Une histoire d’action-réaction

David Morin est codirecteur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent et professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

Plus qu’une attaque sanglante et inattendue sur le sol américain, le 11 septembre aura été un véritable traumatisme, une brisure dans le sentiment de sécurité en Occident. Devant l’ampleur du choc, la réponse aura été tout aussi brutale : invasions militaires, mesures de sécurité accrues et répercussions sur les libertés individuelles. Deux décennies plus tard, décryptage des répercussions de cet événement avec David Morin, codirecteur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent et professeur à l’Université de Sherbrooke.


Observateur de la mouvance terroriste et plus largement de la radicalisation depuis plus d’une vingtaine d’années, M. Morin s’interroge avec le recul sur « la proportionnalité de la réponse » à cet attentat. Les opérations militaires lancées au Moyen-Orient auront, au final, « déclenché une réaction en chaîne qui a ouvert la porte à deux décennies de terrorisme djihadiste », observe le professeur titulaire de l’École de politique appliquée de l’UdeS.

Se camper en tant que « forces d’occupation » dans ces régions aura en effet « donné beaucoup de gaz » à la radicalisation, souligne-t-il, mentionnant à titre d’exemple que « l’État islamique est né dans les cendres de l’intervention américaine en Irak ».

Une autre erreur stratégique aura aussi été de conjuguer la lutte au terrorisme à la démocratisation des sociétés occupées, selon lui, une ambition qui ne s’est clairement pas matérialisée, comme le démontre encore plus récemment la situation qui prévaut en Afghanistan.

Question de perceptions

Pour David Morin, la réflexion qui émerge de ces échecs est la nécessité de « combattre les idées par d’autres idées », et non par les armes. Une affirmation qui peut nous sembler une évidence aujourd’hui, mais qui ne l’était pas nécessairement dans la foulée des attaques sur le World Trade Center. Il faut dire que dans la commotion de 2001, beaucoup ont cru qu’une « nouvelle ère de terrorisme de masse » s’ouvrait alors, une crainte qui ne s’est pas véritablement matérialisée, juge celui qui est aussi cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

L’attaque est surtout parvenue à marquer le monde entier par sa « capacité à ébranler un pays comme les États-Unis avec des moyens somme toute conventionnels », analyse David Morin. Sans nier les nombreuses tragédies qui ont eu lieu par la suite, l’attentat du 11 septembre reste ainsi « hors norme », commente-t-il, ne serait-ce que par son caractère « dévastateur ». Globalement, c’est tout de même les populations du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est qui auront le plus souffert du terrorisme, et pas l’Occident, rappelle David Morin.

Pourtant, l’après 11 septembre a également été marqué par l’avènement de la « peur de l’islam et les amalgames » parmi les populations occidentales, phénomènes en partie récupérés par d’autres extrémismes restés longtemps « dans l’ombre » et dont on commence maintenant à prendre davantage au sérieux.

Après le terrorisme international de la mouvance d’Al-Qaïda et l’embrigadement d’agents étrangers plus solitaires réalisés entre autres par l’État islamique, le professeur Morin soutient qu’on assiste désormais à une troisième vague de radicalisation marquée par « le populisme, l’extrême droite et le complotisme ». Bien que fort différents et parfois même diamétralement opposés, les extrêmes « se nourrissent entre eux en se servant d’épouvantails », observe aussi David Morin.

Une dose d’introspection

Comme société, il faudra alors mesurer nos réactions à ces formes de radicalisation « sans répéter les mêmes erreurs que par le passé », avertit M. Morin. Une réponse qui doit « accepter la menace provenant des idéologies et de la polarisation et s’y adapter », croit le professeur.

En ce sens, les médias ont un rôle à jouer dans leur manière de rapporter les événements terroristes afin de ne pas entretenir leur prévalence en « donnant trop dans le sensationnalisme », une prise de conscience qui est toutefois déjà amorcée, selon lui.

L’enjeu s’impose d’ailleurs à l’occasion de l’anniversaire du 11 septembre 2001, où les médias, incluant La Tribune, ont consacré une couverture exhaustive. « Est-ce qu’on en parle trop? Pas forcément. Est-ce qu’on en parle toujours bien? Pas forcément non plus », résume M. Morin.