Chronique|

Les roquettes d’Israël

Le centre historique d’Akko, ou Acre, est un site de plus en plus prisé par les touristes. Des confrontations violentes y ont éclaté récemment.

CHRONIQUE / Je n’avais pas réellement gardé contact avec Dana après l’avoir rencontrée en Chine en 2012. Nous partagions le même dortoir dans une auberge de jeunesse de Shanghai, où je venais tout juste d’arriver, désorienté. Nous avons partagé le trajet en train jusqu’à Hangzhou, où elle rejoignait un ami qui l’attendait à la gare. Nos routes se sont séparées là, ont convergé par hasard quelque trois semaines plus tard, dans le brouhaha de Pékin. Deux aiguilles dans la même botte de foin. Et après, le silence intercalé de photos publiées sur Facebook, où nous suivions le parcours de l’autre à distance.


Six ans plus tard, alors que j’immobilisais ma voiture de location dans le stationnement du parc national de Banias, dans le nord d’Israël, j’ai pu capter le wi-fi d’un bus de touristes qui se préparait à partir. « Où es-tu? Appelle-moi dès que tu peux », m’écrivait Dana.

Pour combler les interstices de ces six années, précisons que Dana est Israélienne d’origine. Même si elle n’y vivait plus en 2018, j’avais pris le risque de l’informer du périple dans lequel je m’embarquais. Toutes les suggestions seraient les bienvenues.

Retour au parc national, donc, où j’ai déclenché la sonnerie de son téléphone.

« Ne va pas au sud. C’est trop dangereux. Ne va pas au sud de Tel-Aviv. »

Elle s’inquiétait. Un tir de mortier avait atteint une zone résidentielle vers Beer-Sheva, à l’est de Gaza. J’avais considéré passer par là dans les jours qui suivraient.

« Si tu entends une alarme, suis la population locale. Elle te dira où te mettre à l’abri. »

Le moment était un tant soit peu surréaliste. Avant de partir pour Israël, où je rêvais d’aller depuis des années, quelques attaques survenues dans le petit pays avaient fait les manchettes à l’international. Attaque au couteau, attaque à la voiture bélier... Jérusalem avait vu l’un de ces actes barbares. J’avais cherché à savoir quel risque je courais de partir pour le Moyen-Orient. Je ne comprenais par ailleurs pas vraiment où je pourrais me mettre à l’abri si un conflit éclatait.

Ce jour-là, je m’étais aventuré dans le Golan, à la frontière de la Syrie, en suivant les recommandations de Riki, la propriétaire de l’hôtel où je dormais. Selon elle, on ne notait aucune alerte pour un tir de roquette dans la région depuis deux semaines et la virée valait le détour. Les routes à l’est de Safed étaient pourtant relativement désertes, à part quelques camions blancs des Nations unies et un groupe de démineurs sur le bord de la route.

L’Esplanade des Mosquées a été l’objet de tensions, à Jérusalem, au cours des dernières semaines.

J’ai retrouvé une foule au sommet du mont Bental, où il est possible de visiter d’anciens bunkers israéliens. Surtout, on pouvait voir une fumée se dégager du côté syrien. Et il suffisait de tendre l’oreille pour entendre des détonations. Sans savoir précisément d’où elles venaient ou s’il s’agissait de frappes militaires, il y avait de quoi laisser songeur.

En retournant vers l’intérieur des terres, en passant par la forteresse de Nimrod, j’avais reçu ce message de Dana.

Nos routes ont été loin de se croiser de nouveau, mais au début de la pandémie, il y a un an, mon amie est rentrée dans ses terres natales.

De silence en publications de photos sur Facebook, je vois grandir ses enfants que je n’ai jamais rencontrés. La semaine dernière, les enfants assoupis, sages en images, dormaient dans l’abri où la petite famille s’était réfugiée. Ces jours-ci, dans leur hameau entre Tel-Aviv et Gaza, ils entendent les sirènes les implorant de se mettre à l’abri.

Quand je vois les pluies de roquettes, comme des feux d’artifice maîtrisés par le Dôme de fer, je ne peux m’empêcher de penser à ces gens que j’ai un jour croisés. À Dana qui me vantait justement, en 2018, l’efficacité du fameux « Dôme de fer ». À ces enfants du camp de réfugiés d’Aïda, à Bethléem, qui s’amusaient à voler ma casquette pour tuer le temps.

Quand les conflits éclatent là où on est passé, le bruit des bombes, on l’entend plus fort à la vue des reportages télévisés.

Haïfa et Akko, deux villes paisibles du nord, sont maintenant en proie à d’importantes violences. Jérusalem, où j’ai vu le même jour les célébrations du ramadan et du shabbat, est soumis à de fortes tensions. Cette vieille ville, réel délice pour les sens, autant la vue, l’odorat que l’ouïe, ne vibre plus de la même joie.

L’envie d’y arpenter à nouveau les marchés, de retourner vers Tibériade, de découvrir le Négev, devra patienter. La Terre sainte n’aura pas été une révélation religieuse. Pas au sens propre. Mais le contact de l’autre, les rencontres, la richesse historique, eux, sont inversement proportionnels à la grandeur du pays.

Parce que dans ma vie il y a un avant Israël et un après, j’aurai toujours dans les cartons d’y retourner, de m’y installer un temps pour regarder le temps qui passe. Pour y prendre la mesure du temps passé.

En espérant que la paix et le calme volent plus haut que les roquettes, j’attends que la poussière qui retombe soit celle du temps et non des bâtiments qui s’effondrent. Et j’ai une pensée pour ceux comme Dana et ces enfants de Palestine, qui souhaitent la même paix plus tôt que tard.