Cette chronique m’a été inspirée par l’une de mes idoles, Serge Bouchard. En 2018, à travers son émission Récits (disponible en « balado »), Bouchard raconte L’histoire de la botanique au 20e siècle. Conteur hors pair, Serge Bouchard a vraiment le tour de mettre en lumière des remarquables oubliés.
Signe du destin, j’avais mis la main sur la Flore laurentienne, bible de la botanique au Québec de frère Marie-Victorin, peu de temps avant mon écoute de Serge Bouchard. Ce livre parut en 1935 contient plus de 900 pages, 22 cartes et 2800 dessins. Il sort de la description droite et linéaire en proposant beaucoup de commentaires ethnobotaniques et écologiques. Cet ouvrage va être un véritable moteur pour la formation d’une culture et d’une élite scientifiques au Québec.
Né Conrad Kirouac, le frère Marie-Victorin a connu une vie bien remplie pour quelqu’un à la santé fragile et qui est décédé à 49 ans d’un accident d’auto dans les Cantons-de-l’Est. En plus de sa Flore laurentienne, il nous aura entre autres laissé l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS) et le Jardin botanique. Nationaliste et intellectuel engagé, le frère Marie-Victorin se battait pour sortir les Canadiens français de la misère et les libérer de leurs maîtres. Dénonçant la destruction et l’exploitation de nos ressources naturelles à outrance par les papetières, le frère Marie-Victorin souhaitait qu’on s’approprie notre territoire et qu’on soit maître chez nous, et cela passait entre autres par une meilleure connaissance de la flore.
Le travail de botaniste de Marie-Victorin doit beaucoup à l’œuvre de l’abbé Provancher. Personnage scientifique d’importance pour le développement des sciences naturelles, l’abbé Léon Provancher va s’illustrer également dans le domaine de la flore avec sa Flore canadienne, et ses travaux en entomologie feront nettement avancer les connaissances scientifiques, selon les spécialistes du domaine. Grand vulgarisateur, un autre de ses legs est la création en 1868 de la revue Le Naturaliste canadien, la plus ancienne revue scientifique de langue française en Amérique du Nord. Encore bien vivante, cette revue a pour vocation de « Diffuser des connaissances en sciences naturelles, dans une perspective environnementale et avec un souci de conservation ».
Dans ce monde d’hommes en soutane, il y a une femme qui a révolutionné l’éducation environnementale! Marcelle Gauvreau n’était pas que l’assistante, mais une collaboratrice de premier plan du frère Marie-Victorin. C’est elle qui rédigea l’index et le glossaire de la Flore laurentienne en plus de s’occuper de la révision de l’ouvrage. Scientifique et intellectuelle, elle rédigea son mémoire de maîtrise sur les algues marines du Québec en 1956, devenant ainsi la première Canadienne-française à obtenir une maîtrise en sciences. Au milieu des années 1930, tournée vers la pédagogie et l’enseignement, elle fonde l’école l’Éveil qui a pour mission d’initier les enfants de 4 à 7 ans aux sciences naturelles et à l’observation de la nature. Elle sera aussi également très engagée dans les débuts des Cercles des jeunes naturalistes. À l’époque, ces organisations ont été aussi populaires que les scouts l’ont été dans notre jeunesse.
C’est en feuilletant la Flore laurentienne, dont il signe l’avant-propos, que la curiosité m’a pris d’en savoir davantage sur le grand humaniste Pierre Dansereau. Et me voilà parti pour des heures à voguer sur les internet et découvrir le documentaire Quelques raisons d’espérer sur le site de l’ONF. Ce documentaire esquisse à merveille le parcours d’un scientifique rigoureux, d’un pédagogue et d’un sensible clairement poète.
Pierre Dansereau est probablement le scientifique québécois le plus connu à l’étranger, attesté par sa brillante carrière par des professeurs et des chercheurs un peu partout dans le monde et les nombreux prix et distinction reçus. Disciple de Marie-Victorin avec qui il a collaboré au Jardin botanique de Montréal, il marquera la science de l’environnement par son approche multidisciplinaire et ses efforts à construire des ponts entre les sciences naturelles et les sciences humaines. Même si ce grand sage est davantage connu pour sa pensée que son militantisme, Dansereau a invité plus d’une fois le public et les chercheurs à l’engagement social et politique dans les luttes environnementales. Dans la région, il a entre autres dénoncé les menaces de privatisation qui planaient sur le Mont Pinacle (1991) et le Mont Orford (2006).
Le concept d’amnésie écologique renvoie au fait que chaque génération a tendance à considérer comme point de référence d’un écosystème celui qu’elle a connu depuis sa naissance, négligeant ainsi sa détérioration. Comme remède à cette amnésie, allons à la découverte de nos pionniers à l’origine de la conscience environnementale du Québec. Ouvrons la Flore laurentienne, fabriquons des herbiers, pour découvrir pourquoi toutes ces choses sont belles et valent la peine d’être préservées.