Un article paru le 25 janvier dernier dans La Tribune, rédigé par Mme Lilia Gaulin faisait état du nombre de demandes extrême des parents d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) à l’organisme Autisme Estrie. Puis, le 11 février dernier, des mesures pour favoriser le développement du langage des tout-petits ont été adoptées par le Gouvernement, soit d’autoriser les masques à fenêtre transparente pour les éducatrices en milieu de garde.
Je me demande maintenant pourquoi cette mesure n’a pas été élargie pour les établissements offrant des services aux enfants et aux adultes ayant un TSA.
Rappelons d’abord que les personnes ayant un TSA peuvent avoir de la difficulté à reconnaître les émotions chez l’autre. Il faut souvent leur enseigner des repères visuels ou non verbaux pour mieux les situer dans les situations sociales. Avec un masque, il peut être plus difficile pour elles de bien comprendre l’autre, pour saisir les subtilités d’une situation sociale.
L’annonce faite par le ministère de la Famille le 11 février dernier autorisant l’utilisation des masques avec fenêtre transparente par les éducatrices afin que les enfants puissent voir leur bouche et ainsi favoriser un développement sain au quotidien m’a réjouie!
Je salue cette nouvelle, il était temps!
J’aurais aimé que cette proposition soit aussi retenue pour les milieux scolaires spécialisés et pour les milieux de vie destinés aux personnes ayant des incapacités comme un TSA ou une déficience intellectuelle. S’il est important pour les enfants de moins de 5 ans de bien voir les expressions faciales des éducatrices avec lesquelles ils interagissent toute la journée, il est primordial que les personnes avec des difficultés développementales y aient accès aussi! Les pédiatres du Québec se sont battus pour faire adopter cette nouvelle mesure, faisons-le aussi pour les personnes qui ont un TSA! Par ailleurs, plusieurs autres éléments affectent considérablement le vécu des familles d’enfants ayant un TSA en ces temps de pandémie.
Parents à bout de souffle. L’article de La Tribune paru en janvier dernier soutient premièrement que les parents d’enfants ayant un TSA sont à bout de souffle, qu’ils sont en situation d’épuisement. Il est important de rappeler que de tous les parents d’enfants vivant avec une difficulté développementale (p.ex. une déficience intellectuelle ou un retard de développement), ceux ayant un enfant autiste vivent le plus de stress au quotidien. Ce stress est souvent causé par la nature complexe du diagnostic de TSA, qui requiert alors des services auprès de plusieurs professionnels différents (p.ex. psychoéducateurs, ergothérapeutes, orthophonistes, médecins), avec des corridors de services souvent en silo et de l’attente. Ajoutez maintenant la nouvelle réalité liée à la pandémie, avec les services de soutien qui cessent leurs activités suite aux mesures sanitaires mises en place, et leur quotidien devient vite difficile à gérer.
Routines essentielles, mais moins possibles. Les personnes ayant un TSA sont très sensibles aux changements. Tout changement non prévu dans leur routine peut provoquer des réactions émotives et comportementales assez fortes. Ainsi, quand une situation nouvelle est prévue pour les personnes ayant un TSA, on tente d’intervenir en prévention, et ce, avec quelques semaines d’avance parfois! En ce moment et depuis plusieurs mois, il est difficile de prévoir à l’avance ce qui arrivera. Peu ou pas d’information est disponible lors des annonces gouvernementales concernant la façon dont les services spécialisés seront touchés par les mesures sanitaires. Je comprends que ça fait beaucoup d’information à transmettre en peu de temps, mais une intégration de ces informations dans les annonces gouvernementales montrerait qu’on n’oublie pas les familles et les personnes à besoins particuliers dans les mesures. À même titre que les milieux scolaires et des milieux de garde, les milieux spécialisés ont besoin de consignes claires et adaptées.
Particularités sensorielles. Ajoutons les particularités sensorielles vécues par beaucoup de personnes ayant un TSA à l’importance de la routine. Chez certains, ce sont les textures qui peuvent déranger, chez d’autres, ils n’apprécient pas les touchers d’autrui ou certains tissus. Alors, le port du masque devient difficile à instaurer pour cette clientèle! Or, le port du masque est obligatoire dans tous les endroits publics fermés. Bien sûr, il y a une exemption pour certaines personnes ayant une condition médicale particulière, mais cela impose une contrainte de plus aux parents qui doivent expliquer à l’entrée d’un endroit public que leur enfant ne tolère pas le masque! Ils s’exposent alors potentiellement aux regards désapprobateurs et à la stigmatisation, qui est parfois déjà bien sentie dans leur quotidien. Le port du masque peut être enseigné aux enfants et aux personnes ayant un TSA, pour qu’ils le tolèrent mieux, mais notons qu’un tel enseignement peut parfois prendre quelques semaines ou même quelques mois.
Distanciation sociale. Finalement, je voulais revenir sur la réalité de la distanciation sociale, qui nous est imposée pour mettre fin à la propagation du virus de la COVID-19. Nous sommes tous découragés de ne pas voir nos proches, nos familles. Par contre, le développement de nos compétences sociales n’est pas affecté comme il l’est en ce moment pour les personnes ayant un TSA (enfants et adultes). Pour eux, les relations sociales sont l’apprentissage d’une vie, et ce, au quotidien. Comme mentionné dans l’article de La Tribune, la distanciation sociale entraîne pour plusieurs une régression dans leurs acquis développementaux et sociaux. Y aurait-il un moyen de penser la distanciation différemment pour les personnes ayant un TSA? De penser à des bulles sociales comme dans les écoles, permettant à ces personnes de continuer à avoir des contacts sociaux? Il vaudrait la peine de se poser ces questions, et rapidement, afin de limiter les impacts déjà énormes de cette pandémie sur la vie des personnes ayant un TSA.
Aux parents et aux proches d’enfants ou d’adultes ayant un TSA, je vous dis de ne pas lâcher et de continuer à demander des services pour vos enfants! Les organismes comme Autisme Estrie travaillent fort pour vous soutenir, malgré les contraintes. Continuez à vous faire entendre, à vous battre pour vos familles, malgré la fatigue et l’épuisement. Je vous souhaite de trouver du soutien rapidement et je me joins à vous pour demander qu’on vous considère davantage dans les décisions prises.
Je suis de tout cœur avec vous,
Malena Argumedes Charles, Ph.D., Psychoéducatrice
Professeure adjointe au département de Psychoéducation, Université de Sherbrooke
Chercheure régulière au Groupe de Recherche et d’Intervention sur les adaptations Sociales de l’Enfance (GRISE) de l’Université de Sherbrooke
Chercheure régulière à l’Institut en DI et en TSA
Présidente de l’Association Québécoise pour l’Analyse appliquée du comportement