Chronique|

La quête du retour de Samuel Lalande-Markon

Samuel aux abords de la rivière Koksoak.

CHRONIQUE / En 2018, Samuel Lalande-Markon a traversé le Québec de Montréal à Kuujjuaq à vélo et en canot, aux côtés de David Désilets. Un périple de 2600 km en 31 jours. De ce périple qui les a menés au Nunavik est né La quête du retour, un récit d’aventures teinté des réflexions du Montréalais, qui s’intéresse aussi aux grands explorateurs, à la poésie et à la musique. Entrevue avec l’aventurier d’origine sherbrookoise, aussi musicien et président du Conseil québécois de la musique.


Q  Deux ans et demi plus tard, que reste-il de l’expédition Transtaïga? Est-ce qu’on demeure habité longtemps par une telle expérience? 

R  « Oui! Et en bonne partie parce qu’il y a eu l’écriture d’un livre, à l’opposé d’autres aventures quand même intenses que j’ai eues au préalable, même certaines plus longues. Je me suis rendu compte que lorsqu’on ne cultive pas ces souvenirs-là, qu’on ne se donne pas la chance de les communiquer, souvent, la mémoire étant une faculté qui oublie, ça se dissipe tranquillement. Ce que j’ai vécu, c’est une aventure après l’aventure, à cause de la rédaction du livre. 

Le projet est presque plus fort que jamais, maintenant que La quête du retour est en vie et que je recommence à en discuter avec les gens… avec une perspective totalement différente que celle que j’avais dans les mois qui ont suivi l’expédition. On finit souvent par raconter les mêmes histoires, les faits les plus spectaculaires. Mais la réalité de l’aventure et le chemin intérieur, ça demande un exercice soutenu. »  

Q  À la toute fin du livre, tu dis que tu as eu l’appel de l’écriture. Pourquoi avoir décidé d’écrire cette histoire?

« La conséquence la plus concrète de la postexpédition dans ma vie a été la lecture. Ça semble anodin; la lecture a toujours été importante. J’ai déjà été un très grand lecteur. Mais cette activité, comme d’autres, semble un peu moins compatible avec la vie aujourd’hui, avec les écrans, l’instantanéité. J’avais perdu mes habitudes (…) Ce qui fait que l’envie d’écrire est revenue. L’aventure a été un bon prétexte. Mon but, ce n’était pas juste de parler du voyage, mais aussi d’exprimer certaines idées personnelles sur notre rapport au territoire, sur la nordicité… »

Q  Au fil des pages, tu nous racontes ce périple, mais tu traces aussi des parallèles avec de grands explorateurs, tisses des liens avec la poésie et la musique. Parle-moi de ces intérêts qui ressortent dans ce récit.

R « À la base, j’ai une vie de musicien, de gestionnaire culturel, je baigne dans les arts. J’étais relativement intéressé par la poésie, je le suis beaucoup plus! Pour moi, c’était deux univers parallèles : le monde artistique et le plein air. Au départ, j’étais surtout intéressé par la dimension très physique et peut-être une recherche de trouver une limite personnelle, de me retrouver là-dedans. L’un et l’autre ne sont pas si incompatibles que ça, au contraire. 

Ce que j’ai trouvé, dans la nature, c’est un environnement qui existe en lui-même, un peu comme l’art (…) Pour moi, le sacré de la forêt se prolonge dans le sacré de l’art parfois. C’est pour ça que j’ai eu envie à l’occasion de faire des parallèles avec des œuvres musicales que j’ai écoutées. Il y a un épisode où je parle d’une écoute de Jean-Sébastien Bach, qui ne semble pas être une musique toute désignée pour un territoire comme ça… Et pourtant, il y avait quelque chose qui a du sens entre le sacré de Bach et celui du territoire. Je l’ai ressenti fortement. C’est pour ça que j’ai dit que la poésie est devenue quelque chose d’important. » 

Un autoportrait de David Désilets et Samuel Lalande-Markon, au quatorzième jour de leur expédition.

Q  Parle-moi de ta perception face au territoire nordique. Tu sembles penser qu’on le tient pour acquis. Parle-moi aussi de ton intérêt envers les peuples autochtones. 

R « Quand je dis qu’on le tient pour acquis, c’est beaucoup parce qu’on en a utilisé les ressources. Le Nord, le vrai Nord, c’est une terre qu’on utilise pour les ressources naturelles : les mines, le bois, l’hydroélectricité… L’occupation du territoire nordique est faite pour l’utilisation des ressources. On s’en rend compte lorsqu’on le pédale ou qu’on le regarde sur une carte. La route de la Baie-James, c’est un chemin direct pour Radisson, et les communautés autochtones sont un peu exclues de ça. Les communautés de la Baie-James sont sur des routes en cul-de-sac, à près de 100 km de distance de la route principale. Ce n’est pas pour les gens qui sont là et qui utilisent le territoire. Évidemment, ces routes-là sont construites et il ne faut pas les nier. Pour moi, c’est une manière de pénétrer le territoire, qui est exceptionnel.

Maintenant, on a un peu à s’inspirer des nations autochtones qui l’habitent depuis des millénaires et qui ont peut-être eu un rapport avec lui qui était plus harmonieux… Cette manière-là (…) est très porteuse pour nous qui sommes dans le sud et qui oublions que nous vivons à l’intérieur d’écosystèmes… »

Q  Tu parles des exploits dans les sports d’endurance, du fait que la quête de l’exploit individuel effectue un retour comme on l’a observé auparavant. Tu écris : « Nous avons moins besoin d’exploits que d’une collectivité qui se redécouvre, à bout de souffle… » Peux-tu m’expliquer un peu ta pensée? 

« Je pense que les exploits individuels ont été beaucoup renforcés dans l’histoire récente, dans une époque qui met beaucoup l’accent là-dessus (…) Ceci dit, ce que je veux dire par rapport à la collectivité, c’est que l’être humain est une machine redoutable d’endurance, faite pour se promener sur le territoire… Assez rapidement, on peut redévelopper ça. Cette sorte de bagage-là sommeille en nous. La rencontre du territoire permet de vivre ça... » 

Q  Penses-tu à ta prochaine expédition? 

« À moyen terme, dans la lignée de ce que j’ai pu faire, je m’intéresse au personnage de Louis Jolliet dont Serge Bouchard a parlé dans les Remarquables oubliés, une figure à la fois de musicien et d’explorateur du 17e siècle et qui a entre autres fait Tadoussac à la Baie-James », dit celui qui revenait d’une expédition dans les monts Groulx et qui rappelle que le contexte de la COVID a tendance à freiner des aventuriers.

La quête du retour est le premier ouvrage de Samuel Lalande-Markon.

Pour avoir un aperçu : https://youtu.be/4S6uU8lqDA8

Vous vivez aussi, comme moi, l’aventure par procuration?
Voici quelques périples à suivre à défaut d’y être nous-mêmes.

AKOR:

Il s’agit de la plus longue traversée du Canada dans un axe nord-sud qui n’a jamais été tentée, selon les membres d’AKOR. Le périple dans des terres reculées compte aussi un volet scientifique, dans le cadre d’une collaboration avec des universités canadiennes. De l’île d’Ellesmere au nord, l’équipage constitué de Jacob Racine, Nicolas Roulx, Guillaume Moreau, Philippe Voghel-Robert et Étienne Desbois, terminera au parc national de la Pointe-Pelée, dans le sud ontarien, après avoir parcouru 7600 km en ski, en canot et en vélo, sur une durée d’environ sept mois.
https://expeditionakor.com
Page Facebook : Expédition Akor

Frédéric Dion:

En mai prochain, l’aventurier mauricien se rendra au mont Logan, au Yukon, soit le plus haut sommet canadien avec ses quelque 5959 mètres d’altitude. En compagnie de l’aventurier Bruno-Pierre Couture, Frédéric Dion tentera la première traversée du plateau sommital en skis tractés par un cerf-volant.
https://www.fredericdion.com/
Page Facebook : Frédéric Dion

François-Guy Thivierge:

L’alpiniste que j’ai découvert en lisant son livre Aux sommets a entamé en 2019 toute une aventure : celle de gravir 55 montagnes en 55 mois pour souligner ses 55 ans. 

Pour en savoir plus et jeter un œil à ses images, on peut consulter :
La page Facebook à son nom
https://francoisguythivierge.com/

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