6e rapport du GIEC : « Il y a un désormais »

La professeure Annie Chaloux pense que les gouvernements doivent prendre acte du rapport et qu’« à partir de maintenant, il y a un désormais ».

La professeure Annie Chaloux de l’Université de Sherbrooke est formelle : il reste bien une bouée d’espoir réelle dans le rapport du GIEC publié le 9 août, « mais ça appelle à l’action maintenant ». Le rapport présente cinq scénarios, du plus pessimiste au plus optimiste. « Dans le scénario optimiste qui nous permet encore d’atteindre nos objectifs climatiques, on voit que c’est encore possible », enseigne-t-elle. Mais pour cela, « dès maintenant », il importe de réduire radicalement nos émissions de gaz à effet de serre [GES] chaque année d’ici 2030 et d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, précise-t-elle.


Le défi est de taille, mais des solutions existent. La professeure Chaloux est d’avis qu’il faudrait maintenant mettre sur table « toutes les solutions aussi abracadabrantes qu’elles puissent paraitre et puis regarder lesquelles on prend, à court terme, pour tout de suite réduire les émissions. » 

Les conclusions catastrophiques du 6e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne sont pas tant une surprise pour Mme Chaloux. « On savait qu’il fallait faire quelque chose, mais on avait toujours l’espoir naïf que, par exemple, les technologies allaient nous sauver, qu’il y allait y avoir un miracle scientifique ou technique qui allait changer les choses sans qu’on ait à faire face au problème réel ». 

À présent, « le problème est concret et c’est notre consommation », nomme Mme Chaloux, qui est aussi directrice de la revue Climatoscope.

« À partir de maintenant »

Pour suivre la bonne courbe, Mme Chaloux pense que les gouvernements doivent prendre acte du rapport et qu’« à partir de maintenant, il y a un désormais ». « Désormais, on ne pourra plus mettre en place toute politique qui ne sera pas lue sous le prisme de la lutte contre les changements climatiques. Il faudra se questionner sur tout nouveau projet qui accroit les GES, car il faudra le compenser ailleurs et même le surcompenser pour arriver à réduire nos émissions, dès cette année. » Par exemple, elle s’interroge sur le projet d’aéroport à Sherbrooke ou le nombre « gargantuesque » de places de stationnement du projet Well Sud en centre-ville. « Est-ce qu’en 2021, c’est une bonne décision ? Est-on capable de dire que, désormais, ce genre de projet n’aura plus sa place ? »  

La professeure, qui est aussi codirectrice du Groupe d’études et de recherche sur l’international et le Québec (GÉRIQ), pense que « les politiques draconiennes vont devoir faire partie de l’éventail des solutions, désormais ». Elle dit qu’elle ne sera pas surprise que, d’ici quelques années, « on fasse des restrictions pour les automobiles, comme ça se fait déjà en Chine pour la qualité de l’air ». Avec la circulation alternée, par exemple, lors des journées paires, seules les voitures avec une plaque d’immatriculation paire peuvent rouler (et les plaques d’immatriculation impaires roulent les journées impaires), « pour diminuer concrètement l’utilisation de la voiture. »

Des restrictions pour les industries les plus polluantes pourraient également voir le jour, pense la professeure. Par exemple, certaines pourraient ne pas pouvoir fonctionner au maximum de sa capacité de production ou émettre un maximum autorisé de GES.

« On ne peut plus voir cela comme des mesures radicales, ça doit faire partie du panier d’options qui est sur la table. Ce qui est important, c’est que les gouvernements ont le choix et la pandémie nous a montré qu’ils avaient beaucoup plus de moyens et de capacité d’intervention sur le vivre ensemble que ce qu’on pensait précédemment. Mais il ne faut pas laisser les gens derrière ! »   



Le défi est de taille, mais des solutions existent.

Qu’est-ce qui est important ?

« Au Canada, qu’est-ce qui est important : sauver les pétrolières ou les emplois bien rémunérés ? » Si ce sont les emplois, le gouvernement peut faire le choix de ne plus subventionner les hydrocarbures, mais plutôt d’aider directement les travailleurs à se réorienter dans des secteurs d’avenir, fait-elle observer.

Elle fait un parallèle avec l’industrie du tabac. « C’est comme si on disait aujourd’hui qu’il fallait soutenir l’industrie du tabac, car c’est beaucoup d’emplois au Canada et qu’il fallait faire en sorte que les gens fument, car ça soutient notre économie. On voit l’absurdité du discours… mais c’est exactement la même chose pour le secteur des hydrocarbures ! »  

Mme Chaloux pense que d’ici 5 à 10 ans, « nos gouvernements devront être tenus pour responsables pour toute politique qui enfreint les objectifs de l’Accord de Paris ». Elle rappelle l’impact pour les générations actuelles et futures. « En Alberta, on dit aux enfants et aux adultes de ne plus sortir de la maison parce que la qualité de l’air est trop mauvaise… On s’en va vers cela et, il ne faut pas se leurrer, ça va empirer, car on est seulement à 1,1 degré Celcius supplémentaire et on va atteindre le 1,5 », explique Mme Chaloux pour insister sur le fait que les impacts du réchauffement climatique sont déjà là. 

Les citoyens comme premier moteur

Mme Chaloux fait remarquer qu’une forte critique de l’inaction des gouvernements a suivi la publication du rapport. Mais les actions ne sont pas réservées qu’aux gouvernements. « On a tous plein de sphères dans notre vie où on peut faire une contribution significative ». 

S’agissant d’une démarche de transition, « on comprend que ça ne sera jamais parfait », explique Mme Chaloux. Toutefois, plutôt que de pointer toutes les incohérences « et pendant ce temps ne rien faire », Mme Chaloux pense qu’il est important de prendre ses responsabilités et « d’essayer de noter nos propres incohérences et tenter d’y mettre un terme autant que faire se peut ».  

Elle cite une diminution de la consommation de viande et le végétarisme, une mobilité réfléchie, une réflexion sur la consommation de vêtements et de biens en général. « C’est se demander à chaque fois si c’est une nécessité, un luxe dont je n’ai pas besoin, ou si je peux l’obtenir via un partage », précise-t-elle en citant le prêt de voiture entre particuliers ou encore le partage d’outils.

La décroissance fait également de plus en plus partie de l’éventail des solutions à envisager. « C’est très difficile dans le modèle économique actuel d’intégrer cette notion, mais elle est importante », pense Mme Chaloux qui rappelle que « la croissance n’équivaut pas à l’amélioration du bien-être ».

C’est pourquoi l’expert membre du GIEC et enseignant à l’Université de Sherbrooke a accepté de prendre part au documentaire mené par la journaliste Catherine Dubé nommé Prêts pour la décroissance? Réalisé par Simon Lamontagne et produit par L’actualité et les Productions Bazzo Bazzo en collaboration avec Télé-Québec, le documentaire pourrait amorcer de longues conversations dans les foyers lors de sa diffusion, mercredi. Mais quels changements implique cette alternative?

François Delorme le dit d’emblée en entrevue avec La Tribune : impossible de lui « coller l’étiquette de l’économiste de gauche dogmatique », explique celui qui a notamment œuvré au sein d’Industrie Canada et du ministère fédéral des Finances. Mais, comme expert, il a dû se rendre à l’évidence : « Tout ce qu’on essaie de faire dans le cadre du système actuel, ça ne marche pas, et on doit s’en rendre compte. » Le calcul du progrès et du succès selon le PIB n’aurait ainsi plus sa place dans une société qui tente de remédier au réchauffement climatique ainsi qu’à la perte de biodiversité.

« Il va falloir se montrer plus créatifs. On arrive au moment où on ne peut plus respirer et on ne pourra plus vivre sur cette terre. Il faut se dire qu’il y a peut-être d’autres façons de vivre sa vie sans que ça passe par le monétaire. Il faut réaliser qu’on peut être plus heureux et plus épanouis avec moins, et il faut en parler. »



Alix Ruhlmann, détentrice d’une maîtrise en gestion de l’environnement de l’Udes et intervenante dans le documentaire, propose notamment différentes pistes individuelles. Dans son essai La Décroissance : une alternative pour le Québec?, elle avance qu’une diminution de la consommation personnelle et une réduction du temps de travail, desquels résulterait une production amoindrie, permettraient notamment de créer un équilibre économique plus sain pour tous.

M. Delorme cite d’ailleurs en exemple une étude réalisée en 2010 par les économistes Daniel Kahneman et Angus Deaton, qui ont déterminé qu’au-delà d’un seuil de 75 000 US $ (environ 100 000 $ CAN) par année, l’indice de bien-être émotionnel d’un individu cesse de croître.

François Delorme

Réglementation

Si les citoyens doivent se convaincre de délaisser la « glorification du Dieu-Dollar », comme l’a écrit Mme Ruhlmann, les décideurs devront également se montrer à la hauteur de la tâche, plaide M. Delorme.

« Les signaux doivent venir des gens qui sont supposés nous amener vers le bien commun, mais le système politique est beaucoup trop axé sur le court terme. Quand on parle de problèmes environnementaux, ça prend un peu plus de continuité et de cohérence. On n’est pas équipés en termes de système démocratique et de gouvernance pour s’attaquer aux problèmes à long terme. »

Un mot clé demeure dans son discours : « coercition ». « Ce mot-là fait peur, je le comprends, mais on a déjà plusieurs formes de coercition au sein de notre société, précise-t-il. Je ne peux pas rouler à 140 km/h sur l’autoroute 10, même si j’en ai envie. Si autant d’experts se rendent à la même évidence que moi, qu’on n’a jamais fait face à un problème aussi grave et à un défi aussi important, ça demande peut-être des mesures aussi importantes. On ne va pas t’empêcher de prendre l’avion, mais on pourrait limiter ton nombre de voyages annuel, par exemple. »

Il estime notamment que des traités contraignants, comportant de véritables pénalités, devraient être signés entre les différents pays. « Ça aussi, c’est une forme de coercition. N’importe qui qui imposerait une très grosse taxe sur le carbone isolément se tirerait dans le pied d’un point de vue économique. »



Coopération

Finalement, la décroissance ne pourra être atteinte que si les citoyens revoient leurs liens sociaux, insiste l’économiste. « Ça va passer par retrouver une façon de consolider la coopération, dit-il. C’est possible que ça me fasse du bien de conduire un ski-doo ou de fumer, mais ce n’est pas bon pour la planète ni pour les autres. On est toujours un peu motivés par nos intérêts individuels. C’est ça qu’il faut déconstruire. Il faudra prôner l’économie circulaire, et favoriser une transition par plus de collectifs. Ça passe par les liens, pas plus d’engagements envers la société. C’est à nos autorités publiques de faire ça en premier lieu et d’arrêter que ce mouvement-là reste marginal. »

Le défi est grand, mais « j’y crois, sinon, je ne ferais pas tout ça, confirme M. Delorme, qui prône personnellement une croissance dite limitée et respectant les limites de la planète. Est-ce que je pense qu’on va avoir une société qui va être décroissante? Non. Est-ce que c’est ce qu’on aura besoin? Oui. On dit toujours qu’il faut demander la lune pour obtenir quelque chose dans le milieu. »

Dans son essai, Alix Ruhlmann parle même de « tout un projet sociopolitique qui pourrait émerger au Québec ». Celui-ci permettrait non seulement de préserver l’environnement, mais aussi de favoriser un mieux-être psychologique et physique, selon elle. À travers un plus grand engagement citoyen et la mise en lumière de valeurs d’entraide, d’altruisme et de partage, le Québec en serait un plus équitable et plus près de ses objectifs sociétaux. « La situation québécoise s’éloigne souvent de ce que pourrait souhaiter le Québec », écrit-elle d’ailleurs.