Chronique|

Une cinquantaine d’enfants sans toit

À la veille du 1er juillet, plus de 70 ménages n’ont toujours pas trouver de logement dans la région de Sherbrooke.

CHRONIQUE / Chercher un logement, c’est toujours stressant. Même quand on le fait en mars, quelques mois avant le déménagement. Je n’ose pas imaginer la montagne d’émotions quand tu es encore en train de chercher quelques heures avant le 1er juillet.


Le nombre de ménages sherbrookois sans logement dès jeudi a encore augmenté ces derniers jours. L’Association des locataires de Sherbrooke dénombrait 72 ménages mardi en début d’après-midi. Parmi ces ménages, on compte 65 adultes et 50 enfants. 

J’ai demandé à Normand Couture de l’Association des locataires comment était le moral des ménages. « Ils sont en panique. Ce n’est pas depuis hier qu’ils vivent ça, c’est depuis avril. Après deux ou trois mois de refus, c’est la panique. » On présume facilement comment ça peut affecter la santé mentale de toutes ces personnes prises à la gorge.

La Ville de Sherbrooke offre un coup de main. Du 1er au 15 juillet, ces ménages seront hébergés par la municipalité. La Ville va aussi offrir des repas, entreposer les meubles et payer les frais du premier déménagement – de l’ancien logement à l’entrepôt. Une aide nécessaire et très, très, très utile, mais qui demeure bien temporaire. 

Le problème de fond demeure. Il y a une crise du logement qui touche l’ensemble du Québec, avec des taux d’inoccupation records dans plusieurs villes. Une étude du Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ) estime que le coût des loyers à Sherbrooke a augmenté de 16 % en un an.

L’augmentation serait de 22 % à Granby, 16 % à Trois-Rivières, 10 % à Saguenay. Peu de monde a vu son revenu augmenter aussi rapidement en si peu de temps.

Il y a cette idée que les gens qui ne trouvent pas de logements en juin sont probablement de mauvais locataires. « Dans ma liste, il y en a qui ont eu des loyers en retard ou des problèmes de comportements, mais c’est seulement 20 %, les autres ont de bons dossiers, de bonnes références », répond Normand Couture.

Il ajoute que si l’Association des locataires de Sherbrooke aidait majoritairement des personnes à faibles revenus il y a quelques années, elle aide aussi, maintenant, des personnes qui sont considérées dans la classe moyenne, mais victimes de discrimination. Ou incapables de se payer un logement à 1300 $ ou 1400 $ par mois, malgré leur emploi stable.

C’est d’ailleurs un obstacle dans l’aide du gouvernement, le plafond des loyers admissibles est de 905 $ pour un 5 et demi. Dans mon recensement des loyers disponibles en avril, je notais que la moyenne pour un 5 et demi à Sherbrooke était de 1154 $. Ça ne fonctionne pas.

La faille du marché 

J’ai beau revirer ça de tous les bords, chercher la bonne façon de le dire, mais je n’arrive pas à trouver les mots qui résument, avec toutes les nuances possibles, comment je trouve que ça n’a pas de bon sens que 50 enfants n’aient pas de toit. Comment ne pas y voir une faille du système? Du marché immobilier?

La dernière fois que j’ai écrit sur la crise du logement, des propriétaires m’ont écrit pour me dire que la plupart étaient de bons et de bonnes propriétaires. Je n’ai jamais prétendu le contraire. Mais on fait quoi avec les propriétaires qui font de la discrimination? Qui refusent de louer à des personnes qui sont sur l’aide sociale ou sur des pensions de vieillesse? À des personnes immigrantes? À des familles?

On fait quoi avec les pommes pourries? J’aimerais ça voir la CORPIQ, l’association des propriétaires, condamner ces pratiques-là, être proactive en s’assurant d’une forme de déontologie qui protège les locataires de la discrimination. Juste, minimalement, ne pas donner l’impression qu’elle protège les pratiques douteuses et immorales.

L’autorégulation n’est pas très convaincante en ce moment. Si la crise du logement est le résultat « normal » du marché, le marché ne fonctionne pas. La réalité, c’est que la spéculation immobilière influence davantage le marché que les propriétaires qui ont le cœur sur la main.

La situation ne repose pas que sur le dos des 72 ménages sans logement ni que sur les propriétaires. C’est un chantier collectif. Comment s’assurer que les locataires ne subissent pas de discrimination? Comment veiller à ce qu’il y ait un ratio respectable de logements abordables? Comment garder un équilibre pour que les familles puissent trouver des logements assez grands? Comment s’assurer que ces ménages ne se retrouvent pas dans des logements insalubres? La fin des baux à la même date crée-t-elle une congestion problématique? 

Que fait-on des locataires problématiques? Je comprends que des propriétaires hésitent à leur louer un logement. Mais après? Que fait-on comme société? On les condamne à la rue? Si ces personnes ont des enfants, ces enfants ne méritent-ils pas un toit? Peut-être que la responsabilité est du côté des gouvernements, mais ces personnes ont aussi besoin d’un toit. Et il faut sûrement aussi leur offrir l’aide dont elles ont besoin, les problèmes de comportement découlent sûrement d’autres problèmes. Une chose est sûre, les laisser tomber ne va qu’aggraver leurs situations.

J’ai beau revirer tout ça dans ma tête, je ne vois aucune raison qui justifie que 50 enfants se retrouvent à la rue du jour au lendemain. Il serait temps de trouver des solutions durables.