la Ruche se trouvait trop en altitude pour qu’on puisse s’y aventurer. Ce que j’avais tort!

Au lac Agnès, les endroits ne manquent pas pour s’arrêter, le temps de consommer une boisson chaude achetée à la petite maison de thé.

Le dernier tronçon avant le lac Agnès, où une chute et un court escalier se côtoient, m’ont rappelé un instant le Sri Pada, ou pic d’Adam, une montagne sacrée résolument plus épuisante qui constitue un pèlerinage d’importance au Sri Lanka. Les deux montagnes n’ont pourtant rien en commun à part peut-être quelque chose dans l’odeur de l’air qui nous ancre dans le moment présent. 

Arriver au lac Agnès, ainsi perché, c’est avoir l’impression d’avoir découvert un secret pourtant de moins en moins bien gardé. Sa maison de thé, construite comme un refuge pour les randonneurs par le Canadien Pacifique en 1901, sert des boissons chaudes depuis 1905. Malgré les autres touristes, on ne s’y sent pas envahi. Thé et café y sont offerts pour boire sur place ou pour emporter, à condition d’emporter les déchets jusqu’à la fin de la randonnée pour protéger l’intégrité des sentiers. 

J’ai longtemps hésité entre les infusions locales, mais il y avait aussi ce sachet de thé blanc du Sri Lanka qui m’apparaissait tout à coup incontournable. Le choix est donc immense pour un petit commerce pourtant isolé. 

Il y a par ailleurs amplement de quoi s’arrêter autour du lac, dont des bancs de bois, mais j’ai opté pour un amas rocheux à l’écart des passants. De petits spermophiles du Columbia, une espèce d’écureuil, se sont laissé tenter nerveusement par la curiosité. Ayant visiblement déjà été nourris par l’être humain, ils s’avancent beaucoup trop près. Gare à ceux qui tendraient la main pour leur offrir un bout de pain. Il paraît qu’ils ont les dents bien pointues.

Mon thé en semi-altitude, au cœur du parc national de Banff, demeurera un des meilleurs souvenirs de tout le voyage. C’est qu’on y retrouve la touche réconfortante de la boisson chaude combinée à un paysage qui nous fait oublier la frénésie du quotidien, et ces temps-ci, de la pandémie. 

Impossible (presque) d’arrêter de si bon chemin. La Ruche se dresse encore bien droite devant nous. Pour obtenir la meilleure vue aérienne qui soit sur le lac Louise et son hôtel, qui prend des airs du Grand Budapest Hotel, dans le film du même nom, il faut viser le sommet. Pour l’atteindre, on s’offre un grand tour du lac Agnès et on monte franchement plus à la verticale qu’en matinée. La vue nous récompensera, mais le souffle, court à ses heures, nous rappelle qu’une forme un peu plus exemplaire ne nous aurait pas fait de tort. 

Nouveaux hommages au caractère sauvage du parc national de Banff. Quelle chance de pouvoir admirer ce lac qui tire sa couleur, entre autres, de l’effet des glaciers qui se liquéfient pour l’alimenter. On peut d’ailleurs pousser la promenade jusqu’à une autre maison de thé, dans la plaine des Six Glaciers ou, comme moi, choisir le sentier en boucle qui revient vers le lac Louise en offrant néanmoins un nouveau point de vue sur les montagnes et les glaces plus tout à fait éternelles. 

On peut donc marcher presque sans s’arrêter pendant une journée entière, de lacs en montagnes en glaciers, ou louer une embarcation pour une heure pour la faramineuse somme de 125 $, si l’envie de pagayer nous prend. 

Dormir dans le très petit village de Lake Louise, ou directement au Fairmont Château Lake Louise, selon le budget, permet par ailleurs de passer un moment privilégié autour du lac sans les foules qui vont et viennent au cœur de la journée.

Au petit matin, on peut encore admirer le lac Louise avant que les foules affluent.