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Lorsque Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada, accuse les autres d’être des « communistes », j’ai l’impression qu’on a fait un saut dans le temps, quelque part en 1952, du moins, avant 1989, en pleine guerre froide. Est-ce une étiquette qui fait encore peur en 2021?

« Être trop à gauche peut rappeler le communisme et d’anciens régimes totalitaires, explique Catherine Côté, professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et spécialiste des mouvances gauche-droite. Cet aspect-là fait peur, encore, à une partie de la population. » Surtout les générations plus âgées, celles qui ont connu la guerre froide, justement. Les moins de 35 ans n’ont en général pas d’émotion particulière devant l’étiquette communiste.

Aucun des grands partis n’est aussi à gauche, ajoute d’ailleurs la professeure. Sur l’axe gauche-droite, le centre varie d’un pays à l’autre. Par exemple, les démocrates, aux États-Unis, se font parfois étiqueter de socialisme, mais en France, cette étiquette n’aurait aucun sens. « Dans le contexte canadien, le NPD est considéré à gauche, par rapport à notre centre, mais son programme, dans d’autres pays, ne serait pas considéré si à gauche que ça », poursuit la professeure.

Ça n’empêche pas plusieurs électeurs et électrices de les trouver trop à gauche, au point d’en avoir peur. La crainte d’un état trop fort qui limiterait des libertés individuelles.

Étrangement, certaines valeurs associées à la droite nourrissent aussi la peur de perdre des libertés. La loi et l’ordre est un thème récurrent de la droite. Le slogan conservateur fait d’ailleurs allusion à la sécurité (Secure the Future). L’idée de services policiers trop coercitifs ou d’une armée trop forte, ça aussi, ça fait peur. Les années Reagan ou Thatcher peuvent rappeler de mauvais souvenirs de répressions sociales.

Ni la gauche ni la droite ne sont à l’abri de dérapages et d’abus de pouvoir.

Valeurs sociales

Je suis toujours surpris de voir comment le Parti conservateur tolère des personnes antiavortement dans son caucus. C’est une position sociale assez radicale qui s’attaque à d’importantes libertés individuelles. Selon Catherine Côté, le fait que rien n’a changé pendant les années Harper aurait permis de rassurer plusieurs personnes. Selon moi, ça envoie malgré tout le message que ce serait une valeur acceptable.

Si les valeurs traditionnelles de la droite peuvent faire peur, la « nouvelle gauche » soulève aussi des inquiétudes. « La gauche s’est beaucoup transformée, raconte la professeure. Traditionnellement, c’était l’intervention de l’État, le soutien des ouvriers et la défense des opprimés. La gauche défend encore les opprimés, mais la notion de qui est opprimé a changé. »

Il y a eu une multiplication des enjeux d’oppressions, qui tiennent maintenant compte du racisme, de l’intersectionnalité, des discriminations systémiques, etc. « Une personne qui perd son emploi et qui n’a aucune personne trans dans son entourage peut se demander pourquoi les partis de gauche s’intéressent aux enjeux des personnes trans plutôt que défendre son emploi », donne en exemple Catherine Côté. Comme une peur d’abandon.

Quelque part, la gauche a peut-être aussi oublié de continuer de toucher sa base traditionnelle en s’intéressant à de nouveaux enjeux. D’expliquer pourquoi ces enjeux sont tout aussi importants et comment, en fait, ils sont aussi interreliés.

Vers un éclatement?

Certaines notions de la gauche et de la droite sont faciles à identifier. L’intervention de l’État d’un côté, le libre-marché de l’autre, avec différentes nuances qui font passer du centre vers un extrême.

Sur d’autres enjeux, c’est moins évident. On associe beaucoup le nationalisme à la droite, mais selon Catherine Côté, c’est une valeur valise, qui peut autant être utilisée par la gauche et la droite. L’environnement est revendiqué par la gauche, avec une notion de justice sociale, mais il y a aussi des valeurs conservatrices dans l’idée de protéger la nature. Le Parti vert du Canada a longtemps été un parti à droite.

Cet axe, souvent représenté verticalement, vient parfois mélanger les idées. On va parler de droite économique et de droite sociale, de gauche identitaire et de gauche traditionnelle.

« L’axe gauche-droite est très galvaudé, souligne la spécialiste. Les gens ne comprennent pas, mais ils ont besoin de se donner une identité, de se raccrocher à un ensemble de valeurs. » Les gens vont donc se mettre dans la « bonne case », selon leurs valeurs, et donner des étiquettes aux autres, souvent à tort.

« La complexité des enjeux économiques et politiques ne peuvent pas avoir de réponses ou de solutions simples, rappelle Catherine Côté, et il n’y a pas tant de temps pendant les campagnes électorales pour développer les solutions, ça reste en surface. »

On surfe d’un slogan à un autre, d’un clip à un autre. Pourtant, les programmes des partis contiennent beaucoup plus que ça. Celui du Parti libéral fait 105 pages et celui des conservateurs, 90 pages.

Selon Catherine Côté, il sera peut-être de plus en plus difficile de mettre une seule étiquette sur un parti. D’une part, il y a maintenant une multitude d’identités, la masse éclate en plusieurs sous-groupes. « Les partis proposent des bouquets de mesures, parfois contradictoires, pour cibler des clientèles disparates. »

D’autre part, les partis doivent s’attaquer à des enjeux qui dépassent la gauche et la droite, comme la crise climatique ou, présentement, la pandémie. « Peut-être va-t-on parler de grands enjeux sans les étiquettes, sans se coincer dans des cases. »

Je regarde les chefs s’attaquer et se rabaisser et je ne peux m’empêcher de me dire que ça nourrit le cynisme. On parle de vote stratégique pour éviter « le pire ». On appuie sur les craintes. Et si les chefs et cheffes de partis essayaient d’inspirer au lieu de faire peur?

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