Soins intensifs... et épuisants !

Pendant la deuxième vague de la pandémie, le Dr Frédérick D'Aragon a passé sept nuits à l'hôpital pour être près d'un patient trop instable.

La deuxième vague de la pandémie a déferlé violement sur le personnel des soins intensifs de l’Hôpital Fleurimont et de l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke. C’est dans ces départements qu’on traite les patients les plus malades, ceux qui vont mourir incessamment s’ils ne reçoivent pas les soins les plus avancés que la médecine moderne peut offrir en 2021. 


Le Dr Frédérick D’Aragon est anesthésiologiste et intensiviste dans les deux hôpitaux universitaires de Sherbrooke. Depuis septembre, il a vu des choses qu’il n’aurait jamais crues possibles. 

« Dans la deuxième vague, on a vu des patients de 40 et de 50 ans aux soins intensifs. Il y a un patient dont je me suis occupé pendant toute ma garde de dix jours. J’ai dormi sept nuits à l’hôpital parce qu’il était trop instable pour que je puisse rentrer dormir chez moi. On lui a donné les meilleurs soins que la médecine des soins intensifs peut donner à un patient. Et quand on finit par perdre ces patients, ça nous atteint. Ça nous rentre dedans », s’attriste le médecin.

Certaines semaines, il y a plus de décès que de survivants dans les départements de soins intensifs où la mort est un enjeu constant. Ce n’est pas pour autant que l’on s’y habitue, insiste le Dr D’Aragon.

S’il y a les jeunes patients, il y a aussi les plus âgés, ceux qui allaient bien et qui sont tout à coup foudroyés par le contagieux coronavirus.

« J’ai vu des patients de 80 ans qui étaient plus en forme que moi avant de se retrouver aux soins intensifs! Comme quoi il n’y a pas que les personnes âgées déjà lourdement hypothéquées qui meurent de la COVID-19 », note le médecin intensiviste.

Le Dr Frédérick D’Aragon a été photographié au chevet d’un patient dans l’unité des soins intensifs consacrée à la COVID-19. Par chance, quelques patients ont connu des victoires face au si imprévisible coronavirus.

« Pourquoi moi? »

Geneviève Labrie, une infirmière de 13 ans d’expérience qui travaille aux soins intensifs depuis cinq ans, rapporte un autre exemple d’un cas triste et difficile que l’équipe a dû affronter.

 « On a perdu un patient qui a attrapé la COVID parce qu’il a vu ses enfants quelques heures dans le temps des Fêtes. Et nos patients se demandent : pourquoi moi? On n’a pas de réponse. C’est dur, c’est vraiment dur. »

« Heureusement, il y a une solidarité, un esprit d’équipe incroyable qui se sont formés dans notre département », rapporte Frédérick D’Aragon.

Une solidarité qui compte, qui aide, qui épaule, mais qui ne peut pas suffire à supporter un système de santé depuis longtemps à bout de souffle. Une infirmière a même fini par s’effondrer en plein quart de travail.

« Une journée, il y a une infirmière en temps supplémentaire qui a décidé de partir pendant son quart de travail. Elle a démissionné, elle a carrément choisi de quitter la profession. Jamais je n’aurais cru voir ça dans ma vie! » s’attriste le Dr D’Aragon, qui a lui-même commencé sa carrière comme infirmier avant de faire ses études en médecine.

Je suis passionnée par ma profession d’infirmière. Mais je vous dirais qu’aujourd’hui, j’ai perdu toute ma fierté. Je ne suis pas certaine que ça reviendra un jour.

« Brisée »

Geneviève Labrie est bien d’accord avec lui : l’équipe est solidaire et précieuse. « On essaie de prendre soin les uns des autres, mais c’est difficile quand on est tous rendus à ce stade », nuance-t-elle.

Passionnée par sa profession, Mme Labrie se dit aujourd’hui « brisée ».

« La moitié du temps, je ne peux pas faire tout ce que je voudrais faire pour mes patients. Je finis mes journées et je porte ça, toute cette insatisfaction, toute cette culpabilité. Je suis passionnée par ma profession d’infirmière. Mais je vous dirais qu’aujourd’hui, j’ai perdu toute ma fierté. Je ne suis pas certaine que ça reviendra un jour », souligne-t-elle avec une tristesse palpable.

Pour supposer chaque journée difficile et souvent interminable, il y a de belles histoires pour se réjouir. Il y a eu quelques « miraculés » aux soins intensifs. Un grand bonheur pour ces deux anges-gardiens du réseau de la santé, même si la magie opère moins qu’au début de la pandémie.

« Dans la première vague, on mettait tous nos espoirs sur nos patients, et c’était une grande victoire quand ils guérissaient. Mais dans la deuxième vague, il y a beaucoup plus de patients, ça va plus vite, ce n’est pas pareil », se désole Mme Labrie.

Le Dr D’Aragon attend avec impatience le jour où l’Estrie retombera en zone orange. Comme il est aussi anesthésiologiste, il connaît très bien les impacts de toutes ces chirurgies qu’on reporte. Et lui aussi a hâte de retrouver une vie un peu plus normale avec sa petite famille. « Dans nos vies personnelles, on subit aussi les mesures de confinement, comme le reste de la population », rappelle-t-il.

Geneviève Labrie estime qu’il n’y a pas beaucoup d’espoir devant elle du côté professionnel. Même si les nouveaux cas de COVID-19 sont de moins en moins nombreux en Estrie et que les hospitalisations liées à la COVID-19 diminuent, les soins intensifs continueront d’afficher complet. Parce que les « patients COVID » seront remplacés par des patients qui subissent des chirurgies.

« Je n’en veux à personne. Je sais qu’il faut opérer tous ces gens qui sont en attente. Je sais que tout le monde fait de son mieux. Mais moi je suis vidée. Il y a quelque chose de brisé. »