« Ça fait 25 ans que je suis pigiste dans l’univers du voyage. Je voulais me faire plaisir et l’idée de départ était de publier mes plus belles histoires en carrière. La pandémie est arrivée et je trouvais que j’étais à côté de la plaque. Ce n’est pas vers ça que s’en va le voyage. Notre vie est en changement. Tout est en mutation et ça se répercutera sur le voyage. J’ai donc voulu présenter 100 aventures qui ont du sens », résume-t-elle. Elle cite un texte sur l’Uruguay, où elle nous entraîne dans un parc où on loge dans d’anciennes bicoques de pêcheurs converties en dortoirs alimentés à l’énergie solaire. Ou encore Christiania, le quartier « utopique » de Copenhague où on cherche à adopter un mode de vie durable.
Carolyne Parent le dit ouvertement, son recueil n’est pas un guide de voyage. Il cherche plutôt à inspirer le lecteur à voyager autrement, à chercher des expériences différentes plutôt que de s’agglutiner avec des milliers d’autres touristes dans une capitale photographiée à outrance. Le graphisme du bouquin, coloré à souhait et mettant en valeur de magnifiques photos, donne envie de dévorer les aventures de l’auteur avec les yeux d’abord, avant de se laisser emporter par les mots qui résument des histoires hors de l’ordinaire.
Dès l’introduction, je me suis trouvé une parenté avec la journaliste, qui parcourait le monde bien avant que j’obtienne mon premier passeport. Les façons de voyager ont changé, convient-elle. Avant, on tenait un journal de nos aventures. Aujourd’hui, plus personne n’a le temps de consigner des notes à propos des lieux qu’on coche plutôt sur notre bucket list. J’ai souri, alors que je garde encore des cahiers barbouillés que j’ai remplis avec soin les premières fois que j’ai pris l’avion. Il est vrai que j’en ai perdu l’habitude. J’ai aussi aimé le regard que Carolyne Parent pose sur l’étranger, sur l’autre et son milieu de vie.
Comble du hasard, nous avons tous les deux choisi la Pologne pour notre premier voyage solo en Europe. « J’avais 17 ans. Je me suis envoyé une carte postale par jour pour en faire un journal de voyage. Ma mère me disait que je me prenais pour une journaliste... », raconte-t-elle en riant.
Même en admirant les beautés connues des destinations populaires, Carolyne Parent se permet quelques regards de côté et ramène des souvenirs inusités. Qu’elle nous raconte les chevaux sauvages de Corolla, en Caroline du Nord, le sanctuaire de papillons d’El Rosario, au Mexique, ou les cérémonies initiatiques au Sénégal, elle nous livre ce qu’on n’a pas encore vu ou lu du reste du monde.
« Je voyage pour rencontrer des gens. Avant, il y avait une hiérarchie du voyage. On ne partait pas à Paris avant d’avoir vu New York. Maintenant, on a perdu un peu le désir du voyage, cette envie de s’imprégner, de lire avant de partir, d’écouter la musique du pays, de goûter sa cuisine. Avant, le voyage commençait bien avant qu’on soit assis dans l’avion. Il faudrait un retour du balancier, qu’on retire de nos voyages plus qu’une belle photo sur Instagram. Il faut arrêter de toujours recréer les mêmes choses. »
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Mais n’y a-t-il pas un danger à partager des secrets, des histoires de « sentiers moins fréquentés » et d’en faire la nouvelle saveur à la mode? « Là où il y a un os dans la moulinette, c’est dans la gestion des foules, des files d’attente. Il a fallu limiter le nombre de visiteurs au Machu Picchu et dans le vieux Dubrovnik. Ce que tout le monde prône, c’est de diversifier davantage. Oui, allez voir Dubrovnik parce que vous avez aimé Game of Thrones, mais après allez dans l’arrière-pays croate. Le tourisme de demain passe par la gestion du flux touristique. »
Ce contrôle du flux ne risque-t-il pas de tuer la spontanéité qui, le plus souvent, est à l’origine des plus belles expériences de voyage? « Il faut laisser place à l’imprévu, sinon, on est encore dans la consommation. On trouve néanmoins de belles adaptations, comme Amsterdam, qui a créé des excursions pour ramasser le plastique dans ses canaux. Le tourisme est une business qui accapare les ressources, mais il faut respecter les communautés et chercher à quitter les endroits en les laissant dans le même état ou mieux que quand on les a trouvés. »
Parmi les petits gestes simples qui peuvent changer les choses, celui de voyager avec ses déchets. « Si on sait que les infrastructures de récupération sont inexistantes dans le pays qu’on visite, on peut revenir avec notre plastique. Si tout le monde allégeait ses bagages de un ou deux kilos, il y aurait une différence énorme sur le carburant consommé par les avions... »
Ce que la pandémie aura changé pour Carolyne Parent, qui raconte pas moins de 55 destinations dans son ouvrage publié aux éditions KO? « J’aurai envie de voyager plus longtemps, de m’incruster, de savourer chaque nanoseconde. J’ai envie de réaliser des rêves. »
Si l’Iran caracole en tête des pays qu’elle souhaite visiter, elle attendra peut-être que les relations internationales s’adoucissent avant de s’y pointer. « Je voudrais aller à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, pour voir leur écoquartier. J’ai envie de mettre les projecteurs sur des mouvements comme ça. »
Il y aura peut-être un peu de l’Asie, aussi, un continent où elle se sent chez elle. « Je ne sais pas si c’est à cause du bouddhisme, mais les gens y sont souriants. Il n’y a jamais de problèmes. Tout finit toujours par s’arranger. Ça nous change de notre société de performance. Ce qui me frappe ici, c’est comment on ne communique pas entre nous. »
Tout en suggérant des façons plus conscientes de voyager, comme le séjour chez l’habitant, Carolyne Parent insiste pour dire qu’elle ne veut faire la morale à personne. « Nous sommes tous des touristes qui souhaitons arriver quelque part avant les autres touristes. Seulement, je pense que nous pouvons tous être des touristes mieux informés pour nous assurer que nous savons vraiment à quoi nous souscrivons. J’espère qu’un quart de siècle de bourlingue peut apporter un éclairage sur le voyage de demain. Je trouve fantastique tout ce qui se trame et j’ai confiance que nous allons tous mieux voyager. L’industrie a capté ce message. Cet été, on explore le Québec, on achète local, et quand on repartira à l’étranger, on pourra appliquer la même philosophie. Ce n’est pas parce qu’on dort dans un tout inclus qu’on ne peut pas en sortir une journée pour aller voir ce qu’il y a de l’autre côté de la porte. »