La gastronomie locale n’a pas toujours fait partie de mes priorités. Les jeunes passagers de mon roadtrip prépandémie, à Porto Rico, me l’ont rappelé. Nous avions établi les liens de covoiturage sur internet, par pur hasard. J’étais leur aîné d’une bonne décennie et demie. Nous nous étions lancés sur l’autoroute sans vraiment savoir où nous aboutirions. Et quand j’ai cru qu’il était temps de faire une pause restaurant, mes passagers, comme l’écho de mes premières années de bourlingue, ont préféré l’épicerie au menu de n’importe quel casse-croûte. Moins cher!
Quand j’ai inauguré mon passeport, c’est la France qui m’attendait. Quelques jours plus tard, l’Italie m’accueillait. Pizza et pastas. Si je n’ai pas été impressionné par la pizza italienne, c’est probablement que je courais les établissements les moins chérants.
Si je n’ai jamais versé outrancièrement dans les plats occidentaux pour combattre mon choc culturel, il est vrai que par pur souci d’économie, les sandwichs à presque rien du 7-Eleven m’ont souvent servi de repas. Rapide. Économique. Pas de temps à perdre à patienter, attablé seul dans un restaurant. Dix minutes sur le coin de la rue, top chrono, et je repartais à l’aventure.
Mais voyager sans expérimenter, ce serait péché. Ainsi ai-je adopté la philosophie de toujours chercher les établissements locaux pour prendre le repas.
À Dambulla, au Sri Lanka, j’avais refusé le petit-déjeuner américain que proposaient mes hôtes pour m’offrir un réveil de champion. En remontant la route principale, j’ai opté pour la cantine où la population locale était déjà réunie. Au menu, samossas et autres gâteries frites. Les mêmes qu’on mangerait au dîner ou au souper. Et dans cet établissement, on nous amène une assiette pleine et on charge au nombre d’articles consommés.
Il a suffi d’une bouchée pour que les épices me montent aux yeux. J’ai caché mes larmes en calant ma bouteille d’eau... avec parcimonie. Parce que mon orgueil n’allait pas abandonner de si bon matin. Savez, quand on nous apprend, tout petit, à finir notre assiette... C’est ce que j’avais en tête devant la dizaine de samossas bien piquants déposés devant moi. J’ai souffert à travers les deux premiers avant d’abdiquer. Le lendemain, je mangeais les œufs et la salade de fruits préparés à mon hôtel...
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D’ailleurs, quand vous demandez si un plat est épicé, ne faites jamais confiance au niveau de tolérance de la population locale. Ces gens-là, ils s’entraînent depuis tout petit à avaler les piments et les épices qui transforment la langue en boule de feu.
Dans la région du Tigré, au nord de l’Éthiopie, la façon la plus simple de se déplacer est d’embaucher un chauffeur. Le nôtre s’était arrêté à Adigrat pour le dîner et nous avait recommandé le repas typique de la région, le tihlo. Il s’agit de boules de pâte qu’on trempe dans une sauce piquante. Alors que nous attendions le repas, un mouton affolé a été abandonné dans la salle à manger pour quelques minutes avant que le boucher ne l’attrape par les pattes pour disparaître derrière un mur. L’appétit venait de s’envoler.
Quand le plat est arrivé, qu’une serveuse façonnait des boules de pâte sur la table, on m’a donné de la poudre de fromage à ajouter à la sauce pour réduire le goût brûlant. Tout le fromage du bol (et du monde) n’ont pas suffi. Les larmes aux yeux, j’ai abandonné.
C’est un chauffeur ravi qui s’est assuré que je ne gaspillerais pas la moindre goutte de sauce. Il a même redemandé du piment pour corser davantage la concoction.
Sinon, les surprises viennent parfois de la traduction approximative. À Amman, en Jordanie, on m’avait recommandé chaudement les pitas d’un restaurant local. Fini. No more, qu’il a dit, le monsieur. Il fallait choisir autre chose. Traduction libre : poulet ou inaudible. Va pour le poulet.
C’est finalement une assiette remplie de foies de poulet, que dis-je, une montagne de foies de poulet, qui m’a été servie, sans autre accompagnement aucun. Ç’aurait pu être pire, mais la surprise a néanmoins été totale.
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Parce que des surprises, il y en a des bonnes, aussi, on peut tenter de répliquer les meilleures recettes du reste du monde dans le confort de notre foyer. Une pandémie, tiens donc, nous confine mais peut nous offrir de nouvelles façons de voyager. Encore faut-il savoir différencier le sel et le sucre...
J’avoue que je ne me suis pas trop lancé pour le moment. Je n’ai même pas cuisiné le moindre pain depuis le début de la pandémie. Mais un plat qui m’a particulièrement plu et que je souhaiterais répliquer, malgré la brique qu’il me déposait dans l’estomac, est le sarmale, soit du chou farci servi avec de la polenta. À Bucarest, en Roumanie, j’en ai commandé quelques assiettes, en plein été, même si la teneur du plat me semblait convenir davantage à l’hiver.
Et justement, en temps froid, et même par temps chaud, rien encore n’a réussi à battre la pho, cette fameuse soupe traditionnelle vietnamienne, agrémentée de coriandre, qui me rappellera toujours mon passage à Saïgon.
Dans le même sens, je pourrais être tenté par la cuisine colombienne depuis qu’une petite épicerie latine, près de chez moi, a annoncé préparer des plats typiques. Pour l’hiver, l’ajiaco, une soupe de pommes de terre et de poulet, semble tout indiquée. On y ajoute des épis de maïs en morceaux et, là aussi, de la coriandre. Quand le froid est tombé sous forme de pluie, à Bogota, ce plat s’était montré tout à fait réconfortant.
Sinon, la cuisine mexicaine est tellement diversifiée qu’on en a pour des semaines à se renouveler. Une fois, à Puerto Vallarta, on m’a enseigné à concocter le mole, une sauce à base de chocolat, de piments, de noix et de dizaines d’autres ingrédients. Si j’adore ce plat qui, à coup sûr, m’obligera à me tacher, j’ai réalisé qu’il fallait beaucoup trop de travail pour que je me permette de reproduire l’expérience... sans tricher. Le Mexicain moyen, lui, il triche. Il achète la base de mole à l’épicerie, ajoute de l’eau et chapeau, ne manque plus que le poulet. On accompagne d’un jus d’hibiscus maison et hop, on se retrouve comme sur la playa, sans la quarantaine.