Un « grand pas » pour la diversité sexuelle et de genre

« Je ne suis ni un homme ni une femme. Qu’est-ce que je fais? Ça m’oblige à mentir de ne pas avoir d’autre choix. J’ai changé ma mention de sexe de l’un à l’autre parce que ça me convenait un peu mieux, mais ça ne représente pas qui je suis. Je dois jouer un personnage et c’est épuisant », confie Séré Beauchesne Lévesque.

Devoir cocher la case « mère », « père », « homme » ou « femme » sera bientôt chose du passé.


En effet, la décision du juge Gregory Moore en faveur du Centre de lutte contre l’oppression des genres (qui a ouvert le dossier judiciaire en 2014) soutient que plusieurs articles du Code civil du Québec sont « discriminatoires » envers les personnes trans ou non-binaires.

« Les plaignants et les plaignantes ont prouvé qu’un registre d’état civil qui ne reconnaît pas l’identité de genre des personnes transgenres et non-binaires, ou qui limite leur capacité à corriger la désignation du sexe sur leurs actes d’état civil pour refléter leur véritable identité, les prive de la dignité et de l’égalité qui leur sont dues. Leur incapacité à prouver leur véritable identité les maintient dans un état de vulnérabilité aiguë qui les conduit trop souvent au suicide », indique la décision du juge (traduite de l’anglais).

Cette décision est particulièrement bien accueillie par la communauté trans et non-binaire alors que la Cour supérieure du Québec ordonne au gouvernement d’apporter des changements avant le 31 décembre 2021. Les certificats délivrés par la Direction de l’état civil devront notamment offrir d’autres options qu’« homme » ou « femme » pour exprimer l’identité de genre des personnes représentant la population québécoise.

Toujours selon la décision du juge Moore, le Règlement relatif au changement de nom ne devra également plus exiger que les personnes mineures (de 14 à 17 ans) rencontrent un médecin, un psychologue, un psychiatre, un sexologue ou un travailleur social en vue d’approuver le changement de la mention du sexe.

« C’est une victoire qui est partielle, mais qui donne raison à la majorité des éléments que nous défendons depuis plusieurs années. C’est un énorme soulagement pour beaucoup de gens et pour moi en tant que personne non-binaire », confie d’emblée Séré Beauchesne Lévesque, responsable de la coordination chez TransEstrie.

Séré Beauchesne Lévesque a par ailleurs témoigné à ce procès auprès du Centre de lutte contre l’oppression des genres il y a deux ans. Iel confirme avoir attendu impatiemment le dénouement de cette histoire.

« Je ne suis ni un homme ni une femme. Qu’est-ce que je fais? Ça m’oblige à mentir de ne pas avoir d’autre choix. J’ai changé ma mention de sexe de l’un à l’autre parce que ça me convenait un peu mieux, mais ça ne représente pas qui je suis. Je dois jouer un personnage et c’est épuisant. »

« Imaginez-vous devoir trouver un emploi ou aller à l’hôpital en ayant l’air d’une femme alors qu’il est écrit que vous vous appelez Robert avec la mention M. C’est absurde comme situation. [...] Ce jugement représente une petite révolution dans la vie quotidienne de beaucoup de gens », ajoute Séré Beauchesne Lévesque.

Julie Christine Cotton, professeure à la FMSS de l’Université de Sherbrooke et coresponsable à la coordination du Comité de concertation trans et non-binaire de l’Estrie

L’impact de la reconnaissance légale

Même si ce combat peut sembler « banal » pour les personnes non concernées, la professeure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, Julie Christine Cotton, est d’avis que cette victoire est un « grand pas » pour la diversité sexuelle et de genre.

« Il ne faut pas minimiser l’impact que peut avoir la reconnaissance légale dans la vie des personnes trans ou non-binaires », indique celle qui est également coresponsable à la coordination du Comité de concertation trans et non-binaire de l’Estrie.

Lors d’une enquête exploratoire menée en 2018 sur l’accès aux services, les besoins, les enjeux d’insertion (sociale, scolaire, professionnelle) et de santé mentale entourant la communauté trans, non-binaire ou en questionnement identitaire, Pre Cotton a constaté que « les personnes qui avaient entrepris au moins une démarche de transition au plan légal présentaient un score de satisfaction de vie significativement plus élevé que celles en ayant entrepris aucune ».

« Nos données montraient que 63 % des personnes sondées atteignaient ou dépassaient le seuil clinique de détresse psychologique. Les seuls groupes moins enclins à présenter de tels symptômes étaient ceux composés des personnes qui considéraient leurs démarches de transition complétées ou qui ne prévoyaient pas en faire ».

Même si elle croit qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire pour sensibiliser et conscientiser la population à la réalité des personnes trans ou non-binaires, Pre Cotton se dit particulièrement heureuse d’apprendre qu’il y aura moins d’« obstacles » dans leur processus de transition.

« Plus on enlève des étapes, plus elles peuvent se concentrer sur leur étude », ajoute celle qui avait également constaté un taux de décrochage important parmi les personnes trans et non-binaires interrogées.

« Ces changements faciliteront leur bien-être et cela aura des effets sur toutes les sphères de leur vie. J’accueille la nouvelle à bras ouverts », se réjouit-elle.



Quel poke bowl Séré Beauchesne Lévesque devrait-iel choisir ? Grosse question. C'est que Séré se définit comme une personne trans non-binaire. Ni homme, ni femme. D'où le pronom « iel » que je viens tout juste d'employer. Pas il, pas elle. Iel.

Vous aurez compris qu'une conversation avec Séré pourrait bien mettre le feu à votre Bescherelle. Nous ne sommes même pas encore arrivés à chasser le genre de nos cuisines (des poke bowls genrés, sérieux !?!), imaginez comment il est ardu de l'évincer de notre langue. Jaser avec Séré suppose, oui, quelques petits efforts, quelques petits ajustements. Pas grand-chose, en somme, en comparaison à la lancinante souffrance d'une longue quête identitaire.

« J'ai passé 17 ans à vivre de la confusion parce que je savais pas j'étais quoi », se rappelle Séré, qui me corrigera poliment à quelques reprises pendant l'entrevue lorsque que j'emploierai le mauvais pronom ou que je ferai un accord erroné. Personne n'aime être pris en défaut, mais je vous l'assure, on s'en remet. « Ma mère pour me consoler quand j'étais petite me disait : "T'es une fille intelligente" et ça me faisait juste pleurer encore plus. Le pire, c'est que je ne savais pas pourquoi ça me faisait pleurer ! »

Le combat des personnes trans en est donc un de stricte dignité, révélant une fois de plus à quel point l'humain a horreur de revoir son rapport au réel - Séré a perdu plusieurs amis en « devenant » non-binaire. Iel révèle aussi à quel point des administrations sans visage s'entêtent à refuser de modifier leurs pratiques, même si de simples gestes permettraient d'adoucir le quotidien de bien des gens.



Difficile de ne pas colérer lorsque Séré raconte les démarches sisyphéennes entreprises à son arrivée à l'Université de Sherbrooke afin que le prénom de son choix - Séré - soit inscrit sur les listes d'étudiants fournies aux profs (comme c'est permis au Cégep de Sherbrooke). Iel est depuis légalement devenu Séré, ce qui règle son problème, mais pas celui de toutes les autres personnes trans qui devront expliquer à chacun de leurs professeurs qu'ils souhaitent être désignés sous un autre prénom que celui que leur ont donné leurs parents. Faire un coming out, c'est difficile. Devoir en faire cinq ou six chaque début de session auprès d'inconnus, ça use la joie de vivre, mettons.

Le combat des personnes trans est aussi fascinant en ce qu'il révèle de notre entêtement presque morbide à penser le masculin et le féminin par le biais d'affligeants clichés. Un gars, c'est comme ça, une fille, comme ça, fin de la discussion.

« Je pense que ça met bien des gens en danger de se faire dire que ce n'est pas parce que t'as un pénis que t'es un gars », avance Séré, qui fondait en octobre le Groupe d'action trans de l'UdeS. « Ça les rend confus. Les gens n'ont pas l'habitude de remettre en question leur identité. J'aimerais en 2017 que la masculinité soit moins fragile. C'est la base de tellement de problèmes dans notre société et de tellement de problèmes que je vis en tant que personne non-binaire. Les gars se fâchent parce que c'est leur réaction naturelle de se fâcher quand ils ne comprennent pas quelque chose. C'est comme pour protéger leur intégrité de mâle. Il y aurait tellement moins d'agressions sexuelles et d'homophobie si les gars pouvaient se calmer et assumer ce qu'ils sont autrement que par l'agressivité. »

Parlons organes génitaux (ben non !)

Il n'a jamais été autant question de chiottes dans l'actualité qu'en 2016. Où les personnes trans devraient-elles aller faire pipi ? Certainement pas dans la toilette de leur choix, répondait la Caroline du Nord, alors que de plus en plus d'écoles, un peu partout au Québec, remettaient en question l'idée même d'envoyer monsieur vider sa vessie d'un côté, et madame de l'autre.

« Les personnes trans ont beaucoup d'autres préoccupations que d'aller aux toilettes », assure Séré en rigolant, au sujet de ce qui a aujourd'hui valeur de symbole pour les groupes trans, bien qu'il s'agisse au départ d'une considération très pragmatique. « Aller aux toilettes, c'est juste quelque chose qui revient tout le temps. À la faculté où j'étudie, il y en a des toilettes non genrées, mais elles sont à l'autre bout de l'édifice. Je suis pris avec le choix de consacrer toute ma pause à me rendre là-bas, ou d'aller dans les toilettes des gars et que ça crée un malaise, ou d'aller dans les toilettes des filles et que ça crée un malaise. C'est juste une préoccupation que je n'aurais pas si toutes les toilettes étaient non genrées. »



Pourquoi le visage de Séré n'apparaît-il pas sur la photo accompagnant cet article ? Pour plein de raisons, qu'iel résume en expliquant que de nombreux médecins ne peuvent envisager la transidentité autrement que comme le passage d'un sexe a à un sexe b. La transidentité, ce n'est pourtant pas que Caitlyn Jenner. Voilà un modèle certes valide - un homme très traditionnellement viril, devenu une femme très traditionnellement coquette -, mais qu'un modèle parmi tant d'autres. Séré craint que son médecin lui retire les prescriptions dont iel a besoin pour connaître les transformations physiques qu'iel veut connaître, s'il apprend qu'iel n'entend pas adhérer complètement à une identité traditionnellement masculine. Le reste appartient bien sûr à son intimité.

« Mon prof de français au cégep, qui me parlait normalement depuis le début de la session, m'a demandé quand il a appris que j'étais trans quels étaient mes organes génitaux. Eh, excuse, c'est parce que t'es mon prof de français ! Pourquoi tu me parles de ça ? De toute façon, est-ce qu'on sait vraiment ce que tout le monde a dans les culottes ? »