L’historienne Sophie Abdela pourrait vous parler des prisons parisiennes pendant des heures. Celle qui enseigne l’histoire moderne depuis trois ans à l’Université de Sherbrooke collectionne en effet de vrais petits trésors anecdotiques issus de ses nombreuses recherches en histoire carcérale française.
Elle se plaît d’ailleurs « énormément » à les partager avec ses étudiants.
« Les archives du crime sont extrêmement riches, d’une richesse folle qu’on n’imagine pas. Ce sont des histoires d’êtres humains du passé. Et à travers le crime et la justice, on découvre toute une vie, une humanité », raconte passionnément la femme originaire de Montréal.
Si elle s’intéressait au départ à l’histoire des espions de police à Paris, Sophie Abdela s’est finalement laissé guider par les archives européennes qu’elle contemplait chaque été pendant ses études doctorales et postdoctorales en histoire et en criminologie.
« J’ai passé tout un été à chercher des archives sur les espions de police et je n’ai rien trouvé. On a parfois l’impression que les professeurs d’université sont des gens au parcours parfait, mais ce n’est pas vrai! La recherche, c’est des erreurs, des culs-de-sac, des plans qui ne fonctionnent pas ou qui dévient. Alors... tu passes à autre chose. C’est important pour moi de le raconter. Et je n’ai aucun regret », mentionne la professeure d’histoire.
La passion de Sophie Abdela pour les prisons françaises de l’ancien régime ne s’estompe pas avec les années. Après avoir publié en 2019 sa thèse de doctorat Formes et réformes : la prison parisienne au XVIIIe siècle pour laquelle elle a reçu plusieurs prix, voilà que l’historienne travaille sur les révoltes françaises du 18e siècle en collaboration avec Pascal Bastien, professeur d’histoire à l’UQAM.
L’historienne attend par ailleurs une réponse du gouvernement québécois concernant le dépôt d’un projet de recherche personnel qui traitera des liens entre les prisons et les villes européennes. « Comment se tissent-ils ensemble? Comment communiquent-ils? Quels sont les échanges? Comment un quartier intègre une prison dans son quotidien? »
Elle tentera d’élucider ce mystère tout en encadrant ses étudiants à la maîtrise qui s’intéresse bien entendu aux prisons, mais aussi à la criminalité des femmes au 18e siècle et à la personnalité du policier moderne.
« Ils me font découvrir des choses dans mon propre domaine. C’est très gratifiant et valorisant. Je m’alimente et me nourris de ce que j’apprends quotidiennement. »
Sherbrooke derrière les barreaux
Sophie Abdela est reconnue dans la région pour avoir coorganisé l’école d’été en histoire avec son collègue et enseignant au Cégep de Sherbrooke Frédéric Moisan. Ensemble, ils ont créé en 2020 la première école d’été conjointe en histoire.
Vingt étudiants ont pu participer à cette activité pédagogique intensive qui portait sur le thème Sherbrooke derrière les barreaux. Pendant une semaine, les étudiants en histoire de niveau collégial et universitaire se sont intéressés à l’univers carcéral, mais plus précisément celui de la Prison commune de Sherbrooke (connue sous le nom de prison Winter).
« C’était un projet à la fois académique et communautaire. En menant une recherche de A à Z et en fouillant de nombreuses archives, les étudiants ont vite réalisé l’importance de se mobiliser pour la sauvegarde de l’endroit qui pourrait par exemple devenir un musée. C’était une occasion de se rattacher à la communauté », raconte Sophie Abdela.
« Ce fut la plus belle expérience professionnelle de toute ma vie, ajoute-t-elle. Ce fut complexe à réaliser dans un contexte de pandémie, mais je n’ai aucun regret d’avoir persisté. J’en ai pleuré de joie. Les étudiants ont été brillants, disciplinés, créatifs. Ils ont osé aussi. C’était beau à voir. »
Sophie Abdela précise que le succès de cet événement s’explique par la participation de tous les acteurs impliqués. « On ne fait aucun projet seul », rappelle l’historienne.
« J’ai tellement été soutenu par mes collègues au département d’histoire de l’UdeS. Mes collègues sont incroyables. Ils m’ont accueillie dans cette nouvelle ville, cette nouvelle université. Ils sont non seulement des professeurs d’une qualité incroyable, mais des individus splendides. »
« Nous travaillons fort, mais il y a plein de gens qui travaillent avec nous et pour nous. Je le vois plus que jamais depuis que je suis ici. Sherbrooke est constitué de gens de grande qualité qui veulent redonner à leur communauté. »
« C’est inspirant. »
Repères
- Originaire de Montréal
- Professeure d’histoire depuis trois ans à l’UdeS
- Historienne et archiviste de formation
- Spécialiste de l’histoire carcérale française
- Coorganisatrice de l’école d’été conjointe en histoire