On ne se pose presque plus la question : avant de partir, on achète crèmes, parfums et dentifrices en formats de 100 ml ou moins, parce qu’on ne lésine pas, à la douane, pour 10 ml en trop. Difficile d’en vouloir aux agents de sécurité de faire leur travail, même si, dans le doute, ils finissent parfois par confisquer des bouteilles sans étiquette qu’on a pourtant trimballées d’un pays à l’autre des dizaines de fois sans être inquiété. Je m’en veux presque de trouver que c’est du pur gaspillage parce que je sais pertinemment que je respecte méticuleusement les règles d’emballage.
Mine de rien, tous ces contrôles de sécurité suffisent aussi à effrayer les néophytes. Déjà nerveux de voler pendant six bonnes heures au-dessus de l’Atlantique, à mon premier voyage outremer, j’ai été bousculé par ces mesures qui me rappelaient la crainte bien réelle que l’avion plonge au milieu de l’océan. Cette fois-là, je n’ai pas fermé l’œil de tout le vol. En semant la peur, les terroristes avaient gagné.
Je connais des enfants qui ont peur de l’avion. Ils ont grandi avec les images des attentats qui tournent en boucle. On leur a expliqué pourquoi ils devaient s’arrêter dans un grand scanneur avant d’obtenir la permission de monter à bord d’un appareil. Pas surprenant qu’ils veulent garder les pieds bien au sol. Remarquez, ils ont aussi cette angoisse qu’un attentat survienne près de chez eux. Elle est sournoise, cette peur.
Précisément 20 ans après les attentats de New York, on a encore, dans certains aéroports américains, des chiens renifleurs qui hument systématiquement les sacs de tous les voyageurs. Placés en lignes, ceux-ci avancent en alternance, deux par deux, pendant qu’un berger allemand se remplit le museau de leur odeur. Gare à ceux qui marcheraient trop vite : le maître-chien les ramène rapidement à l’ordre. Y’a de quoi être nerveux.
Je me souviens de mon arrivée à Paris, en 2006. J’avais été intimidé par les gendarmes, mitraillettes dans les mains, qui patrouillaient l’aéroport. Je me souviens, dans les années qui ont suivi, les contrôles « aléatoires » à Paris, New York, Londres. Le hasard tombait souvent sur les passagères portant un hijab ou sur les jeunes hommes à la barbe un peu longue. On les mettait de côté. Aujourd’hui encore, les douaniers américains prennent un intérêt particulier aux tampons du Moyen-Orient ou de l’Afrique à l’intérieur de mon passeport.
La chute des tours du World Trade Center nous a fait prendre conscience de la porosité des frontières, mais aussi d’une nouvelle source de danger qui peut être partout, tout le temps. Désormais, les monuments célèbres, les immeubles d’importance, les sites touristiques majeurs font l’objet d’une surveillance accrue. Les autorités ont conscience du danger. Les voyageurs y pensent aussi un peu malgré eux, tout le temps.
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On l’a dans la tête, ce terrorisme, au cœur d’une marée humaine, un 4 juillet à New York. Toute la journée durant, les hélicoptères patrouillent le ciel. Les bagnoles du NYPD se trouvent à tous les coins de rue. On fouille les sacs à dos à l’entrée du métro. Dans une foule aussi dense, on perd un peu la liberté de ses mouvements. Une fois, je me suis pris à me demander vers où il me faudrait courir si l’impensable se produisait.
Même pensée à Marseille, il y a quelques années, à voir des gendarmes aux quatre coins de la basilique Notre-Dame-de-la-Garde. Dans le Vieux-Port, des blocs de ciment avaient été installés, tout autour de la promenade, pour éviter les attaques au camion-bélier. Mais pas devant les terrasses des restaurants, de l’autre côté du quai. Attablé pour regarder le coucher de soleil, je me suis arrêté pour évaluer le risque que posait un repas en terrasse. Ridicule?
La sécurité omniprésente contribue à alimenter une certaine paranoïa. Après des attentats dans des centres commerciaux, en Afrique, ou dans les aéroports, comme en Belgique, on ne prend plus de risques nulle part.
Au Rwanda, on n’entrait pas dans les centres commerciaux de la capitale, Kigali, sans d’abord vider ses poches et passer sous un détecteur de métal. À l’aéroport, on trouverait sans doute une aiguille dans une botte de foin. Toutes les voitures qui s’aventurent sur le terrain de l’aérodrome sont soigneusement fouillées. On regarde sous le véhicule avec un miroir, on extirpe tous les bagages, qui sont reniflés par des chiens, et on demande aux passagers de s’éloigner pendant qu’on passe l’intérieur au peigne fin.
Avant de passer la porte du bâtiment, on soumet les bagages à un scan avant un questionnaire qui peut mener à une fouille manuelle des valises. Ça, c’est avant l’examen de sécurité régulier de la zone sécurisée. Le bagage à main est ensuite scruté une dernière fois avant l’embarquement.
Le monde a changé. On rit un peu du temps où on traversait chez l’Oncle Sam sans passeport. Ce temps-là ne reviendra pas.
La réalité d’aujourd’hui, c’est de suivre l’actualité avant et pendant un voyage. Les attaques impromptues changent parfois l’envie de partir ou, à tout le moins, peuvent entraîner un changement d’itinéraire.