Chronique|

Les 12 travaux vers l’Alberta

Il aura fallu beaucoup de péripéties et de pirouettes pour mettre la main sur cette petite voiture de location en Alberta.

CHRONIQUE / Partira! Partira pas! Partira! Partira pas! Au lieu de compter les moutons, pour m’endormir, j’effeuillais des marguerites imaginaires. L’été 2021 laisserait-il les vacanciers oublier une nanoseconde qu’ils ont passé l’hiver dans le rouge, confinés à télétravailler? Ou les rêves d’escapades seraient-ils emportés par une autre déferlante?


L’angoisse n’endort pas comme les moutons. Le goût du risque, trop amer, ne me faisait pas envie. À quelques semaines de dire « Bye-bye boss » pour le repos estival, je n’avais toujours pas réservé de séjour au Québec. Le sentiment d’urgence clignotait comme le feu jaune qui s’apprête à repasser au rouge. Une hésitation et il est trop tard.

Ce serait donc l’Alberta, les Rocheuses, surtout, où le grand air et les ours noirs forcent à la distanciation. Les compagnies aériennes, flairant le risque d’un épisode de COVID inattendu, permettaient de reporter ou d’annuler sans frais les billets achetés avant le milieu de l’été. J’aimais l’idée d’un filet de secours, au cas.

Si c’est la contagion elle-même, en Alberta ou ici, qui me faisait craindre à un changement de plan inattendu, c’est plutôt la location de la voiture qui posait le plus grand défi.

J’ai cru au délire en apercevant les tarifs quotidiens pour conduire une bagnole entre Prairies et Rocheuses. Contre mauvaise fortune bon cœur, j’ai échafaudé le plan du compromis qui me permettrait de rallier les montagnes sans trop forcer le kilométrage. Habitué aux voyages plus spontanés, j’étais tout à coup rassuré, dans ce nouveau monde d’urgence sanitaire, de compter toutes mes réservations en poche : avion, voiture, hôtels. J’en revenais à mes moutons.

Jusqu’à ce coup de téléphone... L’afficheur annonçait un interlocuteur de Calgary. Dans une semaine tapant, me disait l’homme, nous n’aurons pas de voiture pour vous.

Pardon?

La compagnie de location, disait-il, avait commandé des voitures neuves qui tardaient à arriver. La livraison n’était certainement pas attendue pour une autre semaine. Toutes les compagnies de l’Alberta vivaient la même crise, ajoutait-il. Mon nom se trouvait sur la liste de rappel au cas où un miracle se produirait. Le choix de mot n’est pas le mien. Un miracle, rien de moins.

Quand j’ai demandé ce que j’étais censé faire, après avoir réservé tout mon voyage et engagé des dépenses, j’ai eu pour seule réponse : « Ça ne me fait pas plaisir de vous appeler. » On a vu mieux comme excuses.

Les sites internet des compagnies de location et les comparateurs de prix ne trouvaient plus la moindre voiture pour les dates de mon voyage. Niet. Même pas un vieux rafiot menacé pas la rouille. Que faire?

Obtenir une voiture de location à Calgary, au début du mois d’août, relevait pratiquement d’une mission impossible.

Deux jours plus tard, la collègue Mélanie Côté, du Quotidien, racontait le cauchemar d’un couple ayant reçu le même appel. Leur voyage entre Calgary et Vancouver a dû être décalé. De quelle protection jouissent les consommateurs, demandaient-ils? Comment une compagnie peut-elle annuler impunément une location qu’elle avait pourtant confirmée, et ce, même si elle n’avait pris aucun dépôt sur une carte de crédit? L’imbroglio est trop facile à plaider.

Pour ma part, je me suis tourné vers Turo, une plateforme de type Airbnb permettant la location d’une voiture d’un particulier. J’ai trouvé un bon Samaritain à Edmonton, à trois heures de route de mon lieu d’arrivée. Quand la vie nous donne des citrons, on fait de la limonade. Va pour Edmonton.

Il va de soi que l’itinéraire a dû changer. Les réservations d’hôtels aussi.

Mais voilà, à quatre jours du départ, le locateur a fait faux bond à son tour, avec ses plus plates excuses comme compensation.

Retour à la case départ. Parmi les 12 travaux d’Astérix, j’en étais rendu à la maison qui rend fou.

Il en existe d’autres, des options pour circuler en Alberta. Communauto y détient une flotte, comme au Québec, pour peu qu’on soit membre, qu’on s’inscrive un peu d’avance et qu’on possède un bon dossier de conduite. Les sites de covoiturage, comme Poparide, permettaient aussi de trouver pour une vingtaine de dollars, un siège pour un trajet vers Banff ou Lake Louise. De là, les sites d’intérêt sont tous interconnectés par des navettes.

Les plus grandes découvertes émanant parfois des plus grands des hasards, la solution m’est néanmoins venue d’une erreur d’aiguillage. Tapant sur une mauvaise touche sur mon clavier, j’ai déniché une voiture, encore plus chère que les précédentes, qui attendait encore qu’on lui assigne un conducteur. Je me suis dévoué, validant par téléphone qu’on ne me jouerait pas un autre vilain tour.

J’étais officiellement en voiture.

L’ironie n’ayant pas encore déversé tout son fiel, un courriel de confirmation concernant la toute première location, celle pour laquelle un appel non sollicité a chamboulé tous mes plans, m’est parvenu à quelques heures du départ.

Pantois, j’ai tenté de tirer les choses au clair. Oui, la compagnie en question avait des véhicules disponibles. Non, on ne comprenait pas pourquoi on m’avait appelé pour annuler ma location. Non, il n’y avait aucune note à mon dossier indiquant que je figurais sur une liste d’attente. Décidément.

À la plainte officielle que j’ai déposée, l’entreprise n’a pas été en mesure d’expliquer la situation. Il m’apparaît clair, cependant, que les clients sont les grands perdants d’imbroglios sans doute alimentés par la COVID et par l’incapacité des entreprises à gérer la forte demande.

Moi qui pensais que le niveau de contagion d’un virus risquait de chambouler les vacances. La COVID m’aura appris que quand il y a plan B, il y a aussi un plan C et un plan D.