« La chose qui est vraiment particulière avec le vaccin, c’est que c’est un dilemme social, un dilemme d’action collective. Ce que ça veut dire, c’est que les individus choisissent, mais leur choix a un impact direct sur la collectivité », explique le professeur François Claveau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en épistémologie pratique et professeur en philosophie et en éthique appliquée à l’Université de Sherbrooke.
Le chercheur sur la dynamique sociale et scientifique est toutefois d’avis que la diversité des opinions quant à la vaccination est rassurante.
« Ce qui ne ressort pas très bien dans l’espace médiatique, c’est à quel point la multiplicité des points de vue est une caractéristique essentielle de la démocratie. C’est une force de notre démocratie qu’il n’y ait pas une seule voix. Le fait qu’il y ait des voix dissidentes dans ce cas comme dans d’autres cas n’est pas un problème en fait, c’est plutôt une force », souligne le jeune chercheur.
Pour le docteur Alain Poirier, une partie de la résistance à la vaccination serait attribuable à la discrétion de ses retombées au fil des décennies.
« C’est le défaut de la prévention souvent, car elle est invisible quand elle marche. Pour la majorité des maladies, quand on a un vaccin qui fonctionne, la maladie disparaît de nos yeux, de nos peaux, de notre corps. Si on prend la rougeole, on n’en voit plus beaucoup de cas de rougeole au Québec, mais de temps en temps ça revient, parce que la rougeole n’est pas éliminée de la surface de la planète! La maladie revient quand les gens deviennent un peu trop confiants en se disant qu’ils n’en ont pas besoin, que personne ne développe cette maladie. Si on ne voit pas de cas de rougeole, c’est justement parce qu’il y a le vaccin! Les vaccins sont probablement une des plus belles inventions de la médecine, ça marche bien », affirme le directeur de la santé publique de l’Estrie.
Une vraie résistance à la vaccination?
Les messages récurrents des autorités peuvent mener la population à croire qu’une partie importante des Québécois n’a pas reçu le vaccin, ou n’est pas en accord avec le consensus scientifique sur la vaccination. Or, en s’appuyant sur de récentes statistiques, le Pr Claveau constate plutôt le contraire.
« En fait, le niveau d’accord sur les positions qui sont mises de l’avant par les autorités politiques et la santé publique est extrêmement élevé comparé à d’autres phénomènes sociaux où c’est plutôt 50/50. On parle d’un taux d’accord de 80 %, ce qui est très élevé en démocratie. Le taux de confiance envers les scientifiques en occident est très élevé depuis le début des sondages à ce sujet dans les années 70. En fait, 80 % des Québécois et plus disent qu’ils ont confiance en l’institution scientifique. La seule chose qui rivalise avec un taux pareil en occident, c’est la confiance envers les militaires aux États-Unis », indique le Pr Claveau.
Toutefois, il y a bel et bien un 20 % de la population hésitant ou sceptique en ce qui a trait à la vaccination. Mais pour le chercheur de l’Université de Sherbrooke, la stratégie actuelle adoptée par le gouvernement n’est pas optimale.
L’obligation a souvent un effet pervers. Des recherches à l’Université de Sherbrooke ont démontré que pour les populations hésitantes, l’idéal est de prendre au sérieux leurs hésitations, de discuter avec eux, et pas d’être juste dans une logique de “ l’autorité envoie un message ”. Le dialogue pourrait avoir un effet positif sur la vaccination.
Pour le Dr Poirier, le problème se situe dans une mauvaise évaluation de la « balance des inconvénients » et une compréhension parfois incomplète du vaccin.
« Les hésitants ou les gens qui ont peur de la vaccination, c’est souvent parce qu’ils ne se sont pas fait bien expliquer l’effet du vaccin versus l’effet potentiel de la maladie, ou parce qu’ils n’ont pas peur de la maladie. Mais il faut savoir que c’est toujours une analyse d’équilibre quand la santé publique décide d’introduire un vaccin dans la population. Un équilibre entre les retombées négatives de ce qu’on veut combattre et les retombées négatives de ce qu’on offre pour le combattre, soit le vaccin. Il faut qu’il y ait beaucoup plus de bénéfices avec le vaccin pour qu’on le propose. Si on créait autant de morts ou de malades avec le vaccin qu’avec le virus, on ne le proposerait pas », explique le Dr Poirier.
Une impression de déjà-vu
Si la situation actuelle a souvent été qualifiée d’inédite par les dirigeants, pour le Pr François Claveau, c’est plutôt une histoire qui se répète. En février 1885, le virus de la variole s’installait à Montréal pour faire un total de 5864 victimes à l’échelle du Québec en l’espace d’un an.
À l’époque, la propagation du virus avait également créé un désordre social important, selon le Pr Claveau.
« En 1885, il y a eu de grosses émeutes à Montréal et l’armée est descendue dans la ville pour forcer les gens à se faire vacciner. Il y avait aussi des conflits entre les francophones, les anglophones. C’est aussi en même temps que la pendaison de Louis Riel et la rébellion des Métis », rappelle le chercheur.
Comme l’histoire semble se réécrire, il convient de se rappeler que c’est une campagne de vaccination massive organisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vers 1958 qui a permis d’éradiquer pour de bon la variole de la surface de la planète dès 1980, et ce, malgré l’hésitation initiale des gens à se faire vacciner. Si la vaccination demeure un choix pour chaque individu, les experts semblent d’avis que la vaccination constitue la façon la plus indiquée pour la société de mettre éventuellement un terme à la pandémie qui sévit depuis maintenant 17 mois.