Faire partie d’une expédition malgré la douleur chronique 

Les membre de l’expédition AKOR traversent le Canada du nord au sud.

Sherbrooke - Il y a présentement cinq aventuriers québécois qui traversent le Canada en ski, en canot et en vélo. Des sportifs en forme, bien préparés, motivés : il s’agit de l’expédition AKOR 2021. Mais il y a aussi une expédition AKOR qui se vit plus silencieusement ici, sur les trottoirs sherbrookois ou sur des vélos stationnaires dans des salons de l’Estrie. Un défi parallèle relevé par un médecin et dix patients estriens atteints de douleurs chroniques.


La Dre Nataly Clément travaille comme médecin au Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique où elle suit des patients qui souffrent d’intenses douleurs chroniques. S’il est bien connu que la pratique de l’activité physique amène de grands bienfaits dans la vie quotidienne des patients touchés par des douleurs persistantes, c’est aussi un immense défi de les intégrer dans son quotidien quand la douleur est omniprésente. Or la Dre Clément est bien placée pour comprendre le défi de ses patients. Elle souffre elle-même d’une maladie pulmonaire chronique et elle doit lutter pour se garder en forme.

Un soir qu’elle était justement occupée à pédaler sur son vélo stationnaire, elle est tombée sur un reportage avec les membres de l’expédition AKOR 2021, ces cinq aventuriers qui s’apprêtaient à traverser le Canada du nord au sud entre les mois de mars et octobre en ski, en vélo et en canot. Le genre de défi que le médecin aurait adoré relever si elle avait été jeune et en forme, s’est-elle dit alors. Puis elle a eu une idée : et si on établissait un partenariat?

« Je me suis dit : et si moi et un groupe de patients, on embarquait aussi dans l’expédition? Et si on se donnait aussi le défi de faire le parcours de 7600 km, comme les membres de l’expédition, mais en groupe, chacun selon nos capacités? »

Les cinq aventuriers de l’expédition AKOR se sont montrés ravis d’embarquer dans le projet et de pouvoir ainsi servir d’exemples à ces dix usagers du Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique.

Les aventuriers de l’expédition AKOR parcourront 7600 km chacun durant leur défi. C’est à 11 que l’équipe tentera de parcourir la même distance. À 11 que, jour après jour, ils tentent d’accumuler les 36 km quotidiens pour relever leur défi bien à eux, malgré la douleur qui se fait parfois omniprésente, constante, qui pourrait freiner, figer, décourager, donner envie de plonger sous la couette plutôt que d’aller affronter les trottoirs.

Pour relever ce défi, les participants ne sont pas seuls dans l’aventure. Les ergothérapeutes qui travaillent au Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique les soutiennent de deux façons : en les suivant durant le défi et aussi en s’engageant à parcourir les kilomètres manquants durant le week-end à la course ou à vélo.

 « Ce sont des patients qui sont suivis en troisième ou en quatrième ligne pour leurs douleurs. Ils sont très impactés dans leur vie quotidienne. Ils sont tous en arrêt de travail. Moi ce que je voulais par le biais de ce projet, c’est qu’ils reprennent un rôle actif dans leur vie, qu’ils n’aient plus l’impression d’être un spectateur qui regarde le train passer », dit la Dre Nataly Clément.

Il y a aussi des échanges très enrichissants avec les membres de l’expédition.

La Dre Nataly Clément participe au Déki AKOR elle aussi en compagnie de dix patients du Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique.

« Nous en clinique, on parle souvent des conditions gagnantes pour que les gens progressent, qu’ils contrôlent mieux leur douleur, comme la routine, l’adaptation à ses douleurs, savoir quand faire des pauses, savoir quand changer ses objectifs… On le répète semaine après semaine… Mais quand c’est véhiculé par des athlètes, on dirait que ça passe mieux », dit-elle en riant.

Sonia Carleton fait partie de ces participantes qui vivent des douleurs persistantes depuis 2013. Depuis huit ans, sa vie a changé à cause de ces douleurs qu’elle porte au quotidien.

« Par période, c’est difficile. Il y a du découragement par moments. La pandémie n’a pas aidé, c’est certain. On est plus isolés.Mais il y a du positif autour de nous aussi. Il faut s’accrocher », dit-elle.



J’étais en dépression à ce moment-là.

Quand son ergothérapeute lui a présenté le projet au début de l’année, elle a décidé d’embarquer.

« J’étais en dépression à ce moment-là. Ça n’allait pas vraiment bien… Je suis une personne de défis dans la vie, et là je n’en avais plus depuis longtemps. Ce défi m’a donné un bon coup de pied, si je peux dire », mentionne-t-elle.

Depuis le mois de mars, elle atteint ses objectifs qui sont fixés en collaboration avec son équipe soignante. Au moment de l’entrevue cette semaine, elle rentrait d’ailleurs de sa marche. Le reste de la journée allait être consacré au repos, elle devrait mettre de la glace sur sa cheville.

« Vivre avec des douleurs chroniques, c’est très difficile. C’est stigmatisant. C’est difficile pour les autres de nous comprendre. Parfois ils veulent nous aider mais de façon maladroite… Mais ce défi, il me fait du bien. Je vais le terminer. C’est une grande motivation, un grand encouragement. Les membres de l’expédition AKOR sont vraiment généreux », indique-t-elle.

Le Dre Clément espère que d’autres projets de la sorte naîtront dans le futur, avec plus de patients de l’Estrie et avec d’autres folles équipées qui traverseront des déserts ou des étendues glacées ou qui grimperont les plus hauts sommets du monde.

« Pour commencer à faire de l’exercice, il faut souvent des motivations extrinsèques, qui viennent de l’extérieur de nous. Puis avec le temps, la motivation devient intrinsèque, et les patients réalisent qu’ils sont capables de s’améliorer, de progresser, qu’ils peuvent relever des défis même quand ils vivent avec des douleurs chroniques », indique-t-elle.