Non seulement ont-ils dû - comme tout citoyen - obéir aux consignes gouvernementales en matière de confinement et de prévention, mais également répondre aux attentes de leur employeur qui se distinguaient de celles des autres universités québécoises.
Il nous semble important de rendre compte ici des effets que cette réalité a eu sur notre vie quotidienne, en considérant les différents aspects de notre profession.
Une seule exception : l’Université de Sherbrooke.
Alors que la majorité des universités québécoises, pour ne pas dire l’entièreté, ont annoncé dès le début de la pandémie la conversion de l’enseignement présentiel en enseignement à distance, position qui s’est maintenue jusqu’à ce jour, l’Université de Sherbrooke s’est démarquée par une directive contraire et audacieuse : faire le plus possible de cours en présentiel. Ce fut chose faite d’ailleurs, puisqu’il a été possible de faire la majorité de l’enseignement en présentiel jusqu’en novembre. La deuxième vague a cependant forcé le retour à l’enseignement à distance, jusqu’à ce que la situation sanitaire s’améliore.
Lorsque la région de l’Estrie est passée en zone rouge au mois de novembre, un malaise s’est installé chez plusieurs de nos membres. Comment accepter de poursuivre l’enseignement en présentiel demandé par la direction de l’Université tout en respectant la demande du premier ministre de rester à la maison?
Les décrets donnent la liberté aux universités de déterminer les activités qui doivent se faire en présentiel. Mais comment justifier que les cours en présentiel soient plus essentiels à Sherbrooke que sur les autres campus universitaires? Les directives de l’UdeS pour la session d’hiver étaient également de planifier la session avec le plus de cours en présentiel possible, directives qui se sont maintenues jusqu’en décembre. Dans la perception d’une contradiction de fond avec les consignes ministérielles, les professeur.es se sont donc préparés à faire du présentiel…
Avec l’annonce du re-confinement généralisé, la direction de l’Université a finalement dû revoir ses directives pour passer du plus de présentiel possible à un maximum d’activités à distance comme indiqué dans les directives du MEES. Seules les activités essentielles sont actuellement permises sur les campus, et ce, au moins jusqu’au 8 février. Une fois de plus, le corps professoral a rapidement dû se repositionner : plans de cours, approches pédagogiques et bien sûr, gestion de la conciliation travail-famille.
Même s’il est impossible de prévoir l’évolution de la pandémie et les mesures sociosanitaires qui se prolongeront peut-être jusqu’à la mi-session, voire jusqu’à la fin de la session, la volonté de ramener l’enseignement en classe le plus rapidement possible demeure cependant clairement affichée par l’Université et la réflexion ministérielle en cours nous force à nous questionner.
Instabilité pédagogique
L’instabilité pédagogique a essoufflé le corps professoral.
Les circonstances de la pandémie ont entraîné pour les professeur.es des obligations aux conséquences pédagogiques importantes et non encore pleinement mesurées : enseigner en présentiel dans des conditions de restrictions sanitaires très lourdes et - sur injonction gouvernementale - enseigner en ligne des cours prévus pour le présentiel.
Assurer la sécurité sanitaire des campus n’est pas une condition suffisante pour un enseignement de qualité en présentiel.
La plupart d’entre nous l’avons appris sur le terrain : enseigner en présentiel en temps de pandémie, ce n’est pas comme enseigner en classe en temps normal. Imputable du respect des règles sanitaires pour lui et ses étudiants, le corps professoral doit jongler avec les mesures sociosanitaires, porter le masque, la visière ou des lunettes de protection et demeurer dans « son carré » à l’avant de la classe.
Parfois (souvent), on lui demande d’accompagner les étudiants confinés à domicile et de prévoir un dispositif de visioconférence en parallèle. Au défi d’être simplement présent, s’ajoute celui de créer une présence pédagogique efficace. Enseigner en présentiel en temps de pandémie, c’est donc surtout remettre en question ses approches pédagogiques habituelles à cause de la distance physique obligatoire et de la difficulté à circuler librement, sur la scène d’un centre culturel ou dans un sous-sol d’église qui résonne. Les travaux d’équipe sont plus difficiles à organiser et à superviser. C’est aussi devoir gérer le sentiment de doute et d’insécurité malgré les informations à l'effet que nos campus sont sécuritaires.
Au fil du temps et de l’évolution de la pandémie, malgré l’immense bonne volonté des professeur.es, on a vu se vider des classes « en présentiel ». La diffusion simultanée des cours en présentiel pour ne pas pénaliser les étudiant.es confinés et contraints de ne pas circuler sur le campus à cause de la COVID est devenue, pour un certain nombre, l’occasion de ne plus se déplacer, puisque c’était dès lors possible d’apprendre en ligne. Le présentiel dans ce contexte, c’est donc aussi gérer les interactions avec ces étudiants en ligne : leur demander d’allumer leur caméra alors qu’ils souhaitent rester invisibles, prévoir des travaux, des activités alternatives, car bien peu de professeur.es seront capables de leur refuser cette aide. Enseigner en présentiel, c’est parfois se rendre dans une classe quasi vide, avec une approche pédagogique prévue pour du présentiel mais sans étudiant.es. Cherchez l’erreur. Malgré tout, les professeur.es sont restés engagés dans ce présentiel adapté.
Des changements épuisants
Enfin, enseigner en présentiel coûte que coûte en temps de pandémie, comme les professeur.es l’ont fait au cours des derniers mois, c’est surtout être obligé de passer à un enseignement à distance de manière imprévisible, au gré des changements de zones, de consignes, des cas positifs en classe forçant la quarantaine d’un groupe. Chaque changement de « régime » a forcé le corps professoral à revoir les planifications, les approches pédagogiques, les modalités d’évaluation.
Ces jours-ci, le premier ministre Legault semble réfléchir à la possibilité de rouvrir les campus. Bien. Cependant, considérant le nombre de changements d’orientations vécus dans la dernière année, la réouverture des campus devrait se faire dans le respect du travail professoral en tenant compte des consignes déjà annoncées. Le SPPUS maintiendra que les professeur.es ne doivent en aucun cas être contraints de revoir les modalités pédagogiques pour une nouvelle fois. Parce qu’il faut arrêter de jouer au yo-yo. C’est une question de stabilité pédagogique et d’équilibre psychologique.
Ces allers-retours imprévisibles entre le présentiel et l’enseignement à distance sont épuisants.
Ces allers-retours ont aussi eu des effets majeurs sur les autres aspects de la tâche professorale, à cause du temps que prennent le maintien de la qualité de l’enseignement et l’accompagnement des étudiant.es durement éprouvés aux aussi en ce moment. Les conséquences sur la carrière professorale sont vécues avec plus d’angoisse et de stress pour les professeur.es en début de carrière qui auront un départ plus difficile en recherche alors que les attentes de l’institution pour passer à un rang universitaire supérieur n’ont pas été ajustées. Ce sont aussi les professeur.es qui se dévouent dans des responsabilités de départements, de programmes, de stages qui ont vu leur tâche envahie par la gestion de la pandémie et qui ont également dû remettre à plus tard leurs activités de recherche. Malgré l’urgence de clarifier ces enjeux, la direction de l’Université demeure sans réponse quand le syndicat lui demande de travailler sur des modalités permettant de réduire les impacts de la pandémie sur le développement de la carrière professorale.
La direction de l’Université ne discute pas des moyens à prendre pour réduire les impacts sur le développement de la carrière professorale.
La mission d’enseignement est centrale et les professeur.es s’y investissent personnellement et collectivement, dans une grande solidarité. Le maintien des interactions essentielles avec les étudiant.es qui vivent des situations anxiogènes a également eu des impacts importants sur la tâche professorale.
Nous avons hâte de retrouver nos étudiant.es en classe. Ça fait partie de notre plaisir à enseigner.
Mais enseigner en présentiel dans les conditions actuelles, même sanitairement sécuritaires, ne représente qu’une partie des enjeux qui nous touchent. L’enjeu est maintenant celui d’une stabilité et d’une autonomie pédagogique à retrouver, car nous avons vécu non pas un seul changement de modalité d’enseignement depuis mars, mais plusieurs, avec des délais de préparation quasi intenables.
Si le premier ministre annonce un retour en classe en enseignement supérieur, cela doit, selon nous, se faire dans le respect du travail professoral en tenant compte de ce qui est déjà planifié par les professeur.es. Mais ce serait aussi très bien qu’il se prononce déjà pour la session d’été, dont la planification arrive à grands pas.
Julie Myre-Bisaillon
Professeure titulaire à la faculté d’éducation
Présidente du Syndicat des professeures et des professeurs de l’Université de Sherbrooke (SPPUS)