Autant que ce qu’on finira par mâchouiller, l’ambiance dans laquelle on est invité à manger peut influencer nos souvenirs. Parfois, ça fait l’effet d’une petite dose d’épices. Parfois, c’est comme si on avait ajouté toute une bouteille de vinaigre dans la casserole.
Petit, j’avais visité la forteresse de Louisbourg, en Nouvelle-Écosse. On nous y servait le repas traditionnel canadien, costumes d’époque à l’appui, en nous imposant de manipuler notre pâté avec une cuiller. Parce que dans l’ancien temps, disait-on, on mangeait tout à la cuiller. J’étais marqué pour la vie. Jamais, avant, on ne m’avait autorisé à me départir de ma fourchette.
Parlant ustensiles, ça me rappelle un voyage en Allemagne où je m’étais laissé tenter par la cuisine asiatique. Je sais, bière et choucroute auraient dû attirer toute mon attention, mais il m’arrivait de tricher. Jamais je ne me serais attendu à ce qu’on me serve un bouillon avec des baguettes pour seul outil. Quand on n’a pas eu la débrouillardise d’apprendre à se servir de ces bouts de bois avant d’acheter son premier billet d’avion, on observe timidement les voisins de table pour comprendre comment ils s’y prennent. Et on passe beaucoup trop de temps à déguster ses nouilles et son bouillon.
Le coco encore ébranlé, je n’avais toujours pas investi dans un cours de préhension avec baguettes avant d’ajouter Hong Kong à mon passeport. Cette fois-là, ça se voyait à mon teint que les baguettes me seraient complètement inutiles. Dans tous les restaurants, on m’observait avec amusement jusqu’à ce que j’échappe une première bouchée, c’est-à-dire dès le début du repas. On accourait ensuite avec une fourchette. Si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, une chose est certaine : je ne ferai pas forgeron. Ni professionnel des baguettes d’ailleurs.
La vie ayant pitié, j’ai appris à temps pour goûter les véritables sushis japonais. Des sushis sans les baguettes, ç’aurait été péché. Surtout qu’à Osaka, le restaurant qu’on nous avait recommandé connaissait presque le succès des Beatles dans les années 1960. La file d’attente était longue comme ça. Là-bas, on s’assoyait devant un petit convoyeur où défilaient les sushis. Suffisait de prendre les assiettes qui nous faisaient envie, à moins qu’elles portent un petit carton orange. Alors, c’est qu’elles étaient réservées pour un client en particulier. À la fin, on payait un yen par assiette consommée. Ça venait de déclasser la cuiller de Louisbourg dans les expériences qui me sortaient de mon steak, blé d’Inde, fourchette.
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Après, y’aurait les restos de ramens, avec les compartiments individuels où on mange presque dans un isoloir, face à un rideau de bambou tiré derrière lequel se cache la cuisine. Le serveur le relève pour déposer le bol commandé sur une distributrice deux minutes plus tôt et nous abandonne derechef à nous-mêmes. Et tous les restaurants à thématique, comme celui du groupe pop AKB48, où les algues séchées portent la signature d’une des chanteuses de la formation musicale.
Côté ambiance, pour ceux qui rêvent du Tyrol, des montagnes géantes et des pâturages à perte de vue, l’Autriche a beaucoup à offrir. Mon souvenir vient néanmoins d’une région voisine, celle de Vorarlberg, où la voiture a grimpé un petit chemin de campagne jusqu’à Schönenbach. L’auberge Jagdgasthaus Egender et son restaurant, situés dans un paysage paradisiaque, donnent envie de partir en randonnée ou d’apprendre à jouer du cor des Alpes. L’idée de se creuser l’appétit en respirant l’air frais n’est pas bête du tout. Une petite faim ne suffit pas. Même une grosse faim mérite d’être creusée avant de prendre place pour commander le traditionnel käsespätzle, un plat de pâtes au fromage servi avec des oignons séchés. La brique de pâtes fumantes arrive dans un grand plat de bois à partager. Une espèce de louche, elle aussi en bois, permet de diviser les portions. Ne pas avoir les yeux plus grands que la panse, là, c’est le grand défi. Le käsespätzle, bien meilleur qu’un excellent mac n’cheese, fait l’effet d’une grosse pierre sous le diaphragme. Même la plus petite portion donnera l’impression de pousser la pierre de Sisyphe en marchant vers la voiture. Une deuxième randonnée n’est pas de refus, pour les plus motivés. Chaque calorie vaut néanmoins le détour.
Sinon, côté ambiance, difficile d’oublier un souper traditionnel offert dans un établissement pour touristes à Addis Abeba, en Éthiopie. C’était mon premier soir dans la capitale et je suivais les autres clients de l’hôtel, qui s’étaient donné rendez-vous là. À l’entrée, détecteur de métal pour tous. Aucun liquide n’est permis à l’intérieur. On vide donc les sacs à dos des backpackers que nous sommes. On ne lésine pas sur la sécurité.
Les mises en scène ne sont habituellement pas les expériences qui m’attirent le plus. Je préfère me retrouver au cœur de la population locale pour une ambiance plus réaliste. Mais là, on présentait musique et danse traditionnelles. Le repas, surtout, était composé de sauces piquantes à partager qu’on déposait sur un plateau couvert d’injera, une espèce de grande crêpe traditionnelle qu’on mange avec les mains. Avant d’attaquer la grande galette, on nous propose d’ailleurs de nous les laver, les mains, directement à la table, en nous versant de l’eau avec de grands bocaux. L’injera sert ensuite d’ustensile pour contenir la sauce épicée qu’on a commandée. Partager ainsi une assiette avec de purs inconnus nous oblige à voir le repas autrement qu’une simple activité de subsistance.
Enfin, côté ambiance, difficile de faire plus éclaté que les restaurants-discothèques Andres Carnes de Res, en Colombie, où la musique couvre toute discussion. Là, on nous incite à danser dans des décors de néons qui varient d’un étage à l’autre. Si leur cœur nous en dit, quand c’est notre première visite, on peut porter une banderole révélant au reste du monde que n’avions jamais mangé de ce pain-là avant. Si le menu est varié, on retiendra davantage la folie de cet établissement hyperpopulaire que le menu de plats traditionnels.