Cinq questions à Thomas Martens, dg du Site historique national de Paspébiac

Les bâtiments du Site historique national de Paspébiac sont vraiment uniques sur le plan architectural et en raison de leur riche histoire industrielle.

Cinq questions à Thomas Martens, directeur général du Site historique national de Paspébiac, jadis appelé Site du banc de pêche. Il s’agit d’un ensemble de bâtiments retraçant l’histoire de la pêche, de la transformation et des exportations de morue sous l’égide de la Compagnie Charles Robin, ou Charles Robin and Company, une firme établie en Gaspésie en 1768.


Question : Comment se déroule l’été 2021 sur le plan de l’achalandage et des activités quotidiennes?

Réponse : Ça se déroule très bien à la surprise générale. Il faut remettre en perspective qu’en 2019, on a accueilli 120 autobus de groupes et qu’en 2020, à cause de la COVID-19, on a perdu ces mêmes réservations; ça a fait très mal. Cette année, on a peu d’autobus, une fraction de ce qu’on reçoit d’habitude, et on a plus de visiteurs qu’en 2019 à pareille date.  Financièrement, c’est bien, parce qu’on ne s’attendait pas à des chiffres aussi bons. Une bonne année ici, c’est 20 000 personnes. Pour nous, c’est énorme.

On a accueilli jusqu’à maintenant presque exclusivement des Québécois. Habituellement 50% de notre clientèle est constituée de visiteurs internationaux, dont 90% de ces visiteurs internationaux venant de l’Europe francophone, la grande majorité en autobus organisés. Nous sommes à mi-chemin entre Carleton et Percé et les autobus arrêtent ici pour deux choses, premièrement une visite de qualité, intéressante, partiellement en plein air, avec contact direct avec des Paspéyas (les citoyens de Paspébiac) et deuxièmement, parce qu’ils ont le repas. Il s’agit d’une expérience culinaire patrimoniale, puisque ce sont des plats avec de la morue, dans la perspective que le patrimoine immatériel, le repas en étant un exemple jusqu’à un certain point, comme la musique et le langage, est aussi important que le patrimoine matériel, comme les bâtiments.

Thomas Martens souhaite que la restauration des bâtiments du Site historique national du banc de Paspébiac fasse partie d’un processus continu.

Question : Décrivez-nous le lieu; que peut-on y voir?

Réponse : Le site est un banc de pêche s’avançant dans la baie des Chaleurs. Je l’appelle le Gibraltar de la Baie des Chaleurs. De là, tu contrôles la baie et tu as un accès à tout le golfe. En 1768, Charles Robin (un entrepreneur de l’île anglo-normande Jersey) a reconnu l’importance stratégique du lieu et l’abondance de la morue. La Compagnie Charles Robin a existé pendant près de 250 ans, jusqu’en 2007, ce qui en fait l’entreprise la plus durable du Canada, après la Baie d’Hudson. Il y avait à une époque plus de 60 bâtiments et il en reste 11, la majorité ayant brûlé en 1964. Aujourd’hui, ce sont des bâtiments classés grâce aux efforts des citoyens de Paspébiac. On fête de plus deux anniversaires cette année puisqu’en 1981, le ministère de la Culture du Québec a reconnu la valeur patrimoniale du site alors qu’en 2001, c’est le gouvernement du Canada qui a fait de même.

Les gens peuvent visiter le musée, arrêter au restaurant puis, à travers les participations à notre programmation et les visites à la boutique, spécialisée en artisanat local, on réserve une place exclusive aux artisans et artistes gaspésiens. On a dans notre programmation des danses traditionnelles; quatre à six fois par année, avec Nos après-midis sur la galerie, avec un petit orchestre, on présente des activités animées par des Gaspésiens et des Gaspésiennes, comme Lucille Arsenault. On fait aussi des soupers thématiques.

Question : L’année 2020 a-t-elle été difficile, sur le plan budgétaire, au Site historique national de Paspébiac?

Réponse : L’an passé, le déficit a été de 20 000 $. Le déficit est attribuable à la fermeture de la salle à manger, mais aussi à la perte des autobus, ce qui nous fait perdre les clients pour le repas du midi. On a intégré le déficit dans notre budget, parce que je ne voulais pas perdre mon équipe. Notre problème, c’est la petitesse de notre cuisine. On avait compris qu’on pourrait ouvrir la salle à manger cette année, mais pour l’ouvrir, j’ai besoin de plus d’espace, pour répondre aux normes. Cette année, nous prévoyons un déficit dans les 35 000$. Le budget total était de 640 000 $ en 2020, incluant le restaurant, ouvert seulement pour les plats à emporter. Le budget total comprend évidemment aussi tous nos projets d’amélioration et de développement en cours, ce qui explique que ce budget peut varier d’une année à l’autre. 

Question : Il y a eu des phases de rénovation au fil des ans, mais vous en planifiez une autre : en quoi consistera-t-elle?

Réponse : Nous avons eu une première phase de rénovation au début des années 1980 et une autre dans les années 2000. On entame la troisième phase des rénovations, une suite des phases précédentes. Les bâtiments historiques ont besoin de soins constants. On commence la phase permanente, ou continuelle, de restauration. Au lieu de faire ça « d’une shot » (d’un seul coup), on le fait pour intégrer le processus de restauration constante, avec notre conservateur, Jeannot Bourdages, qui assure la continuité de cette restauration, avec l’objectif d’avoir la main-d’œuvre qualifiée sur place, pour le faire nous-mêmes, au lieu d’attendre que tout se dégrade et recommencer.

Ça coûte beaucoup moins cher ainsi et ça nous permet, avec des entrepreneurs locaux, de développer les compétences. On va l’intègre au budget à tous les ans, comme le souhaite le ministère de la Culture du Québec.

On a terminé la première phase de cette approche; on a reçu l’audit de l’expertise architecturale. On a déjà l’état de santé de chaque bâtiment. Cet état de santé montre qu’il y a un excès d’humidité en raison des changements climatiques; il y a plus de pourriture, L’effet des hivers plus doux cause plus d’infiltration qu’avant. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit des bâtiments industriels. Nous sommes le plus vieux parc industriel du Canada encore debout.

En ce qui concerne le budget et l’échéancier, on est en plein dans le processus. Je n’ai pas encore de chiffres. Ça va venir dans le courant de l’année, ou l’année prochaine. Le budget reste à établir. Il y a urgence pour quelques bâtiments, surtout pour les portes et les fenêtres, puis certains murs. Comme dans d’autres bâtiments historiques, ce sont toujours les parties mobiles qui sont les plus sollicités. Quelques façades sont plus affectées que d’autres par les gels et dégels, mais c’est sous contrôle.

Question : Vous avez entamé une démarche auprès de l’UNESCO pour que le site fasse partie du Patrimoine mondial : pourquoi et quel est l’horizon temporel plausible?

Réponse : Nous possédons le plus vieux parc industriel du Canada. C’est ici que la transformation alimentaire prérévolution industrielle a été inventée au pays. On est vraiment dans l’époque précédant 1800. Dans la Compagnie Charles Robin, on a séparé les tâches, et c’est devenu une entreprise internationale, qui avait pour terrain de jeu tout le golfe du Saint-Laurent. Partout autour du golfe, il y avait des établissements de la compagnie Robin. La compagnie contrôlait la pêche, la transformation, la conservation, l’entreposage, la distribution de ses produits avec ses propres navires et elle en construisait, de ces navires. On peut parler du premier « holding «, d’un modèle d’affaires où tout était contrôlé par la compagnie, tout ça basé sur une seule ressource, la morue.

Ces éléments nous incitent à aller vers l’UNESCO pour faire valoir notre histoire industrielle, sociale et architecturale, puis l’histoire de la conservation de bâtiments à l’initiative d’un regroupement de citoyens. On peut calculer une dizaine d’années pour la reconnaissance de l’UNESCO. On a commencé nos démarches il y a deux ans.

Nous avons entretemps un problème qui bloque le développement d’un pavillon d’accueil que nous voulons construire : nous n’avons pas de canalisation (d’égout) au Site du banc de pêche. Nous avons besoin d’un pavillon d’accueil pour y intégrer l’accueil, justement, puis un espace d’exposition ou de documentation, la boutique, des toilettes publiques et un restaurant où on peut accueillir de plus grands groupes. On voudrait mettre nos bureaux dans ce pavillon et faire en sorte que nos bâtiments ne servent qu’à l’interprétation.

Pour ce faire, on a besoin de canalisation. Unipêche MDM (une usine de transformation de produits marins adjacente) a un champ d’épuration, comme nous, mais c’est un droit acquis, et ça ne marche pas pour un nouveau bâtiment. Quand notre pavillon sera construit et fonctionnel, nous pourrons mettre en valeur un cadeau qu’on a reçu du Fisheries Museum of the Atlantic, en Nouvelle-Écosse, une barge qu’on a construite ici, la Marie-Thérèse, entièrement restaurée, antérieure aux Gaspésiennes (des bateaux développés un peu avant 1960), une « barge trois jours », comme on les appelait, parce que ça correspondait à la durée du séjour en mer de certains pêcheurs de morue.