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Chaque matin, sous la canicule, la pluie ou la neige, ce résidant de l’ouest de Sherbrooke se rend au Cégep à vélo. Il voit des collègues le dépasser tout le long de la rue King. Il sait que le temps joue en sa faveur, puisqu’il n’aura qu’à cadenasser sa bicyclette à son arrivée pendant que les autres se chercheront une case de stationnement et négocieront avec l’horodateur.

« J’ai toujours aimé me promener en vélo, lance d’emblée l’enseignant au département de génie civil qui a grandi sur une ferme de Cookshire. Même tout petit, j’adorais enfourcher mon tricycle. Quand ma mère a vendu le mien, j’avais hurlé de douleur. Mais j’en avais reçu un nouveau. Pour moi, le vélo, c’est naturel. »

Le quinquagénaire n’est pas du genre à enfiler un costume moulant de lycra aux couleurs vives sur une bécane italienne de 5000 $, même s’il aime bien faire de la randonnée de temps à autre. Il ne dévale pas non plus les pentes du mont Bellevue avec des pneus à crampons et ne va pas faire des pirouettes dans les installations pour BMX au Triolet. Son truc à lui, c’est le vélo « utilitaire ». Il a trouvé son hybride sur kijiji et l’a payé 60 $ il y a une dizaine d’années.

Le vélo utilitaire est un moyen de transport parfaitement adapté pour la ville, pour peu que celle-ci soit accueillante à cette pratique. Il s’en sert pour se rendre au travail, à l’épicerie, au cinéma, à la bibliothèque, etc. Bien sûr, il possède une voiture, mais l’essentiel de ses déplacements s’effectue sur deux roues, assistées par une batterie Bionix.

« On a une voiture pour une famille de trois enfants, précise-t-il. À mes débuts comme enseignant, j’allais conduire mon plus jeune en vélo à la garderie du Cégep. J’avais mon petit siège en avant appuyé sur le guidon que j’avais rapporté de Hollande, où j’ai habité durant un an. Ma patronne me menaçait de me dénoncer à la DPJ, s’amuse-t-il. Mais il était tellement heureux bien emmitouflé. On ne voyait que son grand sourire. »

Les côtes? Pas de problème!

Quand les batteries Bionix sont arrivées sur le marché, il a été parmi les premiers à en faire l’essai à l’époque où l’entreprise produisait dans le parc industriel à Sherbrooke. « Ils avaient formé un groupe d’une vingtaine de testeurs pour l’hiver et j’ai embarqué. On en a installé un sur mon vélo et, chaque semaine, on faisait des mises à jour du logiciel. Ils faisaient des modifications en fonction des comportements de la batterie. » Depuis, les dénivelés typiques de Sherbrooke ne lui posent aucun problème. Il peut monter la côte King, Est ou Ouest, bien assis sur sa selle.

« Je suis un bricoleur, alors je répare mes vélos à mesure qu’ils brisent ou s’usent. Le mien doit avoir 20 ou 30 ans. Je l’ai acheté usagé. Il a roulé un peu l’hiver avec la batterie Bionix. La première roue qu’ils m’ont installée a fait 11 000 km uniquement l’hiver et surtout en déplacements urbains. Après, j’ai eu celui-ci, parce que l’autre commençait à être difficile à réparer. Ils m’ont installé une batterie de 500 watts sur un nouveau vélo et ils ont fermé l’année suivante. Je l’ai tellement aimé que j’ai décidé de ne plus rouler avec lui l’hiver. Maintenant, j’ai une vieille batterie que j’ai trouvée dans les petites annonces et que j’ai renippée. Elle approche des 10 000 km aussi. »

Militant

De simple cycliste, Fabien Burnotte est devenu militant au retour d’un séjour aux Pays-Bas, le royaume du pédalier. « J’ai vu là-bas des villes où on avait pris les grands moyens pour faire de la place aux cyclistes. Alors quand je suis revenu à Sherbrooke, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Je ne pouvais pas m’imaginer que mes enfants grandiraient dans un milieu dominé par l’auto comme ça. À mes débuts au Cégep, je me suis mis à militer pour bâtir des infrastructures cyclables, mais pas dans le but de faire une promenade le long de la rivière pour se rendre à North Hatley, mais pour aller à l’école, travailler, faire ses courses, rencontrer des amis, etc. » C’était au début des années 2000.

« Une des premières actions que nous avons faites était pour promouvoir le vélo hivernal. On a formé un petit groupe et on est allés en vélo devant le Parlement à Québec pour demander un meilleur financement des infrastructures. Il y avait du monde d’un peu partout. Mais aucun politicien n’est venu à notre rencontre. Ils devaient avoir quelque chose de plus urgent à s’occuper », ironise-t-il sans la moindre note d’exaspération. Patient, je vous dis!

Durant la même période, la Ville de Sherbrooke amorce des consultations qui mèneront à son Plan de mobilité durable, adopté en 2012. On y exprime la volonté de favoriser les moyens de transport moins polluants et plus actifs. Déjà un habitué des assemblées du conseil municipal, où il propose des améliorations concrètes aux élus, toujours sur un ton posé, Fabien Burnotte est aux premières loges pour promouvoir le vélo utilitaire. « Ça reste périlleux bien souvent de se rendre à l’école à pied ou en vélo, note-t-il. Il y a encore trop de parents qui conduisent leurs enfants en voiture. C’est un véritable problème. »

Ses interventions portent fruit, même si Sherbrooke ne peut pas encore être citée en modèle comme ville amie des cyclistes, de son propre aveu. « Je vois des améliorations notables depuis les cinq ou six dernières années, je dirais. Avec les changements climatiques et les préoccupations environnementales, avec les problèmes de santé nord-américains liés à l’obésité et au diabète, je constate que la résistance est moins grande du côté de la Ville. Là, on est dans une période de changements dans nos infrastructures. Dans deux ou trois ans, j’ai l’impression qu’on aura franchi un pas important. »

VUS

Fabien Burnotte est de mieux en mieux entouré quand il plaide en faveur des cyclistes. Surtout depuis qu’il a mis sur pied, avec deux autres personnes, le groupe Facebook appelé facétieusement VUS, pour Vélo urbain Sherbrooke et non véhicule utilitaire sport! « On a créé ça il y a six ou sept ans pour échanger sur les améliorations qui pourraient être faites afin de rendre la circulation plus sécuritaire. On est rendus à quelque 1000 membres », se réjouit-il.

« Les choses changent quand des citoyens soumettent un problème réel et des solutions à leurs élus. Et ce n’est pas toujours compliqué. Les voies cyclables sur le pont Jacques-Cartier et les corridors sur la rue Denault ou sur les 12e et 13e Avenues sont des exemples parfaits. Moi je suis ingénieur civil, je sais comment on peut aménager des rues pour faire une place aux vélos et j’ai vu ce qui se fait en Hollande. Je leur demande de dessiner des rues où les cyclistes pourront circuler de façon sécuritaire. Et on n’a pas besoin d’investir des sommes faramineuses. Des fois, il suffit de mettre une ligne de peinture au bon endroit qui fait toute la différence. Ce qui coûte cher, c’est quand on doit réparer les erreurs du passé. Comme la route 216, qui mène au CHUS, ça a coûté cher, mais c’est des pinottes comparativement à ce qu’on investit pour l’auto. Et on a juste corrigé une anomalie qui empêchait les piétons et les cyclistes de se rendre à l’hôpital. Il y en a beaucoup comme ça. On est en train de trouver des solutions. »

Ratés

Évidemment, Sherbrooke ne récolte pas que de bonnes notes, malgré ses efforts pour favoriser le transport actif. L’exemple de la voie cyclable aménagé devant le Carrefour de l’Estrie figure en tête parmi les ratés. « C’est un désastre, lance-t-il sans élever la voix encore une fois. Ils ont fait un corridor bidirectionnel entre le trottoir et le stationnement. Ça a coûté une fortune, ce tronçon-là et c’est dangereux et non fonctionnel. Tu es constamment arrêté parce que tous les feux sont rouges. Si tu vas là une fois, tu ne veux plus jamais y retourner. La passerelle qui enjambe l’autoroute au bout de Portland est bien, mais la plupart des gens vont choisir de poursuivre sur le boulevard ou de passer à l’arrière du Carrefour. »

Le cycliste a dû livrer bataille avec certains élus pour faire valoir la nécessité de favoriser l’aménagement de voie réservée aux vélos sur les artères les plus importantes alors que plusieurs aimeraient les détourner vers les rues moins achalandées. « Ça ne marche pas, insiste-t-il. Les cyclistes qui prennent la rue du Conseil, c’est parce qu’ils veulent aller sur cette rue. Ils ne passeront pas par Chalifoux pour se rendre dans un commerce. Et les cases de stationnement, il n’y en a pas tant que ça de perdues. La plupart des commerces ont leurs cases. Mais c’est classique : quand il y a des changements, il y a toujours quelques craintes. C’est comme sur la rue Belvédère, il y a des espaces tout le tour pour se garer, mais il y a deux ou trois commerçants qui sont nerveux parce qu’on a sacrifié quelques places devant leur établissement. »

Mieux outillés

Encore une fois, Fabien Burnotte fait confiance au temps. « Il y a toujours eu des fonctionnaires favorables aux cyclistes, mais je dirais qu’actuellement, ils ont généralement plus de facilité à comprendre nos besoins. Je constate que les plus jeunes urbanistes et ingénieurs de la Ville ont une conscience environnementale plus développée. Ils sont mieux outillés pour penser au développement de la ville où tout n’est pas centré sur l’automobile. Il y a des coûts énormes liés à cet espace et à la dégradation des milieux. »

Même patience dans le dossier de la rue Galt Ouest, où la Ville a mené un projet-pilote l’an dernier, qui a été brutalement interrompu à la suite de pressions politiques. « Cette expérience a été mal faite, commente-t-il. On n’a pas été consultés. C’est souvent comme ça. Avec la pandémie, c’était plus difficile de sonder les utilisateurs. Je ne blâme personne. Mais il faudra retourner à la planche à dessin et y revenir un jour ou l’autre, c’est certain. Et penser aussi au boulevard de l’Université, où il y aurait en masse d’espace pour faire une bande cyclable de chaque côté. C’est bien beau de faire des sentiers en forêt, mais il faut favoriser les accès les plus directs », réitère l’enseignant.

« Il y a des portes qui se sont ouvertes chez certains conseillers au cours des dernières années, se réjouit-il. Je me suis rendu plusieurs fois aux assemblées avec d’autres cyclistes et on se sent vraiment écoutés maintenant. On a même une place au Centre de mobilité durable. C’est une certaine reconnaissance du travail qu’on fait même si notre organisme est inexistant, virtuel. On n’a pas de structure, pas de conseil d’administration, on n’est pas enregistré, on n’a pas de budget. On fait juste échanger sur nos expériences. »

Prochaine étape

Sherbrooke deviendra véritablement une ville amie des cyclistes quand elle leur aura accordé une place dans les futurs aménagements au centre-ville. La reconfiguration de la rue des Grandes-Fourches suscite de grands espoirs chez Fabien Burnotte. « C’est toujours difficile de traverser le centre-ville en vélo. Il manque encore des connexions entre l’est et l’ouest du pont Aylmer. »

La réfection de la rue Wellington du centre-ville de Sherbrooke à celui de Lennoxville crée aussi des attentes. « C’est prévu pour l’été prochain, se réjouit-il. Les dessins sont faits, le ministère des Transports a donné son accord et ça s’en vient. Ça fait trois ou quatre ans qu’on demande aux employés municipaux, aux conseillers et au maire de permettre le transport actif entre Sherbrooke et Lennoxville sans faire un détour par le parc Atto Beaver. Il est censé y avoir une voie cyclable de chaque côté. J’ai bon espoir. »

Fabien Burnotte constate aussi une amélioration dans le comportement des automobilistes, beaucoup moins prompts à klaxonner à tout propos contre ceux avec qui ils apprennent à partager les rues. « Les automobilistes sont habitués à en voir partout et conduisent en conséquence. Il y en aura toujours pour s’offusquer de certains comportements, mais ils sont de moins en moins nombreux. C’est beaucoup mieux qu’avant », observe-t-il.

Il reste des endroits où il est toujours périlleux de circuler sur deux roues. Le pont Saint-François, qui relie les rues Terrill aux rues Moore et Montréal, en est un. Là encore, le cycliste d’expérience espère que la reconfiguration qui suivra la construction du nouveau pont des Grandes-Fourches améliorera les choses.

« C’est vraiment le fun d’avoir cette petite communauté de cyclistes qui cherchent à améliorer la situation et de constater qu’on est entendus, même s’il en reste beaucoup à faire. La prochaine étape serait de former un comité de cyclistes qui pourrait participer à la réflexion avec le Centre de mobilité durable lorsque la Ville voudra mettre de l’avant de nouveaux aménagements. On a déjà fait des démarches en ce sens. Est-ce que des candidats aux élections s’en inspireront? On verra bien. »

On a l’impression d’entendre les Stones chanter Time Is On My Side.

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