Il avait plu la veille, disait la préposée à l’accueil de l’auberge. L’horizon s’était donc éclairci de manière inhabituelle. Il ne fallait pas espérer une vue à tout casser pour autant, prévenait-elle.
Elle répondait du même coup à mon interrogation : la gondole menant au sommet du mont Sulphur était-elle un incontournable? À 61 $ l’aller-retour, pour une ascension d’à peine 700 mètres, la question valait son pesant d’or. À moins d’être pressé et de vouloir atteindre le sommet en tout juste huit minutes, mieux vaut marcher et économiser un brin. La remontée mécanique a beau avoir été la première gondole à être construite au Canada, dans les années 1950, il fallait avoir les poches creuses pour allonger le prix du billet malgré les conditions atmosphériques.
Parce que je venais d’arriver dans les Rocheuses, que j’avais déjà lacé mes bottes de randonnée, je ne pouvais m’empêcher de pencher pour l’ascension à pied. Deux mises en garde : il fallait faire gaffe aux ours, malgré l’achalandage important sur la montagne, et si les jambes ne supportent pas la descente, il faudrait payer pour le retour en gondole, même pour un aller simple. Une bombonne de poivre de cayenne m’avait gentiment été prêtée à l’auberge pour éloigner les bêtes indésirables. Ils n’en étaient pas à leur premier touriste qui ne savait pas comment s’y prendre avec les ours.
J’étais parti tôt, question de me laisser le temps pour un autre joyau du parc national en après-midi. Une heure trente, c’est le temps qu’on prévoit pour rallier le sommet si, comme moi, on n’a pas la forme d’un marathonien. Un peu plus si on s’amuse à compter les cailloux en reprenant son souffle à l’occasion.
J’étais parti tôt, avant la première gondole. Mais quand les cabines, qui peuvent loger jusqu’à quatre personnes à la fois, se sont élancées vers le ciel, le soleil s’était lui aussi élevé au-delà des cimes. Il s’était voilé d’orange, comme le ciel : une couleur inhabituelle de si bon matin. Le smog provoqué par le brasier plus à l’ouest donnait au paysage un je-ne-sais-quoi troublant.
Tout en haut de la montagne, un pavillon abritant un restaurant, une boutique et un centre d’interprétation accueille les curieux. Les « sportifs » apprécieront pouvoir y remplir leur bouteille d’eau avant de poursuivre la séance d’exercice.
Ce jour-là, on avait beau se frotter les yeux, Banff se faisait timide sous sa couverture enfumée. Les monts Rundle, Aylmer et Cascade cachaient aussi leur meilleur profil.
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Si la vue se dérobait, impossible de manquer toutes les conversations bien québécoises que colportait le vent d’altitude. Une bonne partie du Québec a migré vers l’Ouest cet été. Ça s’entendait là, au mont Sulphur, mais aussi dans tous les restaurants, tous les hôtels et toutes les boutiques, de Canmore à Jasper. À l’ombre du mont Sulphur, même les serveurs des cafés et les préposés du parc national échangeaient dans la langue d’Alfred DesRochers.
À défaut de voir les montagnes, il y a au mont Sulphur un autre élément d’intérêt, soit le site historique de la station d’études des rayons cosmiques. Construite en 1956 en prévision de l’Année géophysique internationale, elle visait l’étude des rayons cosmiques, comme dans 98 autres stations à travers le monde. Neuf installations se trouvaient au Canada, mais celle du mont Sulphur était la plus importante. Elle a été confiée à l’université de l’Alberta à Calgary avant d’être fermée en 1978. Le bâtiment a été démoli, mais une plaque a été installée près d’une station météo qu’on peut atteindre grâce à une promenade de bois. Les plus curieux y verront néanmoins une occasion de se tourner vers Google pour en apprendre plus sur la géophysique et ces fameux rayons cosmiques.
S’il y a un spa au pied de la montagne pour ceux qui souhaitent se prélasser, il y a moyen, à Banff, de poursuivre les visites à haute valeur historique. J’avoue avoir boudé le lieu historique national Cave and Basin, qui est pourtant à l’origine de la création du parc national, le premier au Canada. Il s’agit d’une grotte que trois employés du Canadien Pacifique ont découverte en 1883. On y trouve des sources d’eau chaude sulfureuse. Le gouvernement du Canada avait acheté les droits sur le site pour créer une réserve naturelle.
Non loin de là, le luxueux Fairmont Banff Springs, ouvert en 1914, est difficile à manquer. On peut l’observer de Surprise Corner, un belvédère qui surplombe la rivière Bow, mais il est beaucoup plus intéressant et impressionnant de se stationner près des rapides, de l’autre côté du cours d’eau, et de grimper les quelques marches qui mène à l’hôtel. On dit qu’au début du 20e siècle, il était l’un des hôtels les plus fréquentés en Amérique du Nord. Il est aujourd’hui considéré comme un lieu historique national et il demeure particulièrement photogénique.
Quant à la ville de Banff elle-même, elle rappelle les complexes touristiques destinés aux skieurs. Les boutiques et les restaurants visent de toute évidence une clientèle de passage et le choix ne manque pas... pour peu qu’on se pointe à une heure raisonnable. Pénurie de personnel oblige, comme ailleurs au pays, peu nombreux étaient les établissements qui servaient encore de la nourriture aux heures tardives. Même les pubs fermaient leur cuisine avant que le soleil ne se couche. Mieux vaut donc succomber à la faim avant les coups de 21 h.