Franchir les 850 m de l’Odyssée, le parcours le plus long de la Via Ferrata du parc national du Fjord-du-Saguenay, c’était mon idée. Parce qu’on raconte, au pays du chauvinisme et du bleuet, qu’il s’agit d’un des plus beaux parcours du genre de toute la planète. Si on a ça près de chez nous, je ne pouvais pas passer à côté.
Une Via Ferrata, c’est une « randonnée » qui transforme les simples marcheurs comme moi en grimpeurs presque professionnels de parois rocheuses. Vous aurez compris que j’ai le « presque » généreux. Même avec ma grâce naturelle de chameau, j’ai pu me prendre pour une chèvre de montagne pendant quelques heures. Échelons, échelles, ponts de singe et autres équipements permettent de s’élever à plus de 280 m à la verticale dans un parcours qui, dans le parc du Fjord-du-Saguenay, s’étire entre trois et six heures selon la distance à parcourir. Il faut une forme minimale pour se lancer... et beaucoup d’eau dans un sac à dos qu’on doit accrocher solidement.
Beau temps, mauvais temps, l’expédition franchit la distance. On se souhaitait quand même du soleil. Notre guide Grégory, lui, avait ce je-ne-sais-quoi pour les averses. Le contact avec la nature, peut-être, mais par mauvais temps, c’est la vue sur le fjord qui risque de se dérober.
Si le matin s’était enrobé de brouillard, on n’annonçait ni pluie ni canicule ce jour-là. Parce que c’est l’autre extrême, le soleil de plomb, qui peut provoquer un inconfort le long du parcours. Suffit qu’on se mette à fondre un peu sans pouvoir se mettre à l’ombre pour s’ennuyer de la terre ferme.
Après les consignes de sécurité, la pratique sur un petit rocher est essentielle. Comment s’attacher à la ligne de vie? Comment grimper d’un échelon à l’autre? Comment, surtout, ne pas agripper les différents objets le long du parcours, pour éviter de se blesser? Et enfin, le test de confiance, qui consiste à accrocher le mousqueton à la paroi avant de lâcher les mains. En cas d’accident, explique Grégory, ce sera la façon la plus sécuritaire et la moins éprouvante de s’immobiliser contre la falaise.
Ha oui, les accidents! À 280 m dans les airs? Ça arrive souvent?
Presque jamais, répond le guide, qui n’en avait aucun à son actif. Pression, tout à coup, de ne pas être le premier. Parce qu’il m’arrive d’avoir deux mains gauches et une seule bottine pour mes pieds. En réalité, il a un peu menti, le monsieur, parce qu’il arrive que les touristes se blessent... sur le chemin du retour. En redescendant la montagne sur un sentier de marche, la chute d’adrénaline peut parfois nous jeter par terre, semble-t-il. C’est qu’on risque de relâcher la vigilance et de trébucher bêtement.
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Ceci dit, la première portion du parcours monte à la verticale. Quand on essaie d’être bon élève et qu’on se concentre à passer le mousqueton d’un échelon à l’autre, on oublie de regarder en bas. C’est très bien comme ça, au début, pour vaincre les petites phobies. Et quand vient la première pause, déjà, on réalise qu’on s’est élevé de façon importante.
L’expédition était partie tôt en matinée. Vous verrez, a dit Grégory, que la marée montera au cours de la journée. Dans le fjord, tôt, on apercevait des étendues de verdure qui se doraient au soleil. Trois, quatre heures plus tard, elles avaient été complètement englouties.
Il existe, le long du parcours, des points stratégiques pour un vrai de test de confiance, pour se suspendre réellement au-dessus du vide en se fiant aux mousquetons. Dans mon cas, le vertige a dit non. Y’a pas de mal.
Ce qu’il y a d’amusant, aussi, c’est la variation des obstacles pour franchir les dénivelés, qu’on pense au pont de singe, ce câble suspendu qui ne manquera pas de nous faire dodeliner, ou le pont népalais, semblable, qui offre pour sa part deux appuis pour les mains. S’ajoutent la poutre suspendue et la passerelle, interminable, impressionnante autant quand on la regarde de loin que lorsqu’on la traverse.
Même quand les hauteurs nous rebutent, il faut s’offrir le temps de regarder autour, et même de laisser tomber son regard vers le pied des rochers. La Via Ferrata n’est surtout pas une course et rares sont les points de vue aussi jolis sur le fjord du Saguenay.
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La vérité, c’est qu’avant le départ, je m’étais demandé si le défi de six heures exigeait des capacités que je n’avais pas. La vérité, c’est que les dernières 20 minutes de l’ascension me faisaient espérer qu’on arriverait bientôt au bout de la ligne de vie. Mais en toute honnêteté, le panorama au sommet valait chacune des gouttes de sueur versées. Le calme et l’accomplissement, pendant le repas du midi, auront été de belles récompenses, avant d’entreprendre la marche du retour.
Mon verdict de néophyte de la Via Ferrata, c’est qu’il ne fait aucun doute que le parcours du Saguenay est unique en son genre. Du même coup, je garderai l’œil ouvert dans les autres régions du Québec, qui offrent aussi le même parcours, mais aussi ailleurs dans le monde, où les montagnes qui touchent d’encore de plus près le ciel promettent de mettre à nouveau mon vertige à l’épreuve.
En attendant, on n’a probablement pas réellement tout vu du fjord tant qu’on ne l’a pas regardé d’en haut, en équilibre sur un pont de singe.