Chronique|

Avoir l’air de Val-Jalbert

La chute Ouiatchouan, à Val-Jalbert, est plus haute que les chutes de Niagara.

CHRONIQUE / La matinée s’annonçait pluvieuse. Dans le carnet de bord, deux plans interchangeables selon les caprices de señor météo. S’il ne faisait pas un temps à étendre sur la corde à linge, ce serait le Musée amérindien de Mashteuiatsh, sis au cœur de la communauté innue. Dans le cas contraire, on y reviendrait un peu plus tard, en se donnant plutôt la chance de passer un peu de temps au grand air. Le village historique de Val-Jalbert deviendrait la destination.


L’année dernière, un des passeports attraits, qui offrait 40 % de rabais sur plusieurs attractions du Saguenay-Lac-Saint-Jean, regroupait le Zoo de Saint-Félicien avec le village historique et le musée de Mashteuiatsh. Il n’était donc pas question de renoncer à mon plan A ni à mon plan B. Il fallait seulement choisir l’ordre dans lequel on les visiterait. Cette année, ces passeports sont de retour avec un choix de combinaisons différent pour les activités. Vivement le déconfinement.

J’avais donc pris la route en surveillant le gris du ciel qui se dissipait au fur et à mesure que je franchissais les kilomètres. Val-Jalbert ce serait.

Riez autant que vous voulez, la première fois que j’ai entendu parler de ce village fantôme, c’était dans la chanson La rue principale des Colocs. Et encore, son histoire m’était aussi brumeuse que ma matinée avant les éclaircies. Les Jeannois et Saguenéens ont beau en connaître l’histoire du site par cœur, nous, du sud, on grandit davantage avec les images du Village québécois d’antan. Et pour ceux qui ont la trentaine avancée ou la quarantaine, il y avait bien eu le village d’Émilie Bordeleau, aussi, dans la belle Mauricie.

Pour ceux qui seraient trop gênés pour le demander, Val-Jalbert est ce qu’on appelle un « village de compagnie » puisqu’il a été fondé en 1901 près du moulin à pâte. Il visait à héberger les travailleurs et leur famille, là où on produisait la pulpe qui servirait à faire le papier. Après des débuts plus difficiles, le village connaît ses heures de gloire entre 1909 et 1924. Moderne pour l’époque, il permet à tous ses résidents d’avoir l’eau courant et l’électricité. Mais en 1927, le moulin à pulpe s’arrête pour de bon et les citoyens désertent le village.

Aujourd’hui, c’est justement de pouvoir découvrir des lieux remplis d’histoire qui m’a emballé. Les petites maisons, certaines restaurées, d’autres qui ne supportent plus le poids des années, nous permettent de comparer les standards du luxe d’autrefois à nos maisons d’aujourd’hui.

Les maisons de Val-Jalbert nous donnent un aperçu du mode de vie des travailleurs de l’industrie de la pâte à papier au début des années 1900.

Pour animer tout ça, les personnages d’époque qui accueillent les visiteurs au couvent-école du village, au magasin général ou au bureau de poste ont la langue bien pendue. J’ai ri de leurs histoires bien après avoir quitté les lieux. La tournée en petit train (le trolleybus) permet aussi un aperçu rapide, mais rien n’a pu battre la promenade entre les maisons abandonnées, lentement, à pied, pour prendre le temps de les contempler.

Parce que la grisaille s’était complètement évanouie, le spectacle immersif dans l’ancienne salle des défibreurs constituait une pause fraîcheur plus que bienvenue. La reconstitution en images et en animations de la vie du village est aussi bien réussie que tout le reste. On en a vu des sites touristiques investir pour des projections blêmes qui laissaient les visiteurs sur leur faim. Pas à Val-Jalbert.

En fait, c’est surtout qu’il n’y a rien de racoleur dans les mises en scène ou les animations. Et on peut s’offrir une pause nature dans plusieurs secteurs photogéniques, à commencer par l’ascension vers le sommet de la chute Ouiatchouan, plus haute que les chutes de Niagara. Ce n’est pas rien. On peut la toiser d’en haut grâce à un téléphérique, mais le défi est beaucoup plus gratifiant quand on grimpe les quelque 760 marches menant au belvédère offrant aussi un point de vue magnifique sur le lac Saint-Jean.

Peut-être qu’il y a trop à faire à Val-Jalbert. Ou peut-être me suis-je attardé un peu trop, mais mon après-midi n’aura pas suffi à me contenter. On sait qu’il est temps de retourner à la voiture quand les personnages disparaissent du village et que le site perd soudainement toute animation. J’en aurais pris plus. Pour quelques centaines de dollars, il est possible de passer la nuit directement sur le site, dans une des maisons d’époque, ou dans le magasin général, et de profiter du site encore davantage.

Ce jour-là, le dodo ne figurait pas dans les plans.

Oui, au pays des bleuets, L’Anse-Saint-Jean, ce serait mon petit coin tranquille pour alimenter une créativité qui aurait besoin d’un remontant. Mais Val-Jalbert aura sans doute été mon plus gros coup de cœur de toute l’escapade au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Est-ce que je suis heureux de m’y être pointé en pleine pandémie, alors que les foules se tenaient à distance les unes des autres? Certainement! Visiter un site historique qui témoigne d’une période glorieuse de notre histoire sans me faire marcher sur les pieds, c’était presque inespéré.