Maudites hormones de Sarah Rodrigue : Briser le cycle de la tempête

Dans <em>Maudites hormones</em>, l’auteure magogoise Sarah Rodrigue démystifie le trouble dysphorique prémenstruel (un SPM extrême) en racontant son propre parcours avec beaucoup de transparence.

Pour Sarah Rodrigue, chaque nouveau mois annonçait un SPM de plusieurs jours dont l’intensité dépassait l’entendement. La tempête, cyclique, avalait tout. Et durait longtemps.


De consultation en consultation, la Magogoise a cherché pendant des années ce qui clochait, avant qu’une psychiatre nomme une première fois le trouble dysphorique prémenstruel.

La spécialiste a expliqué à sa patiente que c’était un peu comme si son cerveau était hypersensible à certains changements hormonaux. Cela engendrait un syndrome prémenstruel extrême qui happait mensuellement l’Estrienne depuis l’adolescence. 

« Lorsqu’elle m’a dit ça, c’est comme si le ciel s’ouvrait. Enfin. Pour une fois, on ne pointait pas mon stress comme la source de mes maux. Cette psychiatre a reconnu ce que je vivais et mis des mots sur ce qui me submergeait. Cette rencontre a tout changé », dit celle qui a récemment publié Maudites hormones, un livre dans lequel elle démystifie le trouble dysphorique prémenstruel en racontant son propre parcours. 

La Dre Sophie Desindes, directrice du département d’obstétrique et de gynécologie du CHUS, a bonifié le récit avec des informations plus scientifiques. 

Sans filtre, sans fard

Avec grande clarté, une pincée d’humour et beaucoup de transparence, Sarah Rodrigue évoque tout ce qu’elle a vécu sans rien maquiller. Le souci de dire et de nommer les choses, sans filtre et sans fard, était non négociable lorsqu’elle a pris la plume.

« Je n’ai pas peur de parler des souffrances que ma condition a engendrées, des idées suicidaires que ça a fait naître. Je savais que si je me lançais, je devais me dévoiler, aller au cœur de ma vulnérabilité. Je ne pouvais pas écrire sans assumer cette franchise. »

Parce qu’il fallait mettre en lumière ce sujet encore tabou, souvent banalisé, trop peu reconnu. 

« Il n’y a pas de documentation là-dessus en français et peu de soutien. J’avais la conviction que ça répondait à un besoin parce que je suis branchée sur tous les réseaux qui touchent à ce sujet. Même lorsqu’il est question de périménopause, c’est inimaginable le nombre de femmes qui racontent ne pas être entendues dans leur souffrance. On parle de douleurs réelles qui sont pratiquement niées. » 

Le cycle menstruel ne devrait pourtant pas être source de souffrance, plaide celle qui alimente aussi le blogue sarahrodrigue.ca.  

« La médecine s’est peu intéressée à cette sphère très féminine. Ce n’est pas malintentionné, mais il y a comme un trou noir sur le plan des connaissances. Moi, j’ai dû me battre pendant près de 28 ans avec un syndrome prémenstruel extrême qui a gâché plusieurs aspects de ma vie avant qu’on m’écoute vraiment, qu’on me croie. J’aimerais que d’autres n’aient pas à passer par là. »

Elle aimerait aussi que les manières de voir changent. 

« Dans les cabinets médicaux, le cas classique, c’est qu’on se fait prescrire des tests sanguins qui ne montrent rien d’anormal. »



Sarah Rodrigue, <em>Maudites hormones</em>, PSYCHOLOGIE, Éditions Les malins, 198 pages

Chasser le naturel

Dans l’imaginaire collectif, le SPM est souvent tourné en dérision.

« On entend souvent dire que, puisque ça découle de nos hormones, c’est naturel. On se fait répéter que tout ça se passe dans notre tête. Que c’est un problème psychiatrique plutôt que physique. C’est une logique qui ne tient pas. La mort aussi, c’est naturel, mais ça peut être douloureux quand même. »

Pour sortir de l’œil du cyclone, Sarah a choisi l’hystérectomie/ovariectomie, il y a un an et demi. 

« C’était un pari, parce que ça aurait pu ne pas fonctionner. Mais je me sens revivre. L’opération a sauvé ma vie, parce que j’étais au bout du rouleau. »

Tous les symptômes invalidants ont disparu depuis l’intervention. 

« La situation n’est pas parfaite, parce que je vis les effets d’une ménopause, à 42 ans. C’est autre chose, mais c’est gérable. J’ai le sentiment d’avoir retrouvé ma vie, ma capacité à être présente. Je ne suis plus dans la souffrance. »

Chaque mois est désormais plus lumineux.

Sarah Rodrigue autrice du livre <em>Maudites hormones</em>

Comme une chape de plomb

Quand on demande à Sarah Rodrigue d’expliquer ce qu’elle a vécu, elle trouve vite les mots et les images.  

« C’est comme si, du jour au lendemain, dix jours avant le début des règles, un voile gris s’installe. Un nuage qui brouille ta vue, tes sens. Les symptômes psychologiques sont intenses, l’humeur est plus sombre. Et plus les jours avancent, plus tu bascules dans le gris foncé et le noir sans que rien ait changé dans ta vie. »

Le sentiment d’autodestruction prend le dessus, noie tout le reste. Comme une chape de plomb qui empêche toute lumière de passer. 

« Tu deviens extrêmement critique envers toi. Tu te dévalorises, tu ressens une immense fatigue. Arrivent ensuite les maux de tête, la paranoïa, l’épuisement, les douleurs, comme si tout ton corps était en réaction inflammatoire. » 

Plus les jours passent, plus les symptômes augmentent.

« Et parce que moi, je souffrais aussi d’endométriose, j’avais des crampes débilitantes, aussi douloureuses que des contractions. Autrement dit, chaque mois, je devenais une loque. »

Deux ou trois jours après le début des règles, soudain, l’épais nuage se dissipait. 

« Je redevenais Sarah… qui devait rattraper les dix jours perdus! Ça faisait des cycles très difficiles à vivre. »

La récurrence devenait, en soi, un trauma. 

« C’est que je savais que ça allait revenir, indépendamment de ma volonté. Même si j’avais vu mon psy, mon chiro, que je mangeais et dormais bien, que je faisais de l’exercice. Bref, même si je faisais tout ce que je pouvais pour être bien, je replongeais là-dedans. Invariablement. Tous les mois. »

Les impacts étaient grands et touchaient toutes les facettes de la vie, démontre Sarah au fil des pages.

« Je serais dans la rue, ou bien je ne serais carrément plus là, si je n’avais pas eu la famille et les amis extraordinaires qui m’entourent. Je suis une grande privilégiée dans cette histoire d’horreur. Ma mère, mon chum, ma fille, mes amis et amies : il y a eu beaucoup de monde aimant autour de moi. Heureusement, parce que je n’aurais pas eu la force de me battre toute seule », note l’Estrienne, qui espère que son livre fera son chemin auprès de celles qui vivent la même chose, mais aussi auprès de leurs proches.